Poutine est trompé par ses propres généraux
En temps de guerre, les informations diffusées par les belligérants doivent toujours être prises avec prudence. C'est encore plus vrai pour la Russie: depuis le début de son invasion de l'Ukraine, le Kremlin est régulièrement accusé de présenter une image exagérément positive de sa gestion du conflit, passant sous silence les nombreux revers essuyés par son armée, voire en inventant des informations de toute pièce.
C'est ce qu'on appelle la propagande, et son objectif est clair. Pourtant, il semblerait que ces faux récits ne soient pas uniquement dirigés «vers l'extérieur», mais qu'ils atteignent également le sommet du pouvoir russe, c'est-à-dire Vladimir Poutine himself. C'est ce que rapporte le Financial Times, sur la base du témoignage de deux responsables anonymes. Ces derniers affirment:
Quelques exemples? Fin novembre, le général Sergueï Kouzovlev a annoncé au chef du Kremlin que les forces russes avaient «complété la libération de Koupiansk» et que cette petite ville, contestée depuis 2022, était «sous leur contrôle» - ce qui lui a valu une médaille. Sauf que, trois jours plus tard, Volodymyr Zelensky a posté une vidéo le montrant à l'entrée de la ville, où les combats continuent de faire rage à l'heure actuelle.
Toujours à la fin du mois de novembre, le général Valeri Guerassimov, chef d'état-major russe et commandant en chef de l'invasion, a affirmé, devant Poutine, que son armée avait pris le contrôle de «plus de 80% de Voltchansk» et de «plus de 75% de Pokrovsk». Pourtant, selon les informations disponibles à l'époque, ces deux villes n'étaient que très partiellement occupées par Moscou.
«Culture du mensonge»
Le centre de réflexion américain Institute for the Study of War (ISW) a constaté la même chose: «De hauts responsables militaires russes, dont Valeri Guerassimov et le ministre de la Défense, Andreï Belooussov, ont récemment informé publiquement Poutine de la situation sur le champ de bataille, fournissant des rapports exagérés et mensongers sur les gains russes». Le think tank n'hésite pas à évoquer une «culture omniprésente du mensonge au sein de l'armée russe». Il ajoute:
Une chose est sûre, avance le Financial Times: cette situation a de profondes conséquences sur le déroulement du conflit. Le «tableau idyllique» brossé par ces hauts responsables «a conduit Poutine à croire qu'il pouvait remporter la guerre haut la main», indiquent les deux sources interrogées par le quotidien américain.
D'après l'ISW, ces informations erronées confortent la théorie de Poutine, qui est convaincu que l'armée et l'économie russe seront en mesure de tenir tête tant à l'Ukraine qu'au soutien de l'Otan, jusqu'à la victoire.
Cela expliquerait donc pourquoi la Russie continue de se battre, malgré le tribut extrêmement lourd payé par ses soldats – on estime que Moscou a perdu un million d'hommes depuis le début de l'invasion – et malgré les «termes favorables» contenus dans le plan de paix élaboré par Donald Trump, écrit le Financial Times. L'ISW confirme:
«La confiance accordée par Poutine à des informations erronées nuit, depuis longtemps, aux opérations militaires russes», résume un spécialiste auprès du Financial Times.
Un autre point de vue
Pas tout le monde, en Russie, partage la vision du président. Les influents blogueurs militaires se plaignent depuis longtemps de la situation, déplorant que les rapports mensongers formulés par les chefs de l'armée entraînent des pertes inutiles.
L'un d'entre eux, cité par le quotidien américain, critique l'exagération des succès remportés au front et affirme que le prix de ces «territoires conquis à crédit» est la vie des soldats.
Des personnalités du monde économique tentent également de mettre en garde Poutine et de lui fournir une image plus véridique de la situation. «La présidente de la Banque centrale russe et le ministre des Finances ont fait des déclarations publiques plus sobres et pessimistes sur les questions touchant l'économie russe», note l'ISW.
Pourtant, si l'on en croit les deux responsables anonymes, les «rapports triomphalistes» de l'armée semblent avoir plus de succès auprès du chef du Kremlin que les critiques de ses conseillers économiques.
(asi)
