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Guerre contre l'Ukraine

Ukraine: «Il serait vraiment facile de gagner cette guerre»

«Il serait vraiment facile de gagner cette guerre»

Der Historiker Timothy Snyder engagiert sich aktiv auf der Seite der Ukraine.
L'historien Timothy Snyder s'engage activement aux côtés de l'Ukraine.Image: Global Images Ukraine/Getty
Le célèbre historien américain Timothy Snyder nous explique comment la guerre en Ukraine est étroitement liée aux élections présidentielles américaines. La réélection de Donald Trump à la Maison-Blanche pourrait aussi changer la donne.
04.02.2024, 07:0104.02.2024, 23:12
Florence Vuichard / ch media
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L'historien américain Timothy Snyder a quitté les salles de cours universitaires. Le professeur de Yale, spécialisé dans la recherche sur l'Europe de l'Est et l'Holocauste, ne se contente pas d'analyser le passé, mais s'engage activement aux côtés de l'Ukraine aujourd'hui. Il va jusqu'à collecter des fonds pour leurs systèmes de défense contre les drones. Rien d'étonnant donc à ce qu'il choisisse la Maison de l'Ukraine, à Davos, comme lieu de l'interview. En arrière-plan, des images de guerre s'affichent sur une grande installation vidéo.

L'historien dans la guerre
Timothy Snyder est un historien américain. Il est professeur à l'université de Yale et mène également des recherches à l'Institut des sciences de l'homme de Vienne. Ses recherches portent principalement sur l'histoire de l'Europe de l'Est et sur l'Holocauste.
Le quinquagénaire a fait sensation avec son livre Terres de sang, publié en 2010, qui traite des meurtres de masse et de la politique d'extermination menée par les régimes nazi et stalinien entre 1933 et 1945. Par «Terres de sang», Timothy Snyder entend la région qui comprend la Pologne orientale, la Biélorussie et la partie occidentale de la Russie, les pays baltes, certaines parties de l'Ukraine ainsi que l'ancienne Prusse orientale. Selon les recherches de l'historien, c'est là que le nombre de victimes a été le plus élevé.
En 2017, suite à l'élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, Timothy Snyder a publié De la tyrannie: vingt leçons du XXe siècle. Dans ce livre, il présente des mesures concrètes que les lecteurs pourraient prendre pour se défendre contre un éventuel effondrement de la démocratie et la domination d'un régime totalitaire.
Depuis l'annexion de la Crimée par la Russie, Timothy Snyder s'engage pour l'Ukraine, un engagement qui s'est encore renforcé avec l'invasion de la Russie en février 2022. Ainsi, il collecte également des fonds au nom de l'Ukraine pour des systèmes de défense contre les drones.

Cela fait environ 700 jours que la Russie a envahi l'Ukraine. La guerre prendra-t-elle un jour fin?
Timothy Snyder: Oui, il va y avoir une fin.

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Une fin heureuse?
Cela dépendra de nous, de l'Occident. Nous sommes la variable. La Russie et l'Ukraine sont beaucoup plus prévisibles. Vladimir Poutine s'acharnera et les Ukrainiens continueront à résister. La qualité de leur résistance n'est pas un fait acquis, même si nous faisons comme si c'était le cas.

«Tout dépendra des décisions que nous prendrons»

La décision de donner plus de moyens à l'Ukraine, par exemple?
Oui. Les Ukrainiens ne demandent même pas aux Européens de se battre directement. Ils ne demandent pas de troupes, ils demandent seulement un soutien économique. Personne ne nous demande d'aller à la guerre et de mourir. Tout ce que nous devons donner, c'est une part relativement faible de notre produit intérieur brut. Comparé à la Seconde Guerre mondiale, l'engagement économique demandé est minuscule. Il est si petit qu'on le voit à peine.

«Il serait vraiment facile de gagner cette guerre»

Facile?
La Russie consacre environ un tiers de sa performance économique totale à cette guerre. Nos économies sont au moins 25 fois plus importantes que celle de la Russie. Il nous suffit de mobiliser un peu plus de notre puissance économique pour écraser la Russie. Si les Etats-Unis contribuaient déjà à hauteur de 10% de leur budget de défense au lieu de seulement 5%, ou autant par habitant que le fait la Slovaquie, ce serait déjà terminé.

Actuellement, la guerre n'a pas l'air sur le point de se terminer. Chez les alliés occidentaux, c'est plutôt un sentiment d'immobilisme qui se répand.
Nous ne devrions pas parler de notre propre état psychologique et de nos sentiments. Il n'y a pas eu de guerre aussi importante en Europe depuis 1945. C'est une grande guerre! Et elle pourrait durer encore deux ans de plus. Nous devons maintenant développer un sentiment d'engagement, un engagement à rester jusqu'à ce que l'Ukraine gagne. C'est d'abord une question de politique:

«Nous devons leur donner ce dont ils ont besoin»

Et quoi d'autre?
La manière dont nous parlons de la guerre est également importante. Nous ne devrions pas réagir à tous les hauts et les bas, mais simplement rester. Car les guerres durent un certain temps. Cette guerre sera gagnée ou perdue, mais personne ne sait si ce sera le cas dans six mois, un an ou deux. C'est une guerre incroyablement importante qui est menée – comparable à la guerre entre la Pologne et l'Allemagne en 1939. Et tout ce que nous avons à faire, c'est donner de l'argent – et même pas tant que ça.

Pour l'instant, les Etats-Unis n'ont pas l'air de vouloir doubler leur budget pour l'Ukraine. Au contraire, il y a un risque que les fonds soient entièrement supprimés suite à une éventuelle élection de Donald Trump.
Il est possible que les Etats-Unis se retirent – et en tant qu'Américain, j'espère vraiment que cela n'arrivera pas. Mais si c'est le cas, l'Europe devrait être en mesure de gagner cette guerre sans nous.

L'Ukraine n'est pas la seule guerre qui fait rage dans le monde. D'autres conflits sont en train de germer, notamment au Proche-Orient.
La référence à d'autres conflits n'est qu'une excuse. Un pays comme les Etats-Unis doit être capable de s'occuper de plus d'un conflit à la fois. Et pour les Européens, il existe des différences décisives par rapport aux autres conflits. L'Ukraine est en Europe. Cela signifie qu'il y a une menace directe pour la souveraineté des autres pays européens. De plus, le modèle européen de faire de la politique sans guerre est également en jeu. Il ne s'agit donc pas simplement d'une guerre, mais aussi de savoir si les différends peuvent être résolus par la guerre ou non. Et il y a une autre différence entre la guerre en Ukraine et les autres conflits.

Laquelle?
La guerre en Ukraine peut être gagnée. En revanche, le conflit en Palestine devra trouver une solution politique. Là-bas, ce n'est pas un Etat qui vaincra l'autre Etat.

Timothy Snyder hat Wolodimir Selenski in Kiew besucht.
Timothy Snyder a rendu visite à Volodymyr Zelensky à Kiev.Image: Www.president.gov.ua

Que se passera-t-il si Poutine gagne ?
Si la Russie gagne, il y aura des violences génocidaires d'une ampleur terrible. Et il y aura d'autres guerres contre d'autres pays. Mais ce n'est pas tout, il y aura encore d'autres conséquences. Je vais en citer trois. Premièrement, le régime russe s'appuie sur les richesses issues des hydrocarbures. Or, si la politique du 21ᵉ siècle est dominée par les oligarques des hydrocarbures, nous ne résoudrons jamais le problème du réchauffement climatique.

«Si les personnes qui contrôlent le pétrole et le gaz décident de ce qui se passe dans le monde, l'espèce humaine n'existera plus dans un siècle»

Et la deuxième?
Si la Russie devait gagner, l'ordre international s'en trouverait affaibli. Pour la Russie de Poutine, les lois internationales ne sont qu'une plaisanterie. Et le régime veut le prouver en gagnant cette guerre. Le troisième risque est une guerre nucléaire.

La Russie a toujours menacé d'utiliser des armes nucléaires.
Et l'Ukraine l'a ignoré, ce qui était la chose à faire. Mais si l'Ukraine, en tant que pays ayant abandonné ses propres armes nucléaires en 1994, devait perdre une guerre contre une puissance nucléaire, la leçon pour tous les autres pays serait claire: dans un monde sans règles, où les grands pays dotés d'armes nucléaires peuvent envahir les petits pays sans armes nucléaires, tout le monde a besoin d'armes nucléaires. Et plus le nombre de pays possédant des armes nucléaires est élevé, plus le risque de guerre nucléaire est grand.

Les pays qui n'ont pas d'armes nucléaires ne peuvent-ils pas déjà arriver à cette conclusion?
Si, c'est vrai. L'une des nombreuses mauvaises choses que la Russie ait faites est de rendre plus probable la prolifération des armes nucléaires. Je pense, toutefois, que l'issue de la guerre reste importante. Si l'Ukraine perd et subit une terrible occupation, l'incitation sera encore plus forte.

Timothy Snyder, in einem traditionellen ukrainischen Wyschywanka-Hemd, trifft in Kiew Olena Selenska, die Frau des Präsidenten Selenski.
Timothy Snyder, vêtu d'une vychyvanka, chemise traditionnelle ukrainienne, rencontre, à Kiev, Olena Zelenska, l'épouse du président ukrainien.Image: Global Images Ukraine/Getty

Vous dites que la guerre en Ukraine se terminera par les armes. Parallèlement, la Suisse prévoit un sommet de paix à la demande de l'Ukraine. Que pensez-vous de cela?
L'Ukraine a raison d'essayer à la fois de gagner la guerre et de s'en tenir à un sommet, de vouloir une paix basée sur des principes internationalement reconnus. Je suis vraiment content que Volodymyr Zelensky ait fait cette proposition, et que la Suisse se soit engagée. C'est une bonne chose. Mais il ne s'agit pas de mettre fin à la guerre en quelques semaines. Il s'agit d'un processus de paix.

Mais un processus de paix ne nécessite-t-il pas les deux parties?
Il faut gagner la guerre. La Russie ne prend pas vraiment les négociations au sérieux. Le cas d'Evgueni Prigojine en est un bon exemple. Après la révolte de ce dernier, Poutine et Prigoschin ont négocié un accord – et quelques mois plus tard, Poutine a tué Prigojine. Difficile donc d'imaginer des négociations comme substitut à une victoire.

Après l'élection de Donald Trump, vous avez écrit le livre De la tyrannie: vingt leçons du XXe siècle, une sorte d'avertissement pour sauver la démocratie contre les dirigeants autoritaires. Aujourd'hui, Trump pourrait être réélu. Comment cela se fait-il?
Cela tient à notre système, à notre manque de confiance dans l'Etat de droit.

Qu'entendez-vous par là?
Je pose la question autrement: que se passe-t-il en Russie lorsqu'on tente un coup d'Etat?

On meurt.
Et que se passe-t-il lorsqu'on tente un coup d'Etat dans un Etat de droit?

On doit alors passer devant le tribunal.
Exactement, ou plutôt: on devrait. Or, aux Etats-Unis, nous manquons de confiance dans l'Etat de droit. Donald Trump a manifestement commis des crimes en tentant d'outrepasser l'ordre constitutionnel. Mais ses partisans pensent qu'il ne s'agit que de politique. Et même de nombreux critiques de Trump ne croient pas vraiment qu'un ancien président, milliardaire et homme blanc, puisse faire l'objet de poursuites pénales.

«Mais si l'Etat de droit ne s'applique pas à un ex-président, à un milliardaire ou à qui que ce soit d'autre, c'est qu'il n'existe pas vraiment»

Peut-être que des jugements seront un jour rendus.
Je pense qu'il finira par être condamné pénalement pour quelque chose. Mais la raison pour laquelle cela prend autant de temps est liée à un problème fondamental que nous avons avec l'Etat de droit. Ce type devrait être en prison depuis longtemps. S'il était en prison, il aurait plus de mal à se présenter à la présidence. Mais cela ne l'arrêterait peut-être même pas.

Le succès de Trump est-il vraiment dû à un manque de confiance dans l'Etat de droit?
C'est un politicien et un animateur très doué. Il est, à sa manière, une personne très intelligente. Cela n'a aucun sens de le sous-estimer. Il a un vrai talent charismatique. Il base toute la campagne sur le ressentiment. Et il est doué pour cela. Et comme nous n'avons que deux partis, il a une chance sur deux de devenir président s'il obtient l'investiture d'un parti. De plus, nous avons la mémoire très courte:

«Nous avons tout de même connu une tentative de coup d'Etat»

Mais les Etats-Unis et leur institution ont survécu au premier mandat de Trump et à sa tentative de coup d'Etat. Ne survivront-ils pas à un second mandat?
C'est comme si quelqu'un vous battait presque à mort et que vous pensiez devoir le laisser vous battre à nouveau. C'est absurde. Il s'en est fallu de peu! Si Trump avait eu plus de temps et de meilleures personnes autour de lui, il aurait probablement eu plus de succès. Et s'il est au pouvoir pour une deuxième fois, il aura plus de temps et de meilleures personnes autour de lui. Et il a déjà annoncé vouloir rester quatre ans et même plus.

