A l'heure actuelle, au moins 205 personnes ont perdu la vie dans les inondations qui ont ravagé le sud-est de l'Espagne. Est-ce que ce bilan vous choque?
Jacques Demierre: C'est énorme. Mais comparé à d'autres phénomènes, comme le séisme en Turquie et en Syrie en 2023 où j'ai pu intervenir – près de 60 000 morts et plus de 100 000 blessés – ce n'est pas beaucoup.
La polémique enfle en Espagne: le gouvernement régional aurait tardé à avertir la population. L'alerte aurait-elle pu être donnée plus tôt?
Je pense qu'il n'y a pas de bonne solution. Quand les gens sont avisés et qu'il ne se passe rien, les autorités sont critiquées. Et inversement. On maîtrise peu de choses, c'est compliqué de faire des prévisions. Oui, c'était tardif. Est-ce que c'est une erreur? Si les fausses alertes augmentent, elles deviendront un bruit de fond. Dans ce genre de situation, les autorités et services météorologiques font une pesée d'intérêts.
Vous avez déjà vécu ces situations. Comment se déroule l'arrivée des secouristes sur place?
Dès que nous arrivons sur le terrain, il y a un poste de commandement de crise et nous sommes répartis sur différentes zones – la taille couverte dépend des moyens à disposition et de l'ampleur du sinistre. Nous nous organisons ensuite selon le secteur défini.
Nous recevons également des indications de la part des familles et de la population, par exemple sur la localisation des personnes. Mais avant de nous rendre à un endroit, nous évaluons le danger, car notre sécurité passe avant tout. Lors d'inondations, la recherche ne peut pas se faire tant que l'eau coule partout à grande vitesse. Nous devons attendre qu'elle se retire.
Pourquoi?
Lors d'un tremblement de terre, les personnes peuvent rester coincées sous les décombres ou plusieurs jours dans les sous-sols. Avec l'eau, le danger est que les gens soient piégés dans des caves ou emportés s'ils sont dans un véhicule.
Comment se passe «l'après» pour une région qui subit une catastrophe naturelle aussi violente?
Dans le sud-est de l'Espagne, la reconstruction prendra du temps. Quand l'eau se retire, la boue restante est difficile à enlever. Il ne s'agit toutefois que de dommages matériels. Ce sont les dommages psychologiques qui sont réellement difficiles à vivre. Le syndrome du survivant par exemple – «pourquoi j'ai survécu et pas les autres?» – peut être compliqué à gérer. Celles et ceux qui ont perdu des proches se demandent ce qu'ils auraient pu faire différemment.
Des pays comme la Suisse ou l'Espagne sont-ils préparés à faire face à de tels phénomènes météorologiques?
Le problème en Espagne est qu'il n'y a eu que peu de précipitations ces dernières années. Le terrain devient imperméable et quand il y a des pluies exceptionnelles, le résultat est catastrophique.
En Suisse notamment, les sols de nos villes sont étanches. Il n'y a plus de terre, les tuyaux qui récupèrent l'eau ont été dimensionnés à une époque où de telles pluies à une fréquence aussi rapprochée n'étaient pas envisageables. Des habitations sont construites proches de zones inondables. Il faudrait faire des travaux gigantesques pour remédier à cela. Nous avons donc encore une grande marge de progression.
Dès lors, comment la population peut-elle se protéger en cas de danger naturel?
En cas d'inondations par exemple, il ne faut pas fuir, même s'il s'agit d'un réflexe archaïque. Il faut prendre de la hauteur, monter dans les étages. Les parkings, les caves, les véhicules sont une mauvaise idée. Il est également recommandé de préparer un sac de survie. Je pense toutefois que si nous n'avons pas vécu ce type de phénomène dans nos tripes, il est difficile de prendre conscience de son ampleur. C'est dommage, car des événements aussi dramatiques vont continuer à se produire. Nous ne sommes qu'au début.