Nastia aime parler et rit beaucoup. Mais il y a toujours des moments où les mots lui manquent. Elle est assise à la cantine d'un hôtel dans la banlieue de Kiev. Une pièce austère avec quelques tables et fauteuils. Au mur se trouvent des boîtes contenant des jouets, du matériel pédagogique et un ours en peluche.
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L'hôtel est aujourd'hui un lieu d'hébergement pour les enfants et les jeunes et Nastia, 15 ans, vit ici. Kiev n'est pas sa patrie, il lui a fallu parcourir un long chemin depuis le sud du pays jusqu'à la capitale ukrainienne.
Des dizaines de milliers d'enfants ont été enlevés par la Russie pendant la guerre contre l'Ukraine. Nastia était l'un d'entre eux. Les services ukrainiens parlent de 20 000 cas d'enlèvements confirmés. De son côté, la Russie affirme avoir «sauvé» 700 000 enfants ukrainiens. C'est d'ailleurs ce qui a provoqué un mandat d'arrêt international contre Poutine et sa commissaire aux droits de l'enfant Maria Lvova-Belova.
Selon l'accusation, l'enlèvement d'enfants ukrainiens par la Russie est systématique et constitue un génocide. Maria Lvova-Belova s'est elle-même vantée publiquement d'avoir dix enfants ukrainiens sous sa garde.
Nastia connaît Maria Lvova-Belova. Elle l'a rencontrée. Un jour, elle était apparue dans le foyer que Nastia qualifie de «prison». La complice de Poutine leur avait lancé:
La Junarmija, l'organisation de jeunesse de l'armée russe, serait également venue. Ils voulaient convaincre tous les enfants et adolescents de l'établissement d'y adhérer. Elle a refusé. Une rumeur selon laquelle les enfants seraient envoyés au front pour faire du travail humanitaire circulait dans le camp.
Le fait que Nastia soit aujourd'hui de retour en Ukraine est un coup de chance. Sur les dizaines de milliers d'enfants déportés vers la Russie, seuls 300 ont réussi à revenir dans leur pays.
D'après un rapport du Humanitarian Research Lab de l'université de Yale, les enfants sont placés dans au moins 43 camps et foyers dans toutes les régions de Russie. A cela s'ajoute une législation sur la naturalisation assouplie, grâce à laquelle les enfants déplacés obtiennent rapidement une nouvelle identité, y compris de nouveaux actes de naissance et le passeport russe.
Le 4 novembre 2022, alors que Nastia rentrait d'une fête d'anniversaire familiale, elle est tombée sur un poste de contrôle russe près de la ville de Kherson. Elle n'avait ni téléphone ni documents d'identité sur elle. Capturée, elle a ensuite passé deux semaines enfermée dans une cave avant d'être interrogée par les Russes. Pendant ce temps, les forces ukrainiennes reprenaient le contrôle de Kherson, et d'un seul coup, la ligne de front se trouvait entre Nastia et sa mère adoptive à Kherson.
Elle raconte que les Russes l'ont d'abord soupçonnée d'être une «collaboratrice» avant de décider de la placer dans un internat. Son programme? Lever à six heures, petit-déjeuner à sept heures, éducation patriotique et endoctrinement russe à partir de huit heures.
Elle devait hisser le drapeau russe et chanter chaque jour l'hymne national. Et ne surtout pas oublier les paroles. Sinon, dans le meilleur des cas, il fallait monter et descendre les escaliers. Ceux qui se montraient rebelles étaient mis à la cave, raconte Nastia.
Nastia enfouit ses mains sur ses genoux, son regard habituellement perçant s'abaisse. Lorsque le garçon est ressorti de la cave une semaine plus tard, il avait des bleus et des plaies partout sur le corps.
Nastia était logée à Henichensk. La ville est située entre le continent ukrainien et la Crimée. Pour elle, cette ville est plutôt devenue synonyme de cauchemar. Ce camp n'était rien d'autres qu'une prison, surveillés par des soldats de l'armée russe.
Sortir, se promener, communiquer avec le monde extérieur, tout ce qui fait la vie d'une adolescente était interdit.
Son histoire est celle de milliers d'enfants et de jeunes de tous âges qui ont été enlevés par les forces russes au cours de cette guerre. Beaucoup étaient orphelins ou placés pour d'autres raisons dans des institutions publiques ukrainiennes. Ils ont été attrapés aux différents points de contrôle et certains ont été attirés en Russie pour de soi-disant séjours de repos avec le consentement de leurs parents.
D'autres ont été enlevés de manière ciblée chez eux, sous la garde de leurs parents. Par exemple, lorsque l'un des membres de la famille servait ou avait servi dans l'armée ukrainienne. Ou encore lorsqu'ils figuraient sur une liste de politiciens, de fonctionnaires ou d'activistes pro-ukrainiens.
A son arrivée dans le camp, Nastia a reçu de nouveaux documents d'identité. Selon eux, elle n'avait officiellement plus de famille. Elle aussi est passée par la machine de l'endoctrinement.
Mais au moment où elle prononce ces mots, elle sourit malicieusement et penche la tête. Elle a peu de souvenirs de ces leçons, elle a préféré dormir pendant les cours. Elle hausse les épaules:
Un garçon dans la salle rit. Elle lui lance un regard malicieux. Plus tard, ils s'accroupiront tous les deux à une table, mettront leurs têtes ensemble, chuchoteront et ricaneront.
Il n'y a qu'une seule chose qu'elle n'a pas pu éviter, dit-elle: apprendre l'hymne russe. Cette chanson lui donne aujourd'hui la nausée.
Retrouver ces enfants puis les rapatrier est un travail de titan. Le réseau Save Ukraine collecte des informations, aide les familles à fournir les documents nécessaires et organise le processus de rapatriement.
Mais une fois qu'ils ont été adoptés en Russie, une opération de sauvetage est quasiment impossible. Plus le temps passe, plus le lavage de cerveau est efficace et plus le retour à la maison est difficile. Nastia le dit elle-même: une fille de son groupe a voulu rester sous la protection de la Russie.
Les opérations de sauvetage se déroulent à la vitesse de l'éclair: tous les documents sont obtenus à l'avance, l'entrée des proches en Russie est préparée - et ensuite, les proches se présentent sur place avec tous les papiers.
Dans le cas de Nastia, c'était le 19 mai 2023, lorsque quelques enfants du camp ont été soudainement envoyés dans une salle de classe. «Nous ne savions pas ce qui se tramait, mais il était clair que quelque chose était en train de se passer», raconte-t-elle. Elle s'est cachée sous la table et a pleuré de peur. Mais soudain, plusieurs femmes sont entrées dans la classe. Parmi elles, sa mère.
Nastia est donc à Kiev depuis le mois de mai, dans le centre géré par Save Ukraine avec d'autres jeunes aux histoires similaires. Sa mère est à Kherson, elle s'occupe de sa tante. Des psychologues s'occupent des traumas laissés par leur séjour au camp. Des cicatrices profondes qui se manifestent de différentes manières: anorexie, automutilation, etc.
Nastia dit qu'elle ne sait plus comment elle est rentrée à la maison. Lors de son voyage, la jeune fille a beaucoup dormi. Elle se souvient en revanche avoir marché longtemps dans la nuit, sans doute pour passer une frontière. Puis ils sont montés dans un autre bus. Jusqu'à Kiev.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)