«Si j'ai un problème d'alcool, je devrais figurer dans le Livre Guinness des records du monde!» Rudy Giuliani balaie d'un grand éclat de rire des années de murmures anxieux. A l'occasion d'un point de presse dans le New Hampshire ce mercredi, l'ancien maire de New York, 79 ans, est invité à réagir à la toute dernière actualité à son sujet. Une longue enquête, publiée quelques heures plus tôt dans le New York Times, consacrée à son alcoolisme présumé.
«C'est un gros mensonge. Un mensonge malveillant typique du New York Times», assure l'avocat en brandissant ses diverses réalisations et performances professionnelles. Un certificat médical sous forme de CV, en guise de preuve de sa bonne santé. Pourtant, des couloirs de la Maison-Blanche aux bars à cigares cossus de New York, son penchant pour la bouteille est un secret de polichinelle. Un secret qui l'est de moins en moins, au fil des frasques et prises de parole déroutantes.
Fût un temps pourtant où l'ancien maire ne buvait pas. Alors qu'il règne sur New York au début des années 2000, Rudy Giuliani veille à limiter sa consommation d'alcool au strict nécessaire. Soif de contrôle et vigilance obligent. Outre son instinct qui lui dicte de ne jamais baisser la garde en présence des élites de la ville, il tient à projeter l'image d'un chef mobilisable à tout moment en cas d'urgence.
Les attentats lui donneront raison de sa vigilance. Le 11 septembre 2001, Rudy Giuliani devient un emblème mondial de leadership. Une démonstration de sang froid sur laquelle il capitalise énormément pour lancer sa campagne présidentielle, après avoir quitté la mairie.
Hélas pour Rudy Giuliani, son statut de héros érigé sur les ruines et dans la poussière du Wall Trade Center ne suffit pas à le consacrer comme candidat. En 2008, sa campagne et son moral s'effondrent. Le début d'une période sombre. Et des premières témoignages d'une consommation d'alcool excessive, selon les sources du New York Times.
La suite, on la connait surtout grâce à son ex-femme, Judith. Sa «dépression clinique». Les semaines passées à Mar-a-Lago, sur les terres et sous la protection de Donald Trump. L'errance hébétée de Rudy sur les terrasses et les restaurants select des Hamptons, dans l'espoir vain d'être accosté par un admirateur. Le tout sur fond de verres de whisky.
Mélancolie, ego blessé, paranoïa, besoin de reconnaissance et d'attention: tout ce qui bouillonnait depuis longtemps chez l'ancien maire de New York se serait retrouvé exacerbé par l'alcool.
Ce n'est toutefois qu'en 2016, alors que Rudy Giuliani s'est trouvé une raison de vivre dans la campagne présidentielle de Donald Trump, que les épisodes d'ivresse commencent à générer des inquiétudes dans son entourage. Les incidents embarrassants se succèdent et ne se ressemblent pas. Un dérapage islamophobe lors d'un important dîner avec des clients. Une chute «due à l'ivresse» qui lui vaut une hospitalisation. Des propos délirants lors d'un dîner commémoratif du 11 septembre. Autant d'épisodes qui achèvent définitivement d'enterrer la réputation de l'ex-héros.
Les choses ne vont pas aller en s'arrangeant après son arrivée à la Maison-Blanche, aux côtés de Donald Trump. A la fin de sa journée, l'avocat et conseiller personnel du président va se détendre et s'hydrater au bar du Trump International Hotel de Washington. Il fait tellement partie des meubles qu'on fait installer une plaque à sa table préférée. «Bureau personnel de Rudolph W. Giuliani».
Au-delà d'être source de blagues potaches, les épisodes d'ivresse récurrents de Giuliani sont surtout considérés comme un véritable fléau médiatique. Car il n'est pas rare pour Rudy d'enchaîner l'apéritif avec une interview tardive sur Fox News. Chacune de ses apparitions à l'antenne est scrutée fiévreusement. «Cela se voyait», glisse un conseiller de Trump au New York Times.
L'intéressé, lui, maintient qu'il n'a jamais donné d'interview sous l'emprise de l'alcool. «J'aime le scotch», admett-il en 2021. Avant d'entamer, encore et toujours, le même refrain.
Mais comment expliquer que les habitudes de consommation de Rudy Giuliani soit passées de simples murmures et ricanements entre initiés, à une affaire d'Etat?
Souvenez-vous. Le soir des élections du 3 novembre 2020, alors que le décompte des voix touche au but et qu'il sent son second mandat lui échapper, Donald Trump fulmine. C'est alors qu'un fidèle conseiller, enfiévré et exaltant un fort parfum d'alcool, se penche sur son épaule pour lui intimer l'impensable: faire fi des résultats et revendiquer la victoire. Ce conseiller «définitivement ivre», c'est Rudy.
«Ivre», mais à quel point? Suffisamment pour que cela saute aux yeux de Donald Trump, le grand abstinent autoproclamé, qui s'est déjà gentiment moqué du penchant de son associé pour la boisson? C'est toute la question à laquelle les procureurs, chargés d'enquêter dans le cadre du procès fédéral de Trump pour ingérence électorale, doivent répondre aujourd'hui.
La réponse pourrait sérieusement empiéter sur les efforts de l'équipe juridique de l'ancien président américain. Jusqu'à présent, leur stratégie consiste à le présenter comme un client, s'inspirant innocemment des indications de ses conseillers et avocats. Si l'ivresse de Rudy Giuliani était aussi manifeste que les témoins l'ont laissé entendre, l'argument de la confiance aveugle pourrait perdre sérieusement de sa valeur.
Pendant ce temps, Rudy Giuliani tente également de se dépatouiller de son propre marasme judiciaire. Outre ces accusations de racket électoral en Géorgie, il doit se sortir d'un procès pour diffamation, ainsi que d'accusations de harcèlement sexuel. Alcoolisme ou pas, le nom de l'ancien homme fort de New York s'annonce aussi facile à laver qu'une tâche de vin rouge sur une chemise blanche.