Il est encore très tôt, ce mercredi 9 août, lorsque les agents fédéraux glissent leur véhicule dans une rue résidentielle paisible de la ville de Provo, dans l'Utah. Le temps est clair, le soleil se lève, les montagnes Wasatch en arrière-plan dorment encore. Tout est calme. Au carrefour du 400 North et 1200 West, ils s'immobilisent.
Ils ont un mandat d'arrêt et de perquisition à l'encontre d'un certain Craig Deleeuw Robertson, 75 ans. Le retraité est accusé d'avoir proféré, pendant des mois, de lourdes menaces contre le président Joe Biden et plusieurs autres personnalités politiques de premier plan.
Quelques minutes plus tard, à 6h15, un «boom» alerte les voisins. On entend des «coups de feu». Et puis, plus rien. A l'heure du premier café, le voisinage apprend la nouvelle: Craig Robertson est mort.
Deux jours plus tôt, il annonçait encore, sur Facebook, avoir «entendu dire» que le président Joe Biden s'apprêtait à passer par l'Utah. «Je sors mon vieux costume de camouflage et je nettoie la poussière de mon fusil de sniper M24. Bienvenue, bouffon en chef!», a-t-il juré.
Ça avait pourtant l'air d'être un brave type, ce Craig Robertson. Une «icône établie» dans la communauté, assure à AP News Travis Lee Clark, un habitant du coin qui le connaît depuis des années, pour avoir travaillé ensemble dans la paroisse.
Marié à deux reprises, père de trois enfants, cet ancien inspecteur dans le domaine de l'acier de construction et de la soudure pendant 45 ans. Une fois à la retraite, il a lancé sa propre entreprise, Craig's Custom Woods, où ce menuisier «magistral» fabrique des pièces de sur mesure. D'ailleurs, le septuagénaire qu'on dit de «santé fragile», s'appuie sur une canne personnalisée de sa propre conception.
Bref, rien n'indique que ce papy encore actif soit vraiment dangereux. La seule trace dans son casier judiciaire remonte à 1997, pour «conduite désordonnée», une infraction qui lui a valu une amende de 100 dollars.
Alors, certes, ce vétéran de l'armée de l'air est un vrai «baby boomer», «très politique», et il fait parfois des «blagues décalées». C'est aussi un fervent fan de Trump. Un vrai «MAGA TRUMPER» comme il se décrit sur Facebook, où ce «membre à vie de la NRA» poste régulièrement des photos de sa collection d'armes à feu. Fusils AR, fusils de chasse, armes de poing: il y en a au moins une vingtaine. Bah, «rien d'inhabituel pour la région», assure son voisin Travis Lee Clark.
«Il croyait en son droit de porter des armes. Il croyait en son droit de dire ce qu'il ressentait. En fin de compte, il savait que le Seigneur n'aurait pas approuvé de tuer des innocents», affirme Paul Searing, un homme d'affaires qui connaissait bien le personnage.
En effet. Voilà plusieurs mois que Craig Robertson est tombé dans le viseur du FBI pour ses publications, où il décrit longuement ses fantasmes de meurtre contre les démocrates du gouvernement, dont il appelle à «l'éradication» pure et simple.
Le président Joe Biden, le «bouffon», et sa vice-présidente Kamala Harris, évidemment, mais aussi cette «salope» de Letitia James, procureure générale de New York et cette «fouine démente» de Merrick Garland, procureur général, qui enquêtent tous deux sur Donald Trump.
Craig Robertson partage aussi avec les internautes ses «rêves patriotiques». Dans l'un, il se tient au-dessus du procureur général des Etats-Unis, Merrick Garland, «avec un trou de balle au milieu du front».
C'est au mois de mars que le FBI est alerté par cette publication sur la plateforme Truth Social. Le nom d'utilisateur, @winston4eagles, qui a été suspendu depuis, est rapidement associé à Craig Robertson.
Il ne croit pas si bien dire. Le 19 mars 2023, deux agents spéciaux du FBI se présentent au domicile de Craig Robertson, à Provo.
Casquette «Trump» vissée sur le crâne, costume sombre et chemise blanche où pend une «épinglette de fusil de style AR-15», le retraité leur ouvre la porte. A ces visiteurs indésirés, il assure que sa menace initiale n'était qu'un «rêve» et exige qu'ils ne reviennent pas sans mandat. Dans une publication sur Facebook, quelques jours plus tard, le septuagénaire jure:
Quelques jours plus tard, Craig Robertson en rajoute une couche:
Le 21 juillet, il écrit enfin: «Si je vous disais vraiment ce que j'aimerais faire à Joe Biden, Facebook me censurerait et le FBI me rendrait une autre visite».
Ce mardi, Craig Deleeuw Robertson est officiellement inculpé devant le tribunal de Salt Lake City. Il est visé par trois chefs d'accusation, liés à des menaces contre le président, d'autres élus et les agents du FBI enquêtant sur lui. L'arrestation doit avoir lieu le lendemain, aux aurores. Rien ne se passera comme prévu.
Le déroulé des évènements ayant mené à la mort de Craig Robertson, mercredi matin vers 6h15, est encore flou. Dans un communiqué, le FBI a déclaré enquêter sur une «fusillade impliquant un agent». «Comme il s'agit d'une affaire en cours, nous n'avons pas d'autres détails à fournir», conclut l'agence.
Selon le témoignage d'un responsable de l'application des lois fédérales à l'Associated Press, qui a requis l'anonymat, Craig Robertson était armé au moment de l'arrivée des autorités. Le reste est un mystère.
En ce qui concerne Joe Biden, il s'est envolé pour l'Utah mercredi, avant une visite dans un hôpital des anciens combattants prévue jeudi à Salt Lake City. Selon un responsable de la Maison Blanche au New York Times, le président a été informé des évènements sitôt après le raid.
Parmi les membres de la famille de Craig Robertson, seule sa belle-fille, Julie, s'est exprimée jusqu'à présent dans les médias: mercredi, elle a lâché à la chaîne NBC News qu'elle traverse une «période très, très difficile pour la famille». Ajoutant que les autorités avaient parlé à son mari et qu'il tentait de recueillir davantage d'informations, elle a conclu: «Il essaie juste de faire le point en ce moment.»
Tout comme le FBI, afin de tirer au clair les circonstances qui ont mené à la fin de Craig Robertson. Vu les réactions explosives de la droite américaine, la fin de l'affaire, elle, n'est pas pour tout de suite.