«Qui diable est Mike Johnson?»
Il est un peu plus de 20 heures, mardi soir, lorsque les républicains se rassemblent dans l'atmosphère feutrée d'une salle de commission du Capitole, pour une réunion à huis clos. Leur objectif est clair, les moyens pour y arriver beaucoup moins: désigner un nouveau président. Quelqu'un d'assez fort pour se résister au mur d'opposition contre lequel les trois premiers candidats se sont fracassés. Quelqu'un d'assez intelligent pour rafler les quelque 217 votes indispensables. Et de de «suffisamment stupide» pour vouloir briguer le poste.
Quelqu'un capable de mettre fin, enfin, au chaos absurde qui règne depuis 22 jours et paralyse la Chambre des représentants, au beau milieu d'une crise mondiale. Autant dire que la mission semble vouée à l'échec.
Et pourtant. Il est environ 22 heures 30 lorsque les portes s'ouvrent pour laisser pénétrer les journalistes. Ils notent que quelque chose sur les visages a changé. Cela relève plus que du simple épuisement. Les sourires rayonnent. Au milieu de la salle, un certain Mike Johnson. Le futur speaker de la Chambre des représentants. Celui que toute la classe politique américaine attendait comme le messie.
«Who's Mike Johnson?»
Mais c'est qui, lui, au juste? Hormis un binoclard au nom et au physique relativement communs? Un type au look d'intello, lisse, sage, un sourire rassurant ne trahit rien, à l'exception d'un soupçon de timidité?
Un illustre inconnu sur la Colline, y compris pour de nombreux républicains. Alors que le vote nominatif se tient au milieu de la Chambre, une collègue de parti a voté par erreur pour «Mike Rogers», avant de se corriger. Pardon, elle voulait dire «Mike Johnson»! Dans un discours pour féliciter le nouveau président, un autre camarade l'appelle «Jim Johnson». Enfin, sur CNN, une sénatrice reconnaît qu'elle devra le chercher sur Google.
Alors qu'il s'empare du marteau et endosse son titre de président de la Chambre, Mike Johnson l'inconnu lui-même semble un peu surpris. Dans un discours mesuré, presque gracieux, au ton pastoral, il admet que tout s'est produit si «soudainement», que sa femme «n'a pas pu prendre un vol à temps».
Hélas, comme on ne tardera pas à le découvrir, derrière son apparence lisse de premier de la classe et son patronyme d'Américain moyen, Mike Johnson est loin d'être aussi «innofensif» qu'il n'a bien voulu le faire croire. Son anonymat l'a rendu acceptable. Son manque d'expérience ne lui a pas laissé le temps de se faire des ennemis. Désormais, l'«obscur législateur» républicain de Louisiane va montrer ce qu'il a dans le ventre.
A droite toute
Même si ses proches collaborateurs aiment à le décrire comme un «type sympa», «sincère», «honnête», un mec «propre comme une dent de chien» qui «affronte les défis avec sérieux et humilité», c'est peu dire que Mike Johnson n'a rien du gentil républicain modéré. Lui, c'est un conservateur ardent, un vrai de vrai.
Quand il ne co-anime pas un podcast sur la foi en politique avec sa femme, cet avocat constitutionnel de métier, représentant à la Chambre depuis 2016, combat farouchement le mariage homosexuel, le droit à l'avortement, l’assurance-maladie, la lutte pour le climat. Vous voyez le genre.
Mais le plus grand état de fait de ce trumpiste passionné, c'est certainement d'avoir joué un rôle-clé dans les efforts pour saper le résultat de l’élection présidentielle de 2020 et maintenir Donald Trump au pouvoir. Contrairement à certains collègues républicains plutôt grandiloquents, c'est en coulisses que Mike Johnson a œuvré. Dossiers juridiques, séances stratégiques à huis clos du Parti républicain et conversations privées avec Trump: l'«obscur législateur» n'a pas ménagé ses efforts dans sa croisade passionnée pour prouver que l'élection aurait été volée.
Une conviction fondamentale, profonde, qui a sans doute permis de propulser cet obscur législateur des ténèbres de la Chambre, au poste de républicain élu le plus haut placé des Etats-Unis.
Pourtant, depuis qu’il a remporté la présidence, Mike Johnson évite de s'en vanter. Lorsqu'une journaliste insiste pour savoir s’il maintient sa version sur les élections volées en 2020, il esquive soigneusement. La question est loin pourtant d'être anecdotique. Elle pourrait, au contraire, dessiner sa présidence - et s'avérer décisive au terme de la prochaine élection présidentielle, si Mike Johnson s'avérait toujours speaker en janvier 2025, au moment de ratifier le prochain président.
Un défi colossal
Dans l'immédiat, Mike Johnson a d'autres problèmes plus urgents que la prochaine élection présidentielle: il ne lui reste que trois semaines pour mettre en place un budget avant la très redoutée fermeture du gouvernement. Il lui faudra aussi plonger tête la première dans le dossier épineux de l'aide à Israël et l'Ukraine, ainsi que des milliards supplémentaires à débloquer pour la sécurité de la frontière sud.
Autant de défis que le nouveau speaker s'apprête à affronter sans expérience ni relation avec les autres personnalités clés du gouvernement. Ajoutez-y une majorité mince comme un rasoir, un caucus indiscipliné et l'épée de Damoclès que représentent les extrémistes de la Chambre. Sans oublier les démocrates, déjà écœurés à l'idée de devoir collaborer avec cet «extrémiste MAGA». Autant dire que la marge d’erreur de Mike Johnson s'avère quasi nulle. Et le job pas simple.
Pas sûr que se cacher sous la figure du «type sympa» suffise cette fois à l'illustre inconnu, qui cachait si bien son jeu.
