Lorsque Donald Trump reprend le Bureau ovale en janvier 2025, il offre à Musk un costume sur mesure: celui de tsar de l’efficacité gouvernementale. A la tête du Doge, toute nouvelle entité censée dégraisser la supposée mammouth-administration fédérale, le boss de Tesla a carte blanche, ou presque, pour «disrupter» l’Etat.
Objectif annoncé: faire fondre le déficit budgétaire de 2000 milliards de dollars. Oui, milliards. Soit plus de 6% du PIB américain.
Mais à peine nommé, les warnings s’allument. Dans Le Monde, l’historien Henry Brands, de l’université du Texas, fait entendre une petite voix de la raison dès octobre 2024:
Pas de quoi refroidir Musk, convaincu qu’un bon tableur Excel, deux ou trois algorithmes et un grand coup de balai RH suffisent pour rationaliser la première puissance mondiale.
Dès le départ, le ton est donné. Musk débarque comme dans un open space de start-up: réunions à pas d’heure, clashs verbaux avec des membres du cabinet, tweets vachards en direct des couloirs du pouvoir.
Sur X, il balance des courbes de productivité, annonce une purge massive et dézingue le système de retraite américain, qu’il compare à «la plus grande pyramide de Ponzi de l’histoire». Rien que ça. Ainsi, plus de 14 000 fonctionnaires fédéraux remerciés en trois mois, dont une quantité industrielle rien qu’au fisc. Une méthode qui fascine… mais ne convainc pas.
Jason Furman, professeur à Harvard et ancien conseiller d’Obama, ne se fait pas prier pour résumer la situation dans Le Monde:
Traduction: beaucoup de bruit, peu d’effet. Ses fameuses «économies» (170 milliards annoncés) sont accueillies froidement. Et pour cause: plusieurs think tanks révèlent que certaines coupes tiennent plus du tour de passe-passe comptable que d’un vrai ménage de printemps budgétaire.
Le reste de l’histoire est une suite de coups de hache… et de boomerangs. Musk coupe net dans les budgets de l’aide internationale, sabre les subventions aux universités publiques. Conséquence? Une révolte chez les gouverneurs, démocrates et républicains confondus.
A San Antonio, les ciseaux fédéraux amputent plus de 400 millions de dollars, touchant de plein fouet les programmes agricoles et les bourses, selon Express News.
Même l’aviation civile est dans le viseur du patron du Doge et de Tesla, avec des réductions envisagées dans le contrôle aérien… et ce, malgré une recrudescence d’incidents en vol. Ambiance. «Elon Musk ne comprend pas que l’Etat n’est pas une entreprise», souffle un cadre du ministère des Transports dans Politico.
Le climat s’envenime. En mars, clash frontal avec Scott Bessent, secrétaire au Trésor, en pleine réunion de cabinet. En avril, Trump finit par le désavouer publiquement, en virant un haut responsable du fisc que Musk avait imposé. Le Doge vacille.
Mais c’est sur le terrain politique que le bât blesse vraiment. Musk, qui avait misé 300 millions de dollars dans la campagne républicaine, se voyait en kingmaker du nouveau mandat Trump. Il mise gros sur Brad Schimel, juge ultra-conservateur, lors d’un scrutin stratégique au Wisconsin. Malgré 21 millions injectés dans la campagne, Schimel perd. Et Musk prend un uppercut.
Sa propre cote s’effondre. Début mai, Morning Consult mesure une chute de 17 points en deux mois. Et ce n’est pas tout. En Europe, Tesla prend la foudre: ventes en berne, jusqu’à -50% sur certains marchés, selon Bild. Et les déclarations anti-aide sociale et anti-woke de Musk n’y sont pas très bien perçues.
Scott Galloway, professeur à l'Université de New York, enfonce le clou comme le souligne le Times of India:
Boom.
Le samedi 24 mai, une panne géante du réseau X vient signer l’épilogue. Musk poste un message aussi laconique que sa chute a été bruyante:
Back to spending 24/7 at work and sleeping in conference/server/factory rooms.
— Elon Musk (@elonmusk) May 24, 2025
I must be super focused on 𝕏/xAI and Tesla (plus Starship launch next week), as we have critical technologies rolling out.
As evidenced by the 𝕏 uptime issues this week, major operational…
Simple, efficace, et un peu amer.
Ce départ n’est pas anodin. Il arrive trois jours avant le 28 mai, date charnière qui l’aurait contraint à davantage de transparence devant le Congrès. «Je pense que j’en ai fait assez. Je vais faire beaucoup moins dans le futur», souffle-t-il à Bloomberg le 20 mai.
Mais selon plusieurs médias, dont The Daily Beast, Musk n’a pas totalement raccroché les crampons politiques. Il garderait un contact direct avec certains stratèges de Trump, et continuerait à distiller sa vision technolibérale dans les coulisses.
Retour aux bases. D’ici fin 2026, l’entrepreneur promet un million de Tesla autonomes sur les routes américaines, selon ses déclarations à CNBC. xAI, sa boîte d’IA désormais fusionnée avec X, entre de plein fouet dans l’arène de l’intelligence artificielle.
Et côté fusées, ça carbure aussi. Ce mardi 27 mai, SpaceX devrait retenter le lancement de son vaisseau géant Starship, 122 mètres de haut, la taille d’un gratte-ciel. Décollage prévu à 18 heures 30 au Texas (1 heures 30 en Suisse).
Starship stacked for flight pic.twitter.com/OMVXSCsSjb
— SpaceX (@SpaceX) May 26, 2025
Cerise sur le missile: comme le révèle le Wall Street Journal, SpaceX flirte désormais avec le Pentagone. L’armée américaine envisagerait d’utiliser ses fusées pour livrer du matériel militaire à l’autre bout de la planète… en moins d’une heure. C’est donc bien vu de la part du milliardaire de garder quelques contacts en politique.
Mais avant de voir des fusées SpaceX voler un jour en treillis militaire, le bilan de Musk à Washington n’est pas des plus brillants. Le passage de l’homme d’affaires restera dans les annales comme une tentative aussi inédite qu’avortée d’injecter des logiques de start-up dans la grande machinerie politique américaine.