La nuit est sombre et le froid glacial, mais le faisceau des phares illumine un panneau de ville typiquement français qui ne laisse aucun doute: après un long trajet à travers le plat pays mosellan de la Lorraine, nous sommes arrivés à «Suisse». Le village est vide, pas un chien n'aboie.
Une fontaine jaillit sur la place du village, c'est tout. Le village, trop petit pour figurer sur une carte nationale et généralement confondu avec la grande Suisse dans le GPS, semble désert en cette soirée d'hiver. «Y a rien», nous avait laissé entendre, quelques kilomètres plus loin, l'habitante d'un autre village, étonnée au plus haut point que quelqu'un veuille aller à Suisse. En Suisse, peut-être. Mais à Suisse?
On pourrait chercher longtemps des hôtels ou des chambres d'hôtes ici, au bout du monde. Après une nuit dans les environs, nous retournons à Suisse le lendemain matin. Nous sommes en avance pour notre rendez-vous téléphonique avec le maire, nous nous rendons donc au café Lion d'or. La porte est verrouillée. Derrière des vitres aveugles, on distingue des pièces de machines et des ailes de voiture rouillées. Près de la porte, une cabine téléphonique a été envahie par la végétation. Dans le garage d'en face, un poste de radio ronronne, mais nous ne voyons personne.
Ce n'est que lorsque nous voulons repartir qu'une porte s'ouvre. Un mécanicien en bleu de travail nous explique que cela fait 30 ans que le Lion d'or est fermé. Aujourd'hui, il fait partie de son garage. «C'est le seul commerce qui est resté dans le village», nous oriente Stéphane, le garagiste, pour ensuite nous demander gentiment:
C'est comme ça à Suisse: le meilleur café, bon parce qu'il est offert spontanément, se trouve dans le garage automobile, parfumé de l'odeur de l'huile de graissage. Mais voilà que Stéphane montre du menton l'autre côté de la rue: «Le maire est là». Une Citroën grise s'arrête devant un bâtiment plat. Au-dessus, on peut lire «Mairie», et la devise républicaine: «Liberté, Egalité, Fraternité».
Le maire de la commune nous accueille tout aussi chaleureusement:
Les Suisses ne passent jamais par là, raconte-t-il alors que nous sommes assis, un nouveau café devant nous. Et ses compatriotes ne se rendent ici que par erreur:
Allons droit au but. Monsieur le maire, pourquoi «Suisse» s'appelle-t-il «Suisse»? Le maire de 63 ans, de bonne humeur, acquiesce et réfléchit. La tradition orale, dit-il, veut que «Suisse» ait été fondée par des maçons fédéraux. «Mais ce n'est pas vrai».
Le lieu aurait-il été créé par des Suisses, comme les émigrés américains qui ont fondé New Glarus dans le Wisconsin ou Helvetia en Virginie occidentale? Le président de commune sans parti, ex-agriculteur, aujourd'hui éducateur pour personnes en situation de handicap, secoue la tête en riant:
La Moselle est l'un des départements les plus pauvres de France. Les seules personnes qui passent par ici sont des gens du voyage: 20 000 d'entre eux se réunissent une fois par an à Grostenquin, à dix kilomètres de là.
Gaillot raconte que son prédécesseur a démissionné en 2023 pour protester contre les autorités: elles n'ont jamais tenu leur promesse de reloger les gens du voyage ailleurs. «On n'a rien contre les gens du voyage», souligne Michel Gaillot; «mais à Suisse, on trouve qu'après toutes ces années, on pourrait organiser ce grand événement dans une autre région de France.»
Nous nous égarons. Et comment «les Suisses», comme ils se nomment eux-mêmes, s'y prennent-ils avec la politique? «Disons qu'ici, plus personne ne vote pour Emmanuel Macron», dont le portrait présidentiel trône discrètement dans un coin de la pièce. Il ne reste plus que Marine Le Pen? Le maire répond par l'affirmative:
La droite populiste est ici aussi à Suisse un symptôme de la misère de la France rurale, durement touchée par l'exode, la désindustrialisation, et l'appauvrissement agricole. En se promenant à Suisse, on a certes l'impression d'une commune bien entretenue et propre. Mais cela n'est dû qu'au groupe public Electricité de France (EDF), qui entretient sur le territoire de la commune de Suisse quatre éoliennes et un poste de couplage pour la ligne TGV Paris-Metz-Strasbourg toute proche. Selon Gaillot, le groupe couvre la moitié du budget communal:
D'où l'impression d'une curieuse mairie: elle se trouve dans l'ancienne école primaire du village; notre rencontre avec le maire a lieu dans l'une des deux anciennes salles de classe.
Comme le nombre d'habitants de Suisse est passé sous la barre des 100, l'Etat a réduit le nombre de conseillers municipaux de onze à six. Le village compte encore trois employés: un jardinier, un ouvrier du bâtiment et une secrétaire. Cette dernière répond aux nombreuses demandes d'actes de naissance que les parents français et les expatriés envoient par erreur à Suisse au lieu de les envoyer en Suisse. De temps en temps, elle fait suivre le courrier mal dirigé vers la commune argovienne de Reinach: son code postal 5734 ressemble à celui de Suisse (57340). Les confusions sont donc monnaie courante.
Michel Gaillot révèle enfin pourquoi Suisse s'appelle Suisse. Un sourire malicieux aux lèvres, il nous emmène derrière la mairie. Une affiche réalisée par un historien des archives épargne au maire la sempiternelle explication. Nous lisons: le nom d'origine du village s'appelait «Sulciam» au Moyen-Âge, probablement à cause d'une source de sel. Il est devenu «Sulces» en 1125. Peu à peu, la lumière se fait. En 1594, le village s'appelait «Xousse», puis «Xuisse» à partir de 1718. Le reste se devine aisément.
D'autres questions? Oui, Monsieur le Maire: êtes-vous déjà allé en Suisse? Non, malheureusement, avoue Gaillot; il n'en a pas les moyens.
Certes, peut-être pas en France. Mais dans le brave village Suisse, oui. Même si le nom du village n'a rien à voir avec la Suisse.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci