Son livre, Lara Lucchi ne va pas le relire de sitôt. Elle n'est pas encore prête. «Cela me catapulterait en un instant cinq ans en arrière, ce qui me ferait beaucoup souffrir», explique-t-elle. «Je n'ai pas envie de me replonger dans cette ambiance». Cette ambiance, c'est le début de la pandémie de Covid, qu'elle a racontée dans un bouquin, né comme un carnet de bord lors des moments les plus durs de cette période.
Malgré le années écoulées, certaines blessures sont encore fraîches. Pourtant, Lara Lucchi évoque son expérience de manière ouverte, sincère et déterminée. Et n'a aucune intention d'oublier, bien au contraire.
Elle nous reçoit dans son bureau, à deux pas de la place centrale de Codogno. C'est dans cette petite ville italienne, située à une soixantaine de kilomètres de Milan, que le premier cas de Covid-19 d'Europe a été détecté, le 21 février 2020. La pandémie a violemment déferlé sur cette région. Elle a emporté beaucoup vies sur son passage et en a bouleversé de nombreuses autres.
Tout comme ses concitoyens, Lara apprend la nouvelle vendredi 21 février, tôt le matin. L'après-midi, la ville se renferme – c'est le début du confinement. Son père a la fièvre, mais, jusque-là, tout le monde pensait qu'il s'agissait d'une banale grippe saisonnière. «Au début, il allait bien», retrace Lara. «Il n'avait que les symptômes habituels».
Puis les choses se dégradent. L'état de santé du sexagénaire commence à empirer. Lara appelle l'hôpital, insiste, et une ambulance est dépêchée sur place.
L'homme est d'abord hospitalisé à Lodi, à une trentaine de kilomètres de là. «Ça a été la dernière fois où j'ai parlé avec lui. Comme il avait l'air d'aller, je me suis tranquillisée», raconte Lara. Mais ses conditions empirent. Le soir même, elle reçoit un appel: son père a été transféré à Milan. Il y sera hospitalisé dans deux structures différentes, où on lui pratiquera une trachéotomie.
Parallèlement, la mère de Lara développe à son tour une fièvre très sévère. Contrairement à son mari, d'habitude en bonne santé, elle est immunodéprimée, ce qui en fait un sujet hautement à risque. Elle est hospitalisée, quelques jours plus tard. D'abord à Pavia, puis à Brescia, à 90 kilomètres de Codogno.
Lara se retrouve avec deux parents hospitalisés dans deux villes différentes, seule, dans la maison où elle a grandi - avec tous les souvenirs et les émotions que cela implique.
Sa fille adolescente est loin, elle a dû la confier à son ex-compagnon. «Cette combinaison de facteurs m'a catapulté dans une réalité qui ressemblait à un film... à un cauchemar», rectifie-t-elle aussitôt. «Quand j'y pense, je ne sais pas où j'ai trouvé l'énergie, la force et le courage. Seuls ceux qui l'ont vécu peuvent comprendre».
Le 5 mars, deux semaines après la découverte du premier cas, Lara appelle l'hôpital où son père est interné. A l'autre bout du fil, on l'informe qu'il ne va pas s'en sortir. Elle, sa soeur et sa tante se précipitent à Milan, pour le voir une dernière fois. Le médecin avec qui elle a parlé lui a assuré qu'il les ferait passer.
«Il était dans le coma, il n'y avait plus rien à faire», dit Lara. «Je ne le souhaite à personne, mais le voir a été... réconfortant. J'espère seulement qu'il n'a pas souffert», ajoute-t-elle, peinant à retenir les larmes.
Sa mère parvient à se sauver. «Après mille péripéties, elle a pu rentrer à la maison», raconte Lara. «Au cours des deux années suivantes, elle a connu des complications et des hospitalisations très fréquentes, mais elle vit aujourd'hui seule et se porte plutôt bien».
C'est lors de ces moments très sombres que Lara commence à écrire. Elle a toujours aimé le faire, mais n'en a jamais eu vraiment l'occasion. «A ce moment-là, j'avais du temps et j'en avais besoin», se remémore-t-elle. Lara décide de mettre son histoire par écrit, sur les gros cahiers de sa fille qu'elle gardait à la maison.
La publication n'était pas encore prévue, mais l'écriture avance rapidement. Les pages s'enchaînent naturellement. Lara décrit l'hospitalisation de ses parents, mais également le retour à la maison de sa fille, quelque temps plus tard. «J'ai beaucoup apprécié cette période que j'ai vécue avec elle», relate-t-elle. «J'ai appris à mieux la connaître».
En 2021, Lara transfère ses pages sur ordinateur, les imprime et les envoie à plusieurs maisons d'édition. L'une d'elles, basée dans la ville voisine de Plaisance, accepte de publier son livre. Il porte le titre de Codogno Caput Mundi, soit «Codogno capitale du monde» en français.
«Le livre a même été mis en vente sur Amazon, j'ai fait quelques interviews. Je suis satisfaite», indique Lara. S'il faudra encore du temps avant qu'elle le relise, elle estime qu'il faut aller de l'avant. Et de conclure: