Donald Trump et Vladimir Poutine se rencontrent ce vendredi en Alaska. Quel serait le pire scénario possible?
Christoph Frei: Le pire serait que Trump reste le pion de Poutine et se laisse à nouveau instrumentaliser par le président russe.
Sous quelles conditions Donald Trump considérerait-il le sommet comme un succès?
Pour Donald Trump, à peu près tout ce qui se passera à Anchorage peut être considéré comme un succès. Pourquoi? Parce qu’une de ses volontés les plus fortes est de «bien paraître», de dégager une image de force. La substance des négociations importe moins que l’effet visuel.
Et pour Volodymyr Zelensky?
Pour lui, l’idéal serait que Trump réalise que Poutine n’a aucune intention de mettre fin à la guerre – et qu’il en tire les conséquences. Dans ce scénario, Donald Trump, mû par son obsession d’obtenir un prix Nobel de la paix, adopterait une ligne dure vis-à-vis de Moscou. Ce serait le meilleur résultat pour Kiev: le président américain exerçant une réelle pression sur la Russie.
Cette semaine encore, Donald Trump a menacé Vladimir Poutine de graves conséquences s’il ne cède pas. Mais il a déjà repoussé à plusieurs reprises un précédent ultimatum. Poutine prend-il Trump au sérieux?
Pas vraiment. Trop souvent, il a réussi à le manipuler. La vraie question est: la Russie détient-elle de quoi faire chanter Trump? Certains experts, comme Ueli Schmid de l’Université de Saint-Gall, jugent cette hypothèse plausible. Pourquoi Trump agit-il si souvent dans le sens des intérêts russes? Est-ce uniquement par sympathie pour les «hommes forts», ou y a-t-il autre chose?
Les partisans de Trump rappellent pourtant l’accord de paix entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, auquel il aurait contribué.
Trump aime s’imposer au premier plan, pas seulement pour récolter des honneurs mais pour exister médiatiquement. L’ampleur réelle de l’apport américain à cet accord reste floue, beaucoup d’éléments ayant été prévisibles. Mais le fait est que l’accord a été signé, ce qui ne doit pas être minimisé. En revanche, au Proche-Orient comme en Ukraine, les interventions américaines sous Trump se sont révélées nettement moins fructueuses.
Pourquoi ce sommet sur sol américain, en Alaska, et non en terrain neutre?
Parce que Vladimir Poutine ne peut pas se déplacer librement en terrain neutre: il fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale. Les Etats-Unis, sceptiques envers cette institution, n’y voient pas d’obstacle. Le simple fait de rencontrer le président américain – pour la première fois depuis l'invasion de l'Ukraine – est déjà une victoire majeure pour Poutine. Cela légitime en partie ses actes et lui offre une tribune sur le sol américain.
Quels sont les pièges qui guettent Donald Trump dans cet entretien?
Pour lui, tout scénario serait un succès. Mais pour les autres, l’issue peut être lourde de dangers. L’Ukraine pourrait perdre gros si Poutine obtient des concessions: réduction de l’aide militaire américaine, reconnaissance implicite de l’annexion des quatre oblasts occupés (Lougansk, Donetsk, Zaporijjia, Kherson)…
Ni Zelensky ni aucune délégation européenne ne sont invités. Peut-il en sortir un accord satisfaisant pour tous?
Non. On ne peut pas défendre équitablement les intérêts ukrainiens si seuls Poutine et Trump négocient. Un mandat crédible exige un minimum de neutralité – ce qui n’est pas le cas ici.
En face-à-face, le président russe est clairement supérieur: Trump a, selon moi, la capacité d’attention d’une sauterelle, ce qui l’empêche de se concentrer longtemps. D’où la crainte qu’il ne devienne encore une fois l’instrument de Poutine.
Peut-on tout de même espérer qu'il en sorte quelque chose de positif?
Les pacifistes diront que le simple fait qu'ils se rencontrent est un bon signe. Je n’en suis pas convaincu. Cet entretien légitime en partie les actions de Poutine et n’offre aucun équilibre entre les parties.
En Ukraine, de plus en plus de voix se disent prêtes à envisager la paix par la négociation.
Oui, mais seulement si toutes les parties sont présentes. Un certain réalisme s’installe: il sera difficile de mettre fin au conflit sans pertes territoriales. Le retour de toutes les régions occupées est improbable; certaines zones de l’est du pays ont changé à ce point qu’un retour à l’Ukraine paraît irréaliste. Cette prise de conscience pourrait mener à des compromis, mais à condition d’obtenir en échange de solides garanties de sécurité – inexistantes pour l’instant.
Si la paix impliquait de céder une partie du Donbass, Vladimir Poutine s’en contenterait-il?
Non. Moscou reste campé sur ses exigences formulées en juin 2024. Profitant de son avantage militaire et du manque de volonté politique de l’Occident, Poutine ne concédera rien.
La Suisse pourrait-elle jouer ce rôle?
Rien n'est impossible.
Et après le sommet? Quelles seront les prochaines étapes?
Sans volonté politique des deux côtés, aucun progrès substantiel n’est possible. Il faudrait une pression extérieure massive: aide militaire accrue à Kiev, sanctions économiques renforcées contre Moscou… Mais tant que Poutine ne prendra pas au sérieux les menaces de Trump, les avancées réelles resteront peu probables.
Adapté de l'allemand par Tanja Maeder