L'adage dit qu'on fait toujours mieux la seconde fois. Dans le cas de Charles, c'est un fait. Ce 9 avril 2005, qui voit le prince de Galles unir ses jours à ceux de l'amour de sa vie, Camilla Parker-Bowles, n'a rien à voir avec sa première tentative.
Des années plus tôt, le jeune prince à la tignasse et à la mine sombres s'était traîné vers l'autel sous les yeux de 750 millions de téléspectateurs pour épouser la femme qu'on lui a désignée. Lady Diana Spencer, une vierge aux yeux de biche effarouchée, perdue sous des masses de soie et de satin, qui lui donnent l'air d'une appétissante coupe Danemark. Un conte de fées pour petites filles et grands écrans.
Non. Ce second mariage est d'un autre genre. Ses protagonistes sont deux quinquagénaires aux visages marqués par les aléas de la vie. «Des vieux imbéciles ennuyeux à marier», titre le Daily Star d'un ton moqueur. Un conte de fées pour adultes, dirons-nous plutôt. Et la conclusion logique à une histoire d'amour profonde, longue et maintes fois contrariée, entamée 35 ans plus tôt sur un terrain de polo.
35 ans rythmées par les séparations, les liaisons de part et d'autre, les enfants, les divorces et les drames, le tout raconté avec une précision insoutenable et à longueur de pages dans les tabloïds.
Charles et Camilla ont dû attendre jusqu'à la fin des années 90 pour être autorisés à vivre leur relation au grand jour. Mais l'annonce de leurs fiançailles, en février 2005, après des mois de négociations internes, ne marque pas la fin du parcours du combattant.
Plusieurs sources ont révélé au fil des ans les énormes obstacles constitutionnels, politiques, religieux et familiaux que ce couple improbable a dû surmonter en coulisses. Sans oublier la longue succession de gaffes et de couacs dans l'organisation de leurs noces, toutes reprises avec jubilation par les médias britanniques.
Le premier barrage était aussi le plus difficile à franchir: l'approbation de la mère du marié, la toute puissante reine Elizabeth II. Difficile encore aujourd'hui de savoir pourquoi Sa Majesté de 78 ans a abouti à la conclusion qu'il était convenable - ou du moins, préférable - d'accorder enfin l'autorisation à son héritier et fils aîné de 56 ans d'épouser une femme divorcée dont elle lui avait refusé la main 30 ans plus tôt.
Il s'est avéré que l'un des plus grands défis, écrit la chroniqueuse royale Rebecca English la semaine passée dans le Mail on Sunday, n'était pas la reine, mais Rowan Williams. L'archevêque de Canterbury de l'époque, le grand patron de l'Eglise d'Angleterre, «tout simplement réticent à leur accorder la permission de se marier à l'église».
Il faut dire que s'il y a bien eu un tabou majeur constant pour l'Eglise anglicane au fil des siècles, c'est le remariage après le divorce - en particulier avec une personne dont l'ex-conjoint est encore en vie, comme c'est le cas de Camilla. Il s'agit donc de trouver une solution qui ménagera les susceptibilités. A défaut d'une cérémonie à l'Eglise, Charles deviendra le tout premier membre de la famille royale à se marier civilement.
Pendant qu'avocats et autres constitutionnalistes s'arrachent les cheveux et soulèvent tous les problèmes légaux que pose ce remariage civil du futur roi d'Angleterre (allant jusqu'à affirmer dans le Times qu'il serait «nul») le lieu de la cérémonie cause des maux de tête aux employés de Buckingham Palace.
D'abord prévu au château de Windsor, on réalise bientôt que les exigences légales pour l'autorisation dans la célèbre résidence royale pour les mariages civils nécessiteraient son ouverture à d'autres couples potentiels pendant au moins trois ans. Avouez, ça ferait mauvais genre. Le mariage est donc finalement déplacé à Guildhall - seul édifice médiéval non religieux dans la Cité de Londres ayant survécu jusqu'à aujourd'hui.
Pour jeter de l'huile sur un mariage qui semble mal engagé avant même d'avoir été officialisé, l'annonce qu'Elizabeth II elle-même n'assistera pas à la cérémonie fait les gorges chaudes de la presse. En fait, il a été décidé qu'il ne serait pas approprié que la reine, en tant que cheffe de l'Eglise, assiste au mariage de deux personnes divorcées - même si l'une d'elles est son propre fils.
Son de cloche similaire du côté des frères et sœurs de Charles, qui ne s'y rendront pas non plus, bien que tout ce beau monde s'engage tout de même à prendre part à la bénédiction à la chapelle Saint-Georges, ainsi qu'à une réception spéciale organisée pour les jeunes mariés après le mariage.
Et puis, enfin, il y a de l'ombre de Diana. Comme un fantôme qui plane sur ces noces. Celle qui incarnait tout ce que la future épouse n'est pas: jeune, photogénique, branchée, populaire. Une icône encore adulée par ses fans.
Pour preuve que le mariage semble maudit par l'ex-épouse disparue, même la date initiale du mariage, le 8 avril, doit être repoussée à la dernière minute, suite au décès du pape Jean-Paul II. Le 4 avril, il est annoncé que le mariage sera reporté de 24 heures, afin que le prince de Galles puisse assister aux funérailles du Saint-Père.
Alors que la cérémonie se profile, on comprend mieux pourquoi Camilla se sent «malade» de nervosité, au matin du 9 avril 2005. «Elle était tellement terrifiée qu'elle ne pouvait rien avaler et se sentait malade… en fait, elle était vraiment malade, avec des problèmes de sinus», se souvient une source au Mail on Sunday.
Et pourtant. Les orages de grêle qui avaient perturbé les répétitions la veille ont laissé place, ce jour-là, à un soleil printanier.
Et, surtout, à authentique un sentiment de fête parmi la foule. Pas un enthousiasme débordant, non. Mais une satisfaction sincère de voir deux humains qui se sont aimés, perdus, ont encaissé les coups, continué à s'aimer et qui espèrent, malgré tout, vivre selon la formule: «Heureux pour toujours».
Cerise sur le gâteau de mariage? L'un des discours les plus marquants du règne d'Elizabeth II, pourtant si peu encline à exprimer ses émotions en public.
Encore une fois, le flegme et le flair politique incomparable d'Elizabeth II lui donneront raison au cours des vingt années suivantes. Car Camilla, contrairement à la défunte princesse de Galles, est une femme d'une fiabilité et d'une stabilité émotionnelle à toute épreuve. Une femme «idéale», en un sens. Malgré tout ce qu'en diront les fidèles blessés de Diana. Mieux vaut ne pas trimballer de fardeau psychologique pour servir de compagne au futur Charles III et partager cette vie étrange et souvent assez solitaire.
«C'est le genre de femme qui, en cas de problème, plutôt que d'aller consulter un thérapeute… préfère aller à la chasse au renard, revenir, mettre du rhum dans son thé et manger des œufs brouillés», confie une amie de Camilla au New York Times, en 2005.
Au fil des ans, elle n'aura de cesse de prouver que la monarchie a bien fait de compter sur elle. Elle, dont l'humour décapant sert de contrepoids aux accès de morosité de Charles, comme le glisse un ancien conseiller du palais: «Ils ont un partenariat de travail brillant et ils font ressortir le meilleur de chacun.»
«Au cœur de tout ça», explique une source (peu encline aux déclarations publiques enthousiastes, selon le Mail), «il y a une histoire d'amour, et une histoire durable. Le mérite en revient en grande partie à Camilla. Elle n'a commis aucune erreur et est farouchement fidèle à The Boss, comme elle l'appelle.»
Ce mercredi, la reine et le roi d'Angleterre fêteront leur 20e anniversaire de mariage, exactement comme Charles aime procéder: en travaillant. Et c'est à Rome, dans le cadre d'une visite d'Etat en Italie, riche en engagements officiels et en protocole diplomatique, que le couple passera ce cap symbolique des noces de porcelaine.
Leur soirée s'achèvera autour d'un banquet d'Etat en tenue de soirée, en compagnie de la première ministre Georgia Meloni. Camilla préférerait-elle s'asseoir sur la place d'Espagne, en la seule compagnie de l'homme de sa vie et d'une glace? s'interroge le Times. Personne ne le saura jamais.