C'est au Sports Grill de Kendall, un bar aux abords de l'autoroute 874, à une vingtaine de minutes de Miami, que le caucus latino du comté se retrouvait ce 1ᵉʳ octobre, pour soutenir l'homme qu'il rêve de voir devenir vice-président des Etats-Unis. Sitôt un pied posé à l'intérieur de cet établissement qui baigne dans son jus et l'odeur de burgers, Manuel, la vingtaine, nous accueille avec chaleur. «Oh venez, entrez! Faites comme chez vous!»
Quand on lui confesse notre surprise de dégoter un bastion démocrate dans cet Etat rouge vif, l'étudiant opine du chef. «Oui, j'ai pas mal de copains avec qui je ne dois surtout pas parler de politique, sinon, je sais que ça va mal tourner.» Il se refuse pourtant à quitter la région pour des contrées qui partagent davantage ses convictions, comme New York ou la Californie. Délégué du parti démocrate en Floride, ce qui lui a valu d'être convié à la Convention nationale de Chicago en août dernier, Manuel compte rester là «encore dix ans» s'il le faut.
Sur cette promesse, le jeune homme nous dirige vers une salle surchauffée du restaurant, manifestement trop petite pour accueillir la cinquantaine d'élus, adhérents, bénévoles et supporters bientôt amassés pour assister à cette première joute télévisée entre Tim Walz et JD Vance.
Si les chaises manquent, ce n'est pas le cas des pancartes bleues, ni des t-shirts à l'effigie de Kamala Harris et de son colistier. Nous parvenons à dégoter une place à côté de Georgina, une enseignante fortement impliquée dans le parti depuis qu'elle est à la retraite. Excitée comme une puce et concentrée. «C'est bon de pouvoir afficher ses couleurs et son soutien à Kamala Harris sans gêne, admet cette Floridienne de longue date, la larme à l'œil. Je n'ose même pas planter une pancarte sur ma pelouse, parce que je sais que mes voisins sont pro-Trump et j'ai peur des conséquences».
Mais pour elle non plus, pas question de quitter la Floride et son climat politiquement brûlant. «C’est pareil partout, vous savez. J’ai vécu en Caroline du Nord et à New York, et sitôt qu’on sort des villes, ils ne sont plus très démocrates non plus! Ces divisions, c’est un problème à l’échelle du pays.»
Pendant que les frites, les chicken wings et les premières attentes sur le débat imminent s'échangent bruyamment entre les tables, les organisateurs se chargent d'entamer les festivités avec une allocution. A commencer par Miguel, membre du parti, qui enjoint la foule à se bouger pour la dernière ligne droite de la campagne. «Le comté de Miami-Dade est critique», tient-il à rappeler. «Alors, je compte sur chacun d'entre nous pour prendre part aux votes anticipés et mobiliser des soutiens autour de vous, ok?»
Puis c'est au tour d'un invité surprise d'apparaître, pour le plus grand plaisir de l'assemblée. Tony West, beau-frère de Kamala Harris et mari de sa sœur Maya, qui a choisi la Floride pour assister au débat vice-présidentiel.
En revanche, il ne s'attarde pas. Juste le temps d'une brève séance-photos et d'un mot pour watson et la Suisse.
Nous n'aurons pas le temps de lui courir après pour arracher davantage d'informations sur sa célèbre belle-sœur et sa culture helvétique. Le débat démarre enfin. L'ambiance est survoltée et la salle explose en applaudissement dès que le chouchou, Tim Walz, prend la parole. Suivi d'un éclat de rire général, sitôt la première pique lancée à son adversaire, JD Vance. Quand ce dernier prend la parole, les visages se crispent.
«Booooooh!» marmonne Rosa, une autre voisine de tablée, en touillant sa salade, lorsque la caméra se focalise sur le visage du rival républicain. «Il me fatigue déjà alors qu'il cause depuis vingt secondes», ajoute-t-elle avec une grimace. «JD Vance ressemble à un républicain imaginé par l'intelligence artificielle», renchérit Jimmy, assis juste à côté.
Dans cette ambiance, impossible de déterminer lequel des deux candidats à la vice-présidence survole réellement le débat. Chaque intervention de Tim Walz est accompagnée d'une salve d'encouragements qui biaise notre jugement. Alors que des cris indignés s'élèvent quand son rival lui donne la réplique - sans oublier une bonne poignée d'insultes.
Le débat touche à sa fin. Au Sport Grill de Kendall, les mines sont enjouées et l'enthousiasme intact. Manuel est ravi: «Il a assuré! J'ai envie de le prendre dans mes bras! C'est vraiment le deuxième papa de l'Amérique. Il est tellement cool!», se réjouit l'étudiant.
Autour d'un dernier verre, nous demandons à Lee, patron d'une boîte spécialisée dans la protection des fonds marins, s'il a apprécié le spectacle. «Je crois que Walz s'est bien débrouillé. Mais je suis surtout fatigué d'entendre les ramassis de mensonges de la bouche de JD Vance, soupire le sexagénaire. Vous savez... Mon père, qui a combattu pendant la Deuxième Guerre mondiale, m'a toujours prévenu que le fascisme reviendrait».
Sur cette sinistre prédiction, nous sautons dans un Uber. Les yeux rivés sur l'autoroute, John, le chauffeur, demande si nous avons regardé le débat: C'était comment? Je n'ai pas écouté. Bah, je suppose que je découvrirai ça en deux minutes en scrollant sur Internet».
Notre chauffeur n'a pas tort. L'euphorie générale retombée, dans le silence feutré de la voiture, les gros titres des médias américains et l'article du collègue de watson sur la «grosse bourde de Tim Walz» suffisent à réaliser que le «papa» des démocrates a raté son débat.
Il faudra sans doute bien plus que cela pour entamer l'enthousiasme des irréductibles démocrates du comté de Miami-Dade.