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Interview

«La Chine surveille de près le Parlement suisse»

BEIJING, CHINA - OCTOBER 01: Soldiers of the People s Liberation Army prepare for a military parade marking the 70th anniversary of the founding of the People s Republic of China PRC at Tiananmen Squa ...
Un défilé de l'armée chinoise à Pékin. Pour rappel, les menaces de la Chine à l'encontre de Taïwan se multiplient.Image: www.imago-images.de
Interview

«La Chine surveille de près le Parlement suisse»

Quel est le réel enjeu autour des élections à Taiwan? Et pourquoi la Chine observe-t-elle attentivement ce qui se passe au Parlement suisse? La sinologue Simona A. Grano de l'université de Zurich nous apporte son éclairage.
12.01.2024, 18:5012.01.2024, 18:55
Fabian Hock / ch media
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Lors d'une rencontre avec son homologue américain Joe Biden, le président chinois Xi Jinping a été clair: une «réunification» avec Taïwan, que Pékin considère comme une province sécessionniste, est «inéluctable». En visite à Washington cette semaine, des généraux chinois ont renchéri:

«Il n'y aura jamais de compromis sur la question de Taïwan»

Les élections de ce samedi à Taïwan sont donc principalement placées sous le signe de la menace chinoise. Simona A. Grano, spécialiste de la Chine à l'université de Zurich, explique et analyse les principaux enjeux du moment.

Sinologin Simona A. Grano.
Simona A. Grano, spécialiste de la Chine à l'Université de Zurich.Image: André Hengst / Asia Society Switzerland

Quelle est l'ampleur de la menace que représente la Chine pour Taiwan?
Simona A. Grano:
Le président Xi Jinping attache beaucoup plus d'importance à la «réunification» avec Taïwan que d'autres gouvernements dans le passé. C'est l'objectif ultime pour la Chine. La tonalité et les manoeuvres militaires le montrent.

«Mais la question de savoir si la Chine va réellement attaquer Taïwan est liée à d'autres facteurs, et pas seulement aux élections.»

Lesquels?
Le premier facteur est l'évolution des relations entre la Chine et les Etats-Unis, qui a un effet beaucoup plus important sur la stabilité entre la Chine et Taïwan. Un deuxième facteur est la situation économique en Chine: le pays est confronté à une récession et les données réelles sont probablement pires que celles publiées. Xi Jinping intervient également de plus en plus fortement auprès de l'armée. Ces dernières semaines, nous avons entendu parler à plusieurs reprises de purges au sein de l'Armée populaire de libération.

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Le président chinois Xi Jinping.Keystone

Est-ce qu'il y a un risque de guerre à Taiwan?
Non. Du moins, pas dans les deux prochaines années. Sur le long terme, il est difficile de faire des prévisions, mais pour l'instant je ne pense pas qu'il y ait un risque. Surtout pas après les élections. Si le DPP, le parti actuellement au pouvoir, conserve le pouvoir, la Chine exprimera certainement son mécontentement à ce sujet. Mais Pékin regardera surtout les élections américaines de novembre.

«Si Donald Trump revenait au pouvoir, ce serait un avantage pour la Chine»

Je pense qu'il est donc peu probable que nous assistions à des changements de stratégie majeurs de la part de la Chine avant les élections américaines.

Pourquoi Donald Trump serait-il un avantage pour la Chine?
Durant sa présidence, l'ancien président des Etats-Unis a certes établi plusieurs mesures anti-chinoises et déclenché des guerres commerciales. Si Donald Trump revenait au pouvoir, nous aurions affaire à une Amérique plutôt tournée vers l'intérieur. Pour nous Européens, cela signifierait par exemple moins d'aide pour l'Ukraine. Cependant, son éventuelle réélection ne joue pas un grand rôle dans le soutien à Taiwan, car il y a un consensus entre les démocrates et les républicains.

Et donc?
Les alliances que Joe Biden a forgées avec l'Europe face à la Chine seraient affaiblies sous Donald Trump, s'il se comporte à nouveau comme il l'a fait durant sa présidence. Les Chinois le savent. Ces deux dernières années, ils ont déjà tenté de briser l'unité transatlantique qui s'était formée après l'invasion russe de l'Ukraine.

«Il serait donc dans l'intérêt de la Chine que Donald Trump revienne au pouvoir»
Simona A. Grano, spécialiste de la Chine à l'Université de Zurich

Notamment parce que cela permettrait à Pékin d'établir son rôle de leader du Sud mondial.