Timothy Snyder sprach als Experte vor dem UNO-Sicherheitsrat zum Fall Ukraine.
Timothy Snyder s'est exprimé en tant qu'expert devant le Conseil de sécurité de l'ONU sur le cas de l'Ukraine.Image: screenshot

Mais Trump ne peut pas faire plus d'un mandat.
Son modèle est celui de l'homme fort qui arrive au pouvoir et y reste pour toujours. C'est ce qu'il veut. Il l'assume assez ouvertement. Et il y a des Américains qui aiment ça: ce n'est pas une majorité, c'est peut-être 20% – mais ces 20% suffisent pour lui donner l'investiture. Et ensuite, qui sait ce qui se passera?

Les Etats-Unis comptent 330 millions d'habitants. Comment se fait-il que le président Joe Biden, un homme de 81 ans qui fait son âge, soit la seule alternative à Donald Trump?
Avant de répondre à cette question, je dois me plaindre des médias.

Comment cela?
Internet, du moins la manière dont il est organisé aux Etats-Unis, favorise grandement les politiciens comme Donald Trump.

Bien sûr: il génère beaucoup de clics.
Oui, c'est un candidat naturel pour Internet. Et les médias sont intimidés par Internet et aussi par la droite. Même le New York Times a du mal à dire des choses positives sur le président Biden, parce qu'ils ont le sentiment que pour tout ce qu'ils disent, ils doivent aussi dire le contraire, afin que ce soit juste. Biden est vraiment un bon président, mais personne ne dira cela.

Personne à part vous?
Joe Biden a été un grand président d'un point de vue historique. Je pense qu'il est vraiment sous-estimé. Il nous a sortis de la crise Covid, il a relancé l'économie, il a sorti beaucoup de gens de la pauvreté. En fait, l'économie se porte plutôt bien, l'inflation a baissé. Mais il n'y a pas une branche du paysage médiatique qui dise que le président a fait du bon travail.

Mais il y aurait peut-être d'autres candidats compétents.
Les obstacles sont élevés aux Etats-Unis. Au WEF de Davos, j'ai parlé à de nombreux fantastiques ministres de la Défense ou premiers ministres européens. Il y avait beaucoup de femmes et elles étaient toutes plus jeunes que moi. C'est formidable.

«En Amérique, il faut être soit démocrate, soit républicain. C'est un peu déprimant»

Les jeunes ne veulent peut-être pas être démocrates ou républicains. Je peux le comprendre. De plus, il faut avoir beaucoup d'argent pour se présenter à un poste, ce qui n'est pas le cas de tout le monde. Et c'est ainsi que naissent toutes ces barrières à l'entrée, qui sélectionnent et favorisent ensuite les personnes qui sont depuis longtemps dans le système ou, si elles viennent de l'extérieur comme Trump, ont beaucoup d'argent – ou du moins prétendent en avoir beaucoup.

L'économie américaine se porte bien. Le boniment «It's the economy, stupid!» ne semble donc plus être d'actualité. Quelle est donc la raison du mécontentement? Est-ce la forte migration?
Aux Etats-Unis, nous sommes confrontés à un niveau d'inégalité effrayant. Il y a beaucoup de gens très, très pauvres. Et puis nous avons tous les problèmes historiques de racisme qu'un homme politique comme Donald Trump peut mobiliser. Trump suggère que tout le monde se porterait mieux si ces gens n'existaient pas. Et il dit aussi que c'est amusant de se venger et de blesser les gens, ce qui est malheureusement un message qui passe. Il y a donc une vraie pauvreté, et il y a ces questions culturelles. Et puis il y a aussi ce que j'ai dit précédemment. Que Joe Biden est un grand président, mais que cette opinion semble inacceptable.

Tout cela sonne assez pessimiste.
Cela peut en avoir l'air. Mais au fond, les choses se passent plutôt bien. Je ne pense pas que la Chine dépassera un jour les Etats-Unis. L'Europe s'est consolidée à cause de la guerre en Ukraine. Plus que ce à quoi beaucoup s'attendaient. Et Trump ne va pas forcément gagner. Si nous tenons encore les douze prochains mois, les choses iront beaucoup mieux.

Adapté de l'allemand par Tanja Maeder

La guerre en Ukraine dans l'œil d'Alexander Chekmenev
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La guerre en Ukraine dans l'œil d'Alexander Chekmenev
Faces of war pour le New York Times.
source: alexander chekmenev
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L'Ukraine a développé une «cape d'invisibilité» pour ses soldats
Video: watson
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