On a rencontré l'homme qui tente de briser le rêve de Trump
Alors que Donald Trump fanfaronnait la semaine dernière au Kaseya Center de Miami, à l'occasion de l’America Business Forum auquel participait aussi Lionel Messi, un fringant professeur à la retraite battait le pavé sur le trottoir d’en face.
Pourquoi le Dr. Marvin Dunn manifeste-t-il contre le président américain? Depuis deux mois, et malgré un agenda plutôt chargé, le gourou MAGA remet régulièrement au-dessus de sa pile de dossiers la future construction de la bibliothèque présidentielle. Un réflexe officiel et habituel de la part de tous les présidents américains depuis Herbert Hoover, locataire de la Maison-Blanche de 1929 à 1933.
Lors de son premier mandat, le 47e président envisageait de dédier quelques étages de la Trump Tower à cette future bibliothèque. Logique, après tout. New York est sa ville natale et le poumon de ses activités économiques.
Le hic? C'est désormais aussi la cité de ses multiples tracas judiciaires.
Voilà pourquoi Miami, pourtant à plus de 100 bornes de son manoir doré, est depuis deux mois l'écrin privilégié par Trump pour y faire pousser sa bibliothèque présidentielle. Or, les non-sens, les provocations et les oppositions s'accumulent autour du terrain censé accueillir un jour les premiers coups de pelle. On parle ici d’une parcelle de 1,06 ha, située Downtown, le long de l'important boulevard Biscayne.
Le lieu, qui est actuellement un parking appartenant toujours à l'Université de Miami-Dade et utilisé par son staff, aurait déjà dû être légué à l’Etat de Floride il y a un mois. Or, le fait que le Miami-Dade College puisse se séparer aussi facilement de cette parcelle publique, pour qu’elle tombe ensuite gratuitement dans la poche du président Trump, fait hurler les habitants.
Marvin Dunn, 85 ans, a porté plainte contre l’Université et a organisé plusieurs manifestations aux abords du parking de toutes les polémiques. Cet habitant de Palmetto Bay nous a reçu chez lui cette semaine pour évoquer ce qu’il considère comme une «aberration» et une «insulte à l’histoire de cette université et celle du quartier d’Overtown».
S’il se montre déçu qu’un terrain communal «d’une telle valeur symbolique» puisse un jour servir à «glorifier un politicien», qui plus est à l’entrée du centre-ville, Marvin Dunn précise qu’il n’en fait pas un «geste politique» pour autant et met d’entrée les choses au point:
Ce qui agace notre interlocuteur, c’est avant tout l’attitude du conseil d’administration de l’Université de Miami, qui n’a pas offert à la population la possibilité de débattre ouvertement de la décision de léguer «le terrain le plus précieux de Miami encore vacant», à l’Etat de Floride: «Il était important pour moi de savoir, en premier lieu, si la loi avait été violée. Or, la réunion du conseil a duré trois minutes et ils ont adopté cette mesure à l’unanimité. Cela ne tenait pas debout».
L’aspect humain est important:
Pour situer le contexte du combat mené par cet ancien officier de marine, Miami-Dade College est une université publique «qui accueille principalement des étudiants hispaniques et noirs», nous explique-t-il sur la terrasse de sa maison.
Une population qui s’était battue, à l’époque, pour avoir le droit d’y faire ses études. Pour ce docteur en psychologie ayant écrit de nombreux livres sur la condition des Afro-Américains en Floride, un tel bradage est un «scandale» et un «immense gâchis».
La plainte de Marvin Gunn a fait tellement de bruit qu’elle a eu des conséquences immédiates: «Nous avons obtenu une injonction empêchant l’Etat et le collège de donner le terrain. Il y aura ensuite un procès où les responsables devront s’expliquer».
Une première étape selon le professeur, car, l’objectif, il ne s’en cache pas, est d’empêcher purement et simplement ce don, et de «forcer la tenue d’une réunion publique». Une réunion qui risque de partir en vrille, tant la population ne veut pas de cette bibliothèque. Détail qui a son importance, porter plainte peut coûter très cher lorsque lon vit aux Etats-Unis. Marvin Dunn nous apprend que d’ici jeudi, il devra déposer 150 000 dollars en espèces auprès du tribunal, comme garantie exigée par le juge.
Comment s’attaque-t-on au président des Etats-Unis?
Seulement voilà, Donald Trump n’est pas n’importe quel citoyen du pays, mais l’homme le plus puissant de la planète. Le professeur a-t-il reçu ou même ressenti des pressions depuis qu’il s’attaque frontalement à la future bibliothèque du gourou MAGA? Craint-il de potentielles représailles?
Notre hôte, qui refuse qu’on le considère «comme un martyr», aura alors cette réponse diablement philosophe:
Marvin Dunn en est persuadé, s’il parvient à imposer une discussion publique autour de la future bibliothèque de Trump à Miami, «elle n’a aucune chance de passer la rampe et ne sera jamais construite sur le terrain du Miami-Dade College». Pour couronner le tout, il faut savoir que le parking en question est situé juste à côté de la Freedom Tower, un monument historique qui vient tout juste de rouvrir après rénovations.
La bâtisse, qui fête son centenaire cette année, était une terre d’accueil capitale pour tous les exilés cubains qui fuyait le régime de Fidel Castro. Pour l’importante communauté latino de Miami, il est donc insensé que Trump avec sa brutale politique d’immigration, puisse déposer «son tombeau narcissique», comme nous le dira un habitant croisé à côté dudit parking.
Pour Marvin Dunn, la population ne serait pas forcément contre une bibliothèque traditionnelle. Mais «ce que Trump veut construire, c’est une tour de 90 étages, un complexe hôtelier et commercial, qui profitera directement au président et à sa famille». Le professeur n’a pas tort. Selon les derniers bruissements lus dans la presse locale, le gourou MAGA compte en effet exposer «le Boeing 747 de 400 millions de dollars que la Maison-Blanche a obtenu gratuitement du Qatar».
Le 24 novembre prochain, le professeur entamera la deuxième phase de son bataille juridique, au tribunal. «Je suis confiant. Et je ne suis pas tout seul dans ce combat». Marvin Dunn, d’un naturel optimiste, semble tout aussi confiant pour 2028:
Avant de prendre congé, l’homme nous glisse dans un sourire qu’il voit bien le gouverneur démocrate Gavin Newsom remporter l’élection présidentielle en 2028.
De quoi fêter ses nonante printemps l’esprit serein?