Dans un tel contexte, quel rôle joueront les élections à Taïwan?
Si le DPP de William Lai gagne – et les sondages vont dans ce sens – ce sera un problème pour la Chine.

Pourquoi?

«Car cela consoliderait cette tendance à voter pour le parti qui cherche à prendre le plus de distance avec Pékin»

Cela va de pair avec la tendance à l'identité taïwanaise. Au cours des cinq à dix dernières années, le nombre de jeunes qui se considèrent uniquement comme taïwanais a fortement augmenté. Ceci affaiblit le lien avec la Chine. Il y a dix ans, de nombreux Chinois étaient convaincus que Taïwan finirait par être à nouveau à eux, même sans guerre, simplement en raison des liens économiques forts. Soudain, on réalise que ce ne sera peut-être plus le cas.

Comment est-ce que la Chine pourrait-elle réagir aux élections taïwanaises?
Tout dépend de qui gagne. Si le Kuomintang, favorable à la Chine, gagne, je m'attends à des réactions moins vives et peut-être plus tard à une tentative de renforcer les relations politiques et économiques. Toutefois, même le Kuomintang est récemment devenu plus prudent.

«Si Pékin se rend compte que même le parti qui lui est le plus favorable ne veut plus coopérer, cela pourrait poser des problèmes.»

Que pourrait-il se passer si le DPP gagne, comme les tendances semblent le montrer?
Nous pourrions être confrontés à de brèves manœuvres militaires, comme nous l'avons vu par exemple après la visite à Taiwan de la politicienne américaine Nancy Pelosi.

«La Chine devrait ensuite continuer à essayer d'isoler Taïwan diplomatiquement et de sanctionner certains de ses produits agricoles. Et ainsi de suite.»
Simona A. Grano, spécialiste de la Chine à l'Université de Zurich

En Occident, quelle serait l'issue souhaitable des élections?

«Si le DPP gagne, nous courrons un risque plus élevé concernant la réaction de la Chine»

Mais cela signifierait également que l'attention du monde resterait focalisée sur Taïwan. En revanche, si le parti pro-chinois l'emporte, l'Europe pourrait penser que les tensions dans la région ont diminué. Et on cessera donc d'y regarder de plus près – ce qui serait, toutefois, beaucoup plus dangereux. Il serait donc plus souhaitable que le DPP gagne, car cela illustrerait un degré de stabilité et la poursuite de la politique actuelle.

La situation reste donc tendue, d'une manière ou d'une autre. Avec quelle influence sur la Suisse?

«La Chine surveillera de près toute motion au Parlement suisse qui traite de Taiwan»

Mais la question de Taiwan doit toujours être considérée dans le contexte de la concurrence entre la Chine et les Etats-Unis. Notre pays ne peut pas s'y soustraire. La neutralité suisse sera soumise à une pression de plus en plus forte. Cette année encore, nous aurons probablement une nouvelle stratégie pour la Chine, ou du moins un renouvellement de celle-ci. Dans ce cadre, il faudra se pencher sur la question de Taïwan. La situation reste donc tendue pour la Suisse.

«Elle continuera d'invoquer sa neutralité, mais l'espace pour manoeuvrer sera de plus en plus restreint»

L'année dernière, une délégation suisse s'est rendue à Taiwan. La Suisse met-elle en péril ses relations avec la Chine avec de telles actions ou s'agit-il, au contraire, d'actes symboliques importants pour soutenir Taïwan, qui est menacé?
Difficile à dire. Pékin continuera d'être agacée.

«Mais symboliquement, il n'est pas mauvais de signaler que l'on se tient aux côtés d'une petite démocratie qui est en danger»

Quant à savoir si cela apportera quelque chose à Taiwan, j'en doute. On pourrait mieux soutenir Taiwan en Suisse avec moins de mesures visibles et plus de faits. Il existe par exemple toute une série d'organisations internationales dont Taïwan est exclue. Toutes n'exigent pas que leurs membres soient des Etats reconnus. En raison de la pression politique exercée par la Chine, Taïwan se voit toutefois refuser l'accès à ces organisations.

«Des efforts pour renforcer le réseau international de Taïwan seraient bien plus précieux que des gestes symboliques comme des visites à la présidente.»

(Traduit et adapté par Chiara Lecca)

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source: reddit
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