En 2022 déjà, la Russie a commencé à recruter des hommes en Afrique pour mener sa guerre en Ukraine. Ces dernières semaines, l'engagement de ces mercenaires semble prendre de nouvelles proportions. Une interview vidéo d'un prisonnier de guerre somalien, récemment diffusée sur les médias sociaux, éclaire les tenants et les aboutissants de ce phénomène.
Le prisonnier de guerre Adil, qui se présente comme un étudiant en informatique de 28 ans originaire de Mogadiscio, raconte comment il a été envoyé en première ligne en Ukraine sous de faux prétextes par les autorités russes chargées du recrutement. Auparavant, sa formation militaire n'aurait duré que quelques semaines.
Sans instructions claires de la part des officiers, les premiers jours au front ont été «les pires de sa vie». Arrivé à l'origine en Russie en tant que travailleur salarié avec un visa de touriste, le Somalien s'est senti attiré par les nombreuses affiches de recrutement en Russie. La perspective d'un passeport russe et le salaire mensuel élevé promettaient une vie «de roi».
Aujourd'hui, après avoir été capturé par les troupes ukrainiennes, il appelle ses compatriotes africains à ne pas s'engager dans le service militaire russe. Cela ne vaut pas la peine de mettre sa vie et sa santé en danger, selon lui.
A frank interview with a Somali mercenary Adil in the Russian army who was captured in Ukraine. The guy is not stupid, he explains the situation with recruiting foreigners in Russia with ease.
— WarTranslated (Dmitri) (@wartranslated) June 17, 2024
- It’s very simple to get to Russia - just a week and your tourist visa is ready.
-… pic.twitter.com/aw1UKLvOgA
Bien que son appel, diffusé par l'armée ukrainienne, soit motivé par des intentions de propagande, le récit de l'expérience du Somalien coïncide avec d'autres informations récentes. Différentes sources décrivent comment la Russie a intensifié ses activités publicitaires à l'intérieur et à l'extérieur du pays afin de compenser les pertes faramineuses subies lors des opérations en Ukraine.
Comme l'a rapporté l'agence de presse américaine Bloomberg il y a une semaine, le Kremlin en est même venu à contraindre des milliers de travailleurs immigrés et d'étudiants étrangers au service militaire en les menaçant de leur retirer leur permis de séjour et de les expulser. On leur fait également miroiter d'abondantes compensations matérielles en échange de la signature d'un contrat militaire.
Selon une information du service de renseignement militaire ukrainien, la Russie promet aux nouveaux recrutés 2000 dollars américains de prime et une solde mensuelle de 2200 dollars, ce qui représente un montant plusieurs fois supérieur aux salaires russes habituels. Le contrat de l'armée est assorti d'une assurance maladie gratuite et de passeports russes pour le mercenaire et sa famille.
Si de telles conditions constituent déjà une tentation pour les quelque 35 000 étudiants africains en Russie, elles exercent une force d'attraction encore plus grande en Afrique. Au Rwanda, au Burundi, au Congo et en Ouganda notamment, les efforts de recrutement russes battent actuellement leur plein, si l'on en croit les services secrets militaires ukrainiens.
Plus tôt dans l'année, Bloomberg avait déjà rapporté que le Kremlin s'était fixé pour objectif de recruter 20 000 soldats pour son «Africa Corps», le nouveau nom que le ministère russe de la Défense a donné au groupe Wagner après sa mutinerie, l'été dernier. L'objectif de cette nouvelle armée de mercenaires serait d'accélérer les intérêts militaires et économiques de la Russie au Burkina Faso, en Libye, au Mali, en République centrafricaine et au Niger.
Mais il semble désormais qu'une partie, voire la totalité de l'Africa Corps, ait été transférée sur le front ukrainien afin de compenser les pertes subies là-bas. Le ministère britannique de la Défense écrivait fin mai que des unités de ce type avaient été observées dans la région de Voltchansk, au nord-est de Kharkiv.
Selon ces informations, les Africains sont engagés en première ligne avec les troupes d'assaut russes. L'unité identifiée lors de l'offensive contre Kharkiv comprendrait plus de 2000 officiers et soldats et serait directement subordonnée au ministère russe de la Défense. Nombre d'entre eux auraient déjà acquis une expérience de combat en tant que mercenaires de Wagner en Syrie, en Libye, au Burkina Faso et au Niger.
Les analystes britanniques sont certains que depuis ce mois d'avril, l'Africa Corps de Poutine a été libéré de ses tâches initiales en Afrique pour être envoyé sur le front ukrainien. Parallèlement, les autorités ukrainiennes signalent un nombre important d'étrangers parmi les prisonniers de guerre ces derniers temps, notamment des Africains et des Népalais.
L'ancien oligarque russe Mikhaïl Khodorkovski dénonce l'utilisation de mercenaires africains dans la guerre comme une «forme moderne d'esclavage». Si ces soldats «sacrifiables» tombent au front à la place des Russes, cela présente plusieurs avantages pour le Kremlin. Non seulement les autorités n'auraient pas de problèmes avec les familles endeuillées, mais cela serait également rentable financièrement pour le Trésor public.
Selon Mikhaïl Khodorkovski, le gouvernement russe a dû verser jusqu'à présent l'équivalent de 1,2 milliard de dollars de pensions de veuves et d'orphelins aux survivants des mercenaires de Wagner tués. En revanche, si des combattants africains et asiatiques étaient tués sur le front, les membres de leur famille n'auraient rien reçu.