Netflix et Paramount se battent pour Warner Bros: voici les conséquences
Ce pourrait être un épisode d'une série américaine sur le monde des affaires. Qui, de Paramount ou de Netflix, mettra la main sur la Warner Bros? Les deux projets n'ont pas les mêmes motivations. Surtout, l'un et l'autre devront faire avec le droit de la concurrence aux Etats-Unis, mais aussi en Europe, mondialisation oblige. Résumé des premiers épisodes, si vous avez manqué le début.
La nouvelle a frappé Hollywood de stupeur. Le 4 décembre dernier, Netflix annonçait l'acquisition des studios Warner Bros. (WB) pour 83 milliards de dollars, coiffant au poteau le favori Paramount. La situation s'est depuis compliquée: le patron de Paramount, David Ellison, a surenchéri avec une offre hostile à 108 milliards de dollars pour l'ensemble du groupe WB Discovery, incluant les studios ainsi qu'un bouquet – en déclin – de chaînes de télévision, dont la célèbre chaîne d'information CNN.
L'issue de cette bataille est incertaine à l'heure actuelle. Les deux opérations sont de nature différente. Un achat par Paramount impliquerait une triple fusion entre deux studios, deux plates-formes de streaming – Paramount+ (79 millions d'abonnés) et HBO+ (128 millions d'abonnés) – et deux bouquets de chaînes de télévision (dont CNN et CBS). Ce serait une fusion horizontale entre des acteurs en concurrence directe sur leurs marchés. L'impact social pourrait être très lourd: l'opération prévoit 6 milliards de dollars de synergies, en grande partie via la suppression de postes en doublon.
Si Netflix mettait la main sur WB, ce serait principalement pour acquérir le vaste catalogue de WB et de HBO, les chaînes du câble étant exclues de l'offre du géant du streaming. Les synergies anticipées, de l'ordre de 3 milliards, concerneraient les dépenses technologiques pour les deux tiers et seraient constituées, pour le reste, d'économies sur les achats de droits de diffusion. Netflix pourrait ainsi librement diffuser Game of Thrones ou Harry Potter auprès de ses 302 millions d'abonnés dans le monde. Ce serait une fusion verticale combinant un producteur de contenus, WB, et un diffuseur, Netflix, qui éliminerait au passage un concurrent notable, HBO+.
Des précédents coûteux
Ce type d'opération pourrait rendre nerveux quiconque se rappelle l'histoire des fusions de Warner Bros. Déjà en 2001, le mariage de WB et d'AOL célébrait l'alliance du contenu et des «tuyaux» – pour utiliser les termes alors en vogue. L'affaire s'était terminée de piteuse manière par le spin-off d'AOL et l'une des plus grosses dépréciations d'actifs de l'histoire – de l'ordre de 100 milliards de dollars. Quinze ans plus tard, AT&T retentait l'aventure. L'union fut de courte durée. En 2021, le géant des télécoms se séparait de WB, qui se voyait désormais associé au groupe de télévision Discovery, sous la direction de David Zaslav, aujourd'hui à la manœuvre.
Pourquoi ce qui a échoué dans le passé marcherait-il aujourd'hui? A dire vrai, la position stratégique de Netflix n'a rien à voir avec celle d'AOL et d'AT&T. Les fusions verticales précédentes n'ont jamais produit les synergies annoncées pour une simple raison: disposer de contenu en propre n'a jamais permis de vendre plus d'abonnements au téléphone ou à Internet. Dans les deux cas, le château de cartes, vendu par les dirigeants, et leurs banquiers, s'est rapidement effondré.
Un catalogue sans pareil
Une fusion de Netflix avec WB délivrerait en revanche des bénéfices très concrets: le géant du streaming ajouterait à son catalogue des produits premium – films WB et séries HBO – dont il est à ce jour largement dépourvu. L'opération permettrait de combiner l'une des bibliothèques de contenus les plus riches et les plus prestigieuses avec le média de diffusion mondiale le plus puissant qui ait jamais existé. L'ensemble pourrait en outre attirer les meilleurs talents, qui restent à ce jour largement inaccessibles à Netflix.
En pratique, certains contenus, comme la série Friends, pourraient être inclus dans l'offre de base pour la rendre plus attractive et recruter de nouveaux abonnés. D'autres films et séries pourraient être accessibles via une ou plusieurs options payantes, sur le modèle de ce que fait déjà Amazon Prime, augmentant ainsi le panier moyen de l'abonné.
Le rapprochement de deux stars du divertissement ferait à coup sûr pâlir l'offre de leurs concurrents, dont Disney mais aussi Paramount. Et c'est là que le bât blesse. Les autorités de la concurrence, aux Etats-Unis et en Europe, approuveront-elles la formation d'un tel champion mondial? Si la fusion est confirmée, les procédures en recours ne tarderont pas à arriver.
CNN dans le viseur
C'est l'argument avancé par David Ellison, le patron de Paramount, qui agite le chiffon rouge de l'antitrust pour convaincre les actionnaires de WBD: que restera-t-il du studio si la fusion avec Netflix est rejetée après deux ans de procédures? Ted Sarandos, le co-PDG de Netflix, pourrait lui retourner la pareille, car une fusion horizontale avec Paramount ne manquerait pas d'éveiller, elle aussi, des inquiétudes – d'autant plus qu'elle serait largement financée par des capitaux étrangers venant du Golfe.
Le fils de Larry Ellison, deuxième fortune mondiale, réputé proche du président américain, s'est assuré le soutien financier du gendre de ce dernier, Jared Kushner. Si Donald Trump se soucie probablement assez peu du marché du streaming, il pourrait être sensible au sort réservé à la chaîne CNN, une de ses bêtes noires. En cas de victoire de Paramount, CNN pourrait être combinée avec CBS et sa ligne éditoriale revue pour apaiser le locataire de la Maison-Blanche. Du côté du vendeