La radio du camp de base de l'Everest (5364 mètres) grésille. Le gardien des lieux, Dorchi Sherpa, presse l'appareil contre son oreille pour ne pas manquer d'autres messages. Nous sommes le 22 mai 2024, la saison d'alpinisme précoce bat son plein dans l'Himalaya.
Ces bribes de message seront les derniers contacts de son collègue, Nawang Sherpa, qui avait amené un alpiniste kenyan gravir le toit du monde.
Le client kényan, que Nawang Sherpa accompagnait, voulait atteindre le sommet sans oxygène. Lorsque les deux hommes sont arrivés dans la Death Zone, le message radio est finalement parvenu au camp de base.
Dans cette «zone de la mort» (8000 mètres), le corps humain commence à s'essouffler. Chaque inspiration ne fournit plus assez d'oxygène pour maintenir les fonctions vitales de base.
Dorchi Sherpa a répondu à son collègue qu'il devait lui donner de l'oxygène et entamer la descente. Mais le Kényan a refusé. Les discussions ont duré deux heures, sans succès. L'alpiniste ne voulait ni d'une assistance respiratoire ni faire demi-tour. Seul, Nawang Sherpa n'avait pas assez de force pour le sortir en toute sécurité de la Death Zone.
L'échange a viré au drame pour les deux hommes. L'alpiniste kenyan est mort d'un manque aigu d'oxygène. Sa dépouille est restée à l'endroit du dernier contact radio. La cause du décès de Nawang Sherpa demeure par ailleurs floue. Son corps n'a jamais été retrouvé.
La tragédie qui s'est déroulée au printemps met en lumière les risques mortels auxquels certains Népalais s'exposent constamment. En effet, selon Sanu Sherpa – le seul guide de montagne à avoir gravi deux fois les quatorze 8000 mètres de la planète –, la mort de son compatriote n'est pas un destin isolé.
Il déclare à la BBC que cet accident ne doit rien à l'imprudence. Nawang Sherpa a fait exactement ce pour quoi il a été formé et a été responsable jusqu'au bout.
Le travail de guide ou de porteur représente une opportunité unique pour les sherpas dans l'une des régions les plus pauvres du monde. Mais ce travail est extrêmement exigeant et dans le milieu, les réactions se font de plus en plus nombreuses.
Dawa Sherpa, la première Népalaise à avoir gravi tous les 8000 mètres, souligne ce dangereux paradoxe. Elle en a fait l'expérience et cite deux exemples très difficile à réaliser: préparer des repas à 8000 mètres d'altitude et rationner son propre oxygène juste pour que ses clients puissent continuer à grimper. Elle explique:
Et d'ajouter que les alpinistes fortunés «réservent» souvent plusieurs sherpas et s'attendent à un soutien physique pendant la descente, lorsqu'ils sont épuisés.
Lorsque les Népalais parlent des dangers de leur métier, une chose revient sans cesse: l'impossibilité de refuser des requêtes pourtant dangereuses, de peur de perdre leur travail et leurs revenus.
Les autorités touristiques manquent également de ressources et d'expertise pour surveiller ce qui se passe à des altitudes aussi extrêmes, souligne la BBC. Néanmoins, de nombreux sherpas dépendent de leur salaire pour aider leur famille.
Les encadrants certifiés par l'International Federation of Mountain Guides Association peuvent gagner jusqu'à 9000 dollars par ascension. C'est nettement plus que le salaire moyen dans le pays. Il s'élève plutôt à environ 1399 dollars par an. Ceux qui travaillent comme guides ou porteurs soulignent toutefois qu'en cas de tragédie, le filet de sécurité financier demeure insuffisant.
Le gouvernement népalais a récemment augmenté l'assurance vie obligatoire pour les travailleurs de haute montagne à 14 400 dollars. Mais selon les guides, cela ne suffit de loin pas pour dédommager des familles dépendantes à vie. La famille de Nawang Sherpa a reçu le montant habituel de la part de l'assurance après son décès. Et son employeur aurait également débloqué des moyens supplémentaires et offert son soutien.
En réponse aux préoccupations croissantes des alpinistes en matière de sécurité, le ministère du tourisme a introduit ce printemps de nouvelles règles pour la saison 2025. Pour toutes les expéditions vers des sommets de plus de 8000 mètres, le ratio d'un sherpa pour deux himalayistes s'impose désormais. De plus, tous doivent porter sur eux un appareil réfléchissant de la taille d'un chewing-gum. Il permet aux équipes de secours de trouver et de sauver plus rapidement les accidentés grâce à des ondes radar spéciales.
(Traduit et adapté par Valentine Zenker)