Sitôt le choc passé, les premières langues se délient très vite. A en croire les proches du président, dans la presse lundi matin, l'idée de la dissolution flottait dans l’air depuis longtemps. Des dîners en ville aux couloirs du Sénat, depuis des semaines déjà, Emmanuel Macron et une poignée de proches collaborateurs se tâtent, scrutent les projections des sondeurs, pèsent le pour et le contre. L’idée tourne, tourne. Et, «à un moment, ça coagule», résume Bruno Roger-Petit au journal Le Monde.
Ce dimanche, tout s'est précipité. Après la victoire flamboyante du Rassemblement national aux élections européennes, avec 31,47% des suffrages exprimés, Emmanuel Macron prend acte. C'est plus du double de sa majorité, menée par Valérie Hayer (14,6%). Aux yeux du président, il faut donc un électrochoc. Un geste coup de poing.
Une heure plus tard, le président de la République annonce la nouvelle. L'Assemblée nationale est dissoute. Des élections anticipées pour élire ses 577 députés auront lieu dans la foulée. Du jamais vu depuis son prédécesseur Jacques Chirac en 1997. D'ici là, toute activité législative se retrouve suspendue. Les contrats des collaborateurs de l’Assemblée seront caducs.
La dissolution est une arme législative à double-tranchant. Si elle peut sortir la France d’une crise institutionnelle paralysante et permettre au chef de l'Etat de s'assurer de la confiance des électeurs, elle constitue aussi un risque immense: offrir au camp adverse la majorité absolue.
Et justement, le 15 mars dernier, un sondage Ipsos pour l'Obs accordait entre 243 et 305 sièges au RN en cas de législatives anticipées. Faisant basculer la France dans une «cohabitation» - une conjoncture politique dans laquelle le président de la République et la majorité des députés sont de tendances politiques opposées. Un tandem intenable, ingouvernable.
Pour continuer à gouverner et sortir le pays de l'impasse, Emmanuel Macron se verrait contraint d'élire à la tête du gouvernement un représentant de cette majorité. D'où le nom de Jordan Bardella sur toutes les lèvres, lundi matin.
Pour ce qui s'annonce comme une campagne éclair (le premier tour aura lieu le dimanche 30 juin, soit 21 jours après l'annonce de la dissolution; le second tour aura lieu une semaine plus tard, le dimanche 7 juillet), le RN entend en effet conserver sa tête d'affiche, le populaire Jordan Bardella.
Lundi, le porte-parole du Rassemblement national, Sébastien Chenu, a confirmé sur RTL faire du «cyborg» du parti son «candidat pour aller à Matignon». Un choix entériné par sa collègue, Laure Lavalette.
Reste à savoir pourquoi cet euro-député de 28 ans aux dents longues supplanterait la figure historique du parti aux trois précédentes élections présidentielles: Marine Le Pen. La réponse est simple. L'intéressée, qui a confirmé dimanche que son poulain ferait un excellent premier ministre putatif, à l’issue des élections législatives, se voit déjà plus loin. Pas à Matignon. Mais à l'Elysée.
En avril dernier, Le Pen expliquait à Ouest-France être déjà toute tournée vers le poste de «présidente de la République» en 2027. Avec son protégé comme Premier ministre. Un duo «performant», résume-t-elle. «C'est dans trois ans, on ne sait pas ce qui peut arriver, mais (le duo que nous formons) potentiellement me verrait candidate à la présidentielle et lui Premier ministre», assène-t-elle sur RMC-BFMTV, le 6 mai.
En attendant de savoir si le poulain de Marine Le Pen est susceptible de détrôner celui d'Emmanuel Macron, Gabriel Attal, à Matignon, la campagne est lancée. Courte, mais intense. Le temps des grands manoeuvres a commencé.