Melania Trump défend le droit à l'avortement. Elle en parle dans ses mémoires, à paraître le 8 octobre, et dont The Guardian a partagé des extraits.
Un avis qui contraste avec celui de son époux Donald Trump sur cette question clé de la présidentielle du 5 novembre prochain.
La position de l'ex-première dame et épouse du candidat républicain peut-elle avoir un impact sur le résultat de l'élection américaine? On en parle avec Marie-Christine Bonzom, spécialiste des Etats-Unis.
watson: A quel point la prise de position de Melania Trump est-elle conséquente, au regard des convictions opposées de son mari?
Marie-Christine Bonzom: Difficile de juger car The Guardian publie un extrait des mémoires de Melania Trump, on ne sait pas si c’est tout ce qu’elle dit à propos de l’avortement, on n’a pas tout le contexte. Elle se dit en tout cas favorable à l’avortement, sur la base de la liberté de la femme. La liberté, c'est un principe fondateur des républicains sur de nombreux autres dossiers, comme la liberté d’entreprendre dans le domaine économique. Pas sur le droit à l’avortement. Or, en ce moment, il y a un débat au sein même du parti au sujet de l'avortement, notamment avec Nikki Haley qui, tout en soutenant Donald Trump, prône un réexamen de cette thématique. Il y a le désir de formuler une nouvelle position pour les républicains qui soit marquée par le conservatisme, certes, mais par un conservatisme compassionnel, comme disait George W. Bush.
Dans nos pays, comme la France, l'avortement est autorisé jusqu’à 14 semaines [réd: en Suisse, jusqu'à 12 semaines de grossesse). Aux Etats-Unis, avant la fin de Roe V. Wade, on était bien au-delà, à 24 semaines. Or, si la majorité des Américains est favorable au droit à l’avortement, la plupart veut aussi limiter la durée légale à un nombre de semaines semblable à ce qui existe en Europe. Il y a une proposition de loi en ce sens, proposée par un allié de Trump au sénat, mais elle n’a trouvé aucun écho pour le moment. Mais pour en revenir à Melania Trump, ce qui est potentiellement intéressant aussi, c’est ce qu’elle ne dit pas.
La position de Melania est plutôt de nature à aider Donald Trump, ou au contraire, peut-elle miner sa campagne?
Trump lui-même a évolué sur la question de l’avortement. Quand il était encore démocrate, il était pro-avortement. Il pense aujourd’hui qu'il s'agit d'un dossier qui fait perdre des élections aux républicains, en tout cas une bonne partie du vote féminin. Donc, il esquisse en ce moment une espèce de compromis, il promet notamment d’opposer son veto à toute interdiction de l’avortement au niveau national, ce qui déplaît à certains militants évangéliques. On voit à quel point c’est un dossier clivant au sein même du parti. Le fait que Melania prenne position dans son bouquin, ça peut aller dans les deux sens…
JD Vance a lui aussi montré une certaine évolution dans son débat face à Walz sur la question de l’avortement.
Dans son livre, Melania écrit aussi: «Les désaccords politiques occasionnels entre mon mari et moi font partie de notre relation, mais je pensais qu’il valait mieux les aborder en privé plutôt que de le défier publiquement». Pourquoi ce changement?
Elle n’aime pas trop la politique, et on la comprend… Elle s’est gardée de faire campagne cette année. On l’a très peu vue, elle était présente à la convention républicaine, mais sans y faire de discours, alors qu'elle en avait fait un l'année précédente, en 2020 et en 2016.
Mais elle reste très populaire chez les républicains et c’est important qu’elle prenne position publiquement sur ce sujet. Cela reflète les désaccords qui peuvent exister au sein de certains couples américains sur des sujets dits de société, comme au sein du parti républicain. Nikki Haley l’a fait avant elle. Mais, contrairement à Melania Trump, Haley est très mal perçue par la base trumpiste du parti.
Ce livre, outre le fait de permettre à Melania Trump de faire part de ses opinions, c'est forcément une forme de stratégie du clan trumpiste, non?
Ce n'est pas clair. A l'inverse de Nikki Haley, Melania peut être un vecteur pour ces débats, qui plus est grâce à un livre que son mari soutient, mais tout en disant ne pas l’avoir lu, d’ailleurs! Il n’est pas impossible que les deux en ait parlé, l’inverse est aussi possible. On sait qu'avant de se lancer dans l'arène politique en juillet 2015 chez les républicains, non seulement Donald Trump était un démocrate, mais il avait aussi donné de l’argent à des candidats démocrates, y compris à Hillary Clinton quand elle briguait le poste de sénatrice de New York.
En tout cas, ce n'est pas la première fois que Melania s'oppose à son mari, ils ont une relation où chacun reste lui-même. C'est une sorte de partenariat.
Soulignons-le tout de même, le livre va sortir moins d'un mois avant l'élection...
Bien sûr, donc de deux choses l'une. Soit c'est son opinion à elle, qui n'est pas partagée par Donald Trump et il la respecte. Soit c'est une opinion qu'il partage au moins en partie. Ou qui est exprimée pour faire avancer le dossier chez les républicains, et également pour signaler aux républicains modérés qui hésitent encore à voter Trump que sur des dossiers comme celui-là, il pourra y avoir une évolution.
Vous vous attendez à quel accueil pour ce livre?
Dans des Etats-Unis empoisonnés par l’hyperpolarisation, l’accueil sera sans doute chaleureux parmi les républicains et très froid parmi les démocrates. Melania Trump a déjà été extrêmement vilipendée par le parti démocrate pendant les quatre années de présidence de son mari, et même ridiculisée pour son fort accent slovène quand elle parle anglais.
Pendant la présidence de son mari, elle et des membres de sa famille, y compris son fils Barron, ont été cloués au pilori.
Mais est-ce que tout le monde va se ruer pour acheter ses mémoires? Est-ce que ça va faire l'effet d'un pavé dans la mare, ou aura-t-on déjà tout oublié une semaine après?
Le rythme politico-médiatique s’est extraordinairement accéléré aux Etats-Unis. Vous l'avez vu, il y a eu deux tentatives d'assassinat contre le principal opposant à l'actuel président, et au bout d’une semaine, les médias américains sont passés à autre chose. Il y a des sujets dans la campagne en cours qui, quand j'étais journaliste là-bas, auraient fait la une pendant des jours, voire des semaines, mais aujourd'hui, les médias passent très rapidement au sujet suivant. Donc, il y a fort à parier que le livre de Melania Trump aura un certain écho à sa sortie et moins ensuite. A moins qu'il y ait des passages sur l'avortement ou sur l'immigration qui aillent vraiment à l'encontre de la campagne que fait son mari.