Au début, cela ressemblait à un coup de chance. Mais après ce week-end, c'est une certitude: l'Ukraine a attaqué de manière ciblée au cours des cinq derniers jours au moins trois grands dépôts de munitions russes à l'ouest et au sud, et les a en grande partie détruits. Les cibles se trouvaient entre 300 et 450 kilomètres à l'arrière du front.
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Il ne fait aucun doute que cette action planifiée de longue date et bien coordonnée est liée au voyage de Volodymyr Zelensky aux Etats-Unis et à la présentation de son plan de victoire. Le président ukrainien veut expliquer à Joe Biden et Kamala Harris comment il entend mener la guerre vers une fin victorieuse. C'est pour cette raison que l'intention et l'effet de ces frappes aériennes sont doubles et triples.
La conséquence la plus évidente est l'impact immédiat sur le ravitaillement en munitions de la Russie. Les trois dépôts touchés près de Toropets (région de Tver), Oktyabrsky et Tikhoretsk (près de Krasnodar) ont explosé violemment. De nombreuses photos et vidéos diffusées sur les réseaux sociaux ainsi que des images satellites en ont témoigné. Selon les estimations des spécialistes, les missiles, les bombes planantes et les obus d'artillerie détruits représentent plusieurs dizaines de milliers de tonnes.
Le chef des services de renseignement militaire estoniens, le colonel Ants Kiviselg, a indiqué que le volume des obus détruits à Toropets s'élevait à lui seul à 30 000 tonnes. C'est l'équivalent de ce que toute l'artillerie russe a tiré sur tous les fronts pendant 75 jours. Les pertes totales sur les trois cibles touchées vont sensiblement réduire les attaques terrestres et aériennes russes dans un avenir proche. De plus, ces attaques obligent les Russes à reconsidérer l'emplacement de leurs dépôts et, le cas échéant, à les déplacer encore plus loin derrière le front.
Après la vague d'attaques contre les raffineries de pétrole russes et l'offensive terrestre en direction de Koursk, les frappes aériennes contre les dépôts de munitions constituent une nouvelle étape dans la stratégie ukrainienne visant à porter la guerre de manière visible sur le sol russe et à faire prendre conscience à la population de son existence. Le président Zelensky espère ainsi «un changement fondamental de la situation», comme il l'a lui-même souligné dans son allocution vidéo de samedi.
Les explosions à Toropets ont atteint la force d'un tremblement de terre. Après les attaques sur Tikhoretsk, les autorités russes ont déclaré l'état d'urgence, à la suite de quoi les localités concernées ont été évacuées. Sans attaquer directement des cibles civiles, l'Ukraine tente de répandre parmi la population russe une lassitude de la guerre et des doutes sur sa conduite par Poutine. Kiev avait veillé scrupuleusement à ne pas toucher le territoire russe au cours des premiers mois suivant l'invasion. Cette retenue n'est désormais plus efficace aux yeux des Ukrainiens.
L'ancien général-major australien et analyste militaire Mick Ryan voit dans ces frappes réussies une nouvelle étape et une «adaptation stratégique significative» de la capacité ukrainienne à mener des actions à longue portée. Cela commence par la reconnaissance et l'identification des cibles via les services de renseignement. A titre d'exemple, l'attaque sur Toropets aurait été menée précisément au moment où un train de munitions chargé de 2000 tonnes en provenance de Corée du Nord entrait en gare, ce qui a amplifié les effets dévastateurs du bombardement.
De plus, ces frappes témoignent des capacités de l'industrie ukrainienne des drones, qui, selon des chiffres officiels, produit désormais un million d'unités par an de différents types. Dans son discours, Volodymyr Zelensky a souligné que les dernières frappes avaient été effectuées avec des drones fabriqués en Ukraine, apparemment capables de déjouer les systèmes de défense aérienne russe sur une longue distance au-dessus du territoire ennemi. Selon Ryan, cette «campagne à longue portée est une partie essentielle des efforts ukrainiens pour mettre fin à la guerre». Toutefois, il avertit qu'il ne faut pas s'attendre à des miracles.
Enfin, l’aspect politique est tout aussi important. Avec les preuves de succès de ces frappes, Volodymyr Zelensky peut, pendant son voyage aux Etats-Unis, souligner plus aisément la dimension essentielle des frappes à longue portée dans ce conflit. Depuis plusieurs semaines, les Ukrainiens tentent d'obtenir l'autorisation de leurs alliés pour utiliser des armes occidentales à longue distance sur le sol russe. Jusqu'à présent, les Etats-Unis ont systématiquement évité de donner leur accord. De même, le chancelier allemand Olaf Scholz a une nouvelle fois refusé de livrer des missiles de croisière Taurus.
Zelensky a réitéré dans son discours vidéo que la permission et la livraison d'armes à longue portée accéléreraient la fin du conflit: «L'Ukraine a besoin de toute la capacité de frappe à longue portée. Non seulement nos propres drones et missiles, qui manquent actuellement de portée, mais tout ce que le monde peut offrir.»
Traduit et adapté par Noëline Flippe