Ces arnaques promettent le rêve américain pour piéger des Suisses
«Le Canada a besoin de travailleurs francophones, et vite! Vous pouvez postuler immédiatement pour obtenir le statut de résident permanent et immigrer au Canada avec votre famille». Ce message nous a été adressé, ce week-end, par une certaine Kristen R. Carr, supposément responsable des relations publiques pour la société Canadian Visa Expert.
Bien sûr, nous ne sommes pas les seuls à avoir reçu la bonne nouvelle: c’est un spam.
Dans la foulée, on apprendra que les Etats-Unis seraient, eux aussi, très impatients de nous accueillir. Cette fois, au lieu de Kristen R. Carr, c’est une certaine Regina Baker, présentée comme une coordinatrice des inscriptions auprès de l’USAFIS, qui nous invite à remplir promptement le formulaire d’admission.
Détail qui a son importance: ce dernier email a été en réalité envoyé par une adresse qui appartient à Canadian Visa Expert. Tout se recoupe? Oui, sauf la fiabilité des informations. Car ces hameçons à expats en puissance sont souvent de pures et simples pièges.
En fouillant un peu, on découvre que cette Kristen R. Carr possède un compte Facebook ouvert depuis des lustres, sur lequel elle ne promeut que les programmes de la société Canadian Visa Expert qui, si elle existe bel et bien, fait partie d’un gros sac d’entités qui répondent toutes à des envies d’ailleurs: «L'organisation USAFIS fait partie d'un groupe qui comprend AbroadEd, Canadian Visa Expert, Jobs Across The World et Natively Academy», lit-on dans l’onglet politique de confidentialité.
Oui, c’est du marketing en ligne. En aucun cas un cabinet d’avocats de l’immigration et encore moins un département d’Etat lié au Canada ou aux Etats-Unis. Prudente, cette société basée Autriche précise toutefois sur tous ses sites, en petits caractères, qu’elle n’est pas «habilitée à délivrer des visas». Mais l’obtention d’une autorisation d’établissement dans un pays étranger est souvent un tel parcours du combattant que les proies se laissent facilement berner par une démarche soi-disant facilitée.
S’il existe une cargaison de sites qui, moyennant un forfait à un prix exorbitant, proposent un accompagnement VIP vers l’obtention du précieux sésame (promettant parfois des taux de réussite qui frôle les 100%) l’aventure se termine souvent par un refus et un gros trou dans le porte-monnaie.
Un cauchemar subi notamment par cette Parisienne d’une cinquantaine d’années qui rêvait de «tout recommencer» au Canada, mais qui a été finalement délestée de plus de 5000 francs en plusieurs étapes, sans rien en bout de course: «Ils m’ont vendu du rêve. Selon eux, j’étais admissible pour venir au Canada. Ils m’ont dit qu’ils pourront m’avoir un visa, un logement et un travail», expliquait Anne Donguy à Radio-Canada. En vain.
Le média rappelait d’ailleurs, l’année dernière, que «c’est une infraction, aux yeux des lois canadiennes, de représenter ou conseiller une personne en matière d’immigration, à moins d’être un conseiller réglementé, un homme de loi ou un notaire». Même son de cloche du côté de l’avocate américaine Nathalie F. Scott, contactée par watson, qui conseille d’identifier «un cabinet d’avocat fiable, pas une usine avec un avocat à la tête que le client ne verra jamais et des dizaines de petites mains qui sont payées une misère – parfois par nombre de dossiers - et n’ont qu’un training “light”».
Le graal? La Green Card!
Si les mois d’octobre et de novembre sont d’abord synonymes d’Halloween et de Thanksgiving de l’autre côté de l’Atlantique, c’est aussi la période de la célèbre loterie pour tenter d’obtenir une précieuse carte verte, ouvrant chaque année la porte à 55 000 travailleurs désireux de tutoyer le rêve américain.
Une saison forcément fertile en arnaques en tout genre.
Il y a peu, les spécialistes pouvaient encore alerter facilement contre les arnaques à la carte verte en rappelant que la participation à cette Green Card Lotery était gratuite. Depuis 2025 (et Donald Trump), l’inscription à la loterie coûte désormais un dollar. Si cela peut paraître anodin, c’est en réalité un nouveau revenu sans effort pour les Etats-Unis, puisque près de 25 millions de ressortissants étrangers tentent chaque année leur chance.
Alors que, d’ordinaire, la fenêtre d’inscription pour le Diversity Visa Lottery Program est ouverte de début octobre à début novembre, cette année, la loterie pour l’obtention d’une carte verte en 2027 se fait méchamment attendre. Si le département d’Etat a assuré tout récemment que «le programme continuera à être mis en œuvre comme l'exige la loi», aucune explication n’a été avancée pour justifier le retard.
Depuis que l’administration Trump est au pouvoir, plusieurs changements majeurs au niveau des permis de travail ont été annoncés fin septembre, à l’instar d’une salve de frais pour toute entreprise américaine désireuse d’engager un employé étranger: le visa H1-B, très utilisé par les employeurs américains pour attirer des spécialistes hautement qualifiés, leur coûtera désormais la somme invraisemblable de 100 000 dollars.
Ce qui a créé un gros vent de panique dans la Silicon Valley, les aéroports, mais également chez Microsoft ou Amazon. Cette dernière avait d’ailleurs alerté ses travailleurs étrangers par l’intermédiaire d’un mémo carrément alarmiste:
La grande question sera de savoir si, depuis l’élection de Donald Trump il y a un an et sa politique migratoire secouante, l’American Dream fait toujours autant rêver les étrangers, au point de tenter leur chance à la loterie de la carte verte, avec le même engouement que dans le passé.
En Suisse, si la plupart des citoyens expatriés s’installent en Europe (la France en tête), les Etats-Unis sont tout de même sur la troisième marche du podium, avec 84 700 résidents. A noter enfin que, depuis le début de l’année 2025, 68 000 Suisses ont déjà choisi d’émigrer dans un autre pays. «Un record sur dix ans», relayait Blick lundi, citant le tout récent baromètre immobilier de la Banque cantonale de Zurich. Maître Nathalie F. Scott a-t-elle constaté elle-même une baisse des dossiers de visa américain dans son quotidien? «Disons que plusieurs sociétés qui m’avaient contactée n’ont plus donné signe, donc je suppose qu’elles ont laissé tomber, mais elles ont aussi pu décider d’utiliser l’une de ces usines à visas».
Et puis, si le Graal standard venait à vous résister, il reste le pass VIP dégoupillé par Donald Trump pour booster l’économie américaine et attirer les plus riches d’entre nous. Seul hic, il vous faudra débourser (au minimum) cinq millions de dollars pour espérer posséder cette fameuse «Gold Card».