Dans le jardin, plusieurs petites bombes sont posées au sol, bien rangées les unes à côté des autres. A quelques pas de là, dans la véranda de la maison, des sacs remplis de nourriture et de munitions sont prêts à être utilisés. Dehors, il fait déjà nuit noire, mais dans la maison, des lumières sont allumées, il y a de l'activité.
Mike, qui était entrepreneur dans la vie civile ukrainienne, est désormais commandant d'une petite unité d'artillerie du 21ᵉ bataillon de la Garde présidentielle. Comme les munitions sont rares, ses hommes se sont spécialisés dans le largage de bombes artisanales sur les envahisseurs russes à l'aide de drones.
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Les drones «kamikazes» sont toutefois plus connus: il s'agit de petits quadricoptères équipés d'une ogive, généralement blindée. Celle-ci explose à l'impact sur la cible. Contrairement à ces drones à usage unique, les drones bombardiers tels que le «Vampir», développé par l'Ukraine, peuvent être réutilisés à l'infini.
Des cercles bien informés à Kiev font remarquer que ces engins volants recyclables tuent et blessent davantage de soldats russes que les fameux drones kamikazes. Au lieu de leur faible charge utile d'environ 1,5 kilogramme, un Vampir peut transporter 20 kilogrammes au total avec ses six hélices.
L'équipe de bombardiers de Mike se compose de lui-même, de Eff, le chef d'équipe, et du pilote surnommé Koch. Les trois hommes enfilent leurs gilets pare-balles et ajustent leurs casques équipés de dispositifs de vision nocturne. Les drones Vampir sont principalement actifs la nuit, car le jour, les drones sont trop facilement abattus.
Nous sortons dans l'obscurité. Désormais, seules les lampes de poche à lumière rouge sont autorisées, pour éviter que les Russes ne nous repèrent de loin. Rapidement, les bombes, les sacs de ravitaillement, ainsi que les antennes, les batteries et le drone Vampir sont chargés sur le plateau d'un pick-up. Mike prend le volant. Il roule encore avec les feux de croisement, car nous sommes à environ douze kilomètres de la ligne de front. Dans cette région, la situation est critique pour les Ukrainiens. Les villes de Tchassiv Yar et Toretsk sont pratiquement tombées aux mains des soldats de Poutine; seule la ville de Pokrovsk résiste encore.
Le pick-up roule sur une route pleine de nids-de-poule. Mike éteint les phares de la voiture et les trois hommes rabattent leurs lunettes de vision nocturne de leur casque. C'est une nuit sans lune. Des éclairs et des coups de tonnerre se font entendre à l'horizon, mais il ne s'agit pas d'un orage. Ce sont des tirs d'artillerie.
Nous nous arrêtons devant le garage d'une maison. Comme il fait très sombre et que je n'ai pas d'appareil de vision nocturne, je dois m'accrocher à l'arrière du gilet pare-balles d'Eff. Le chef d'équipe me guide ainsi vers le garage, tout en s'assurant avec son fusil d'assaut qu'aucune mauvaise surprise ne me guette sur le chemin. Dans la pièce à l'odeur de moisi, j'allume ma lampe de poche à lumière infrarouge. Il y a un matelas par terre, beaucoup de détritus, une vieille poussette et quelques fauteuils usés. Mike installe des antennes à l'extérieur et câble les appareils, tandis qu'Eff et Koch s'installent confortablement dans le garage.
«Il est difficile de ravitailler certaines positions parce qu'elles sont constamment sous les tirs ou que nos véhicules sont attaqués par des drones russes en chemin», raconte Eff.
Ce n'est qu'ensuite que les bombes doivent être utilisées.
Il faut du temps pour tout mettre en place et préparer le drone au décollage. Mike y attache deux sacs, pour un total d’environ 20 kg. Dans le garage, Eff et Koch s’affairent à entrer des identifiants sur leurs tablettes et à configurer le système de pilotage. Enfin, les six rotors du Vampir émettent un bourdonnement grave, et l’appareil s’élève. Sa première mission est de livrer du ravitaillement aux positions Jytomyr et Lune. Eff suit le vol sur sa carte numérique.
Grâce à sa caméra thermique du Vampir, Koch observe le paysage en noir et blanc, découvrant du haut les bâtiments en ruine. Le largage du ravitaillement exige une grande précision. Eff assure la navigation et corrige Koch lorsque l'appareil n’est pas parfaitement positionné. Le vent souffle fort, rendant la stabilisation difficile.
Puis Eff donne l'ordre de larguer le sac. Le sac tombe comme une pierre, heurte un mur et est projeté au loin. La scène se répète. Deux sacs à la fois sont envoyés vers les positions convenues. Ensuite, le Vampir retourne au garage en pilotage automatique et est à nouveau chargé. L'opération de ravitaillement va durer environ une heure et demie.
Ensuite, Mike accroche quatre bombes sous le drone. Koch le dirige alors vers un marché couvert dont le toit a été perforé par les tirs. Ce bâtiment mesure plus de 100 mètres de long. Un peu plus tôt, des provisions et des batteries y ont été déposées pour les forces ukrainiennes, mais à l’autre extrémité du marché, des soldats russes se sont probablement réfugiés sous le toit endommagé. Eff guide avec précision le drone, cherchant à faire passer une bombe à travers une ouverture.
Une explosion illumine l’écran des tablettes, confirmant que la mission est réussie. Il est, pour l'heure, impossible de savoir si elle a fait des victimes. Ce qui est sûr, c’est que le ravitaillement est bien arrivé à destination, comme le confirment les troupes ukrainiennes sur place. Après environ trois heures d’opération, il est temps de retourner à la base. Le grondement des canons nous accompagne encore un moment.
Traduit et adapté par Noëline Flippe