S'il vous venait l'idée toute naturelle de consacrer une thèse à la généalogie des corgis d'Elizabeth II ou à la passion de Charles III pour les rosiers, n'espérez pas vous plonger dans les archives royales pour vous documenter.
Sur l'échelle de la censure, la royauté britannique régate aux côtés du régime nord-coréen de Kim-Jong Un. A la différence que, dans un Etat totalitaire, les règles de censure sont claires. Chez les Windsor, savoir qui a la main sur la conservation, la destruction ou la publication des documents demeure un mystère quasi absolu.
Son opacité est telle que la monarchie vient récemment d'être épinglée par une ONG garante de la liberté d'expression. Depuis cinquante ans, Index on Censorship, organisation basée à Londres, dénonce la censure pratiquée par les Etats à travers le monde. Mais pas seulement. Elle enquête aussi sur celles qui s'appliquent sur son sol, comme le prouve son dernier «rapport spécial», tout entier consacré à la Couronne. Autant dire que ses conclusions sont révélatrices.
Parmi les dossiers historiques frappés du secret pour encore des décennies, peu de documents réellement «sensibles», au sens sécuritaire du terme. Vous trouverez autant de «souvenirs royaux» potentiellement embarrassants que de dossiers aux intitulés nébuleux («la Couronne royale et les montres de poche d'Allemagne»).
Au Royaume-Uni, les archives de la monarchie ne sont pas considérées comme publiques. Libre à la famille royale de les publier ou non. Légalement, rien ne l'y oblige. Il n'existe pas non plus d'inventaire public qui répertorie ces documents. «En Amérique, il incombe au gouvernement de justifier la fermeture, alors qu'au Royaume-Uni, c'est le contraire», explique l'historien Andrew Lownie au Daily Beast.
A l'instar des services secrets britanniques, les dossiers royaux sont exempts de toutes les législations sur la liberté d'information. Seule différence: les historiens les plus patients peuvent toujours espérer que certains documents d'espionnage finissent aux archives nationales, au bout de quelques années.
Le gouvernement britannique a fait lui-même de gros efforts en matière de transparence. La période pendant laquelle les archives publiques peuvent être tenues secrètes est passée de 50 à 20 ans. La monarchie, elle, n'a pas fait la moindre concession.
En 2000, au moment de l'adoption d'une nouvelle loi sur la liberté d'information, la monarchie a carrément bénéficié d'une clause d'exception. Un privilège qui lui permet de contrôler son propre récit et dont elle compte encore faire usage encore longtemps. La preuve: en 2022, le testament du prince Philip a été scellé pour les 90 prochaines années.
Comble de l'horreur, les royals peuvent effacer à l'envi toutes les archives compromettantes susceptibles d'écorner leur réputation. Dans les sombres recoins du château de Windsor, beaucoup d'archives ont été perdues, dissimulées, voire détruites.
Certains fidèles valets royaux auraient eu recours à un véritable processus de «vandalisme historique». Quand le massacre n'était pas réalisé par les membres de la famille royale eux-mêmes: Lord Louis Mountbatten a mené des «razzias» à travers l'Europe d'après-guerre à la quête de documents sur les Windsor. Quant à la princesse Margaret, la soeur d'Elizabeth II, on dit qu'elle a alimenté des feux de joie avec les papiers de sa mère.
«La famille royale, et ceux qui les entourent, cherchent impitoyablement à réécrire l'histoire à leur propre avantage», fulmine un auteur au Daily Beast, qui a requis l'anonymat pour préserver ses relations avec Buckingham Palace. «La façon dont la famille royale gère ses affaires est d'une grande importance pour les historiens et, on peut le dire, pour la nation.»
Les plus patients peuvent contourner le barrage de la censure avec une demande d'accès directement formulée auprès de Buckingham Palace. Toutefois, impossible de savoir à qui on s'adresse: pour prendre contact, pas de numéro de téléphone ni adresse. Même les adresses e-mail sont anonymisées.
Les requêtes peuvent prendre des mois avant d'être traitées par les différents départements et «désherbeurs» (les personnes, généralement des fonctionnaires à la retraite, chargées de vérifier les documents avant une éventuelle publication). Priés d'être intransigeants en cas de doute, ces contrôleurs peuvent parfaitement rejeter une demande sans avoir à invoquer la moindre justification.
Pour les chercheurs les plus chanceux, ceux dont la requête est acceptée, les formalités sont drastiques: caméra interdite lors de la consultation du matériel et obligation absolue de détailler les fins pour lesquelles il a été utilisé.
Pour les malchanceux, pas de miracle. Sans accès aux documents, impossible de rendre compte précisément de certains événements historiques, condamnés à l'oubli. Le prince George en est témoin.
Cette manie du secret pourrait toutefois enfin être mise à mal par une nouvelle alliance de journalistes et d'historiens, plus motivés que jamais à briser l'omerta. Talon d'Achille du secret royal? Le passé colonial du Royaume-Uni.
Selon l'Index On Censorship, il sera délicat pour le Palais de maintenir son récit d'une transition réussie de l'Empire au Commonwealth sans autoriser l'accès aux preuves documentaires pour le prouver.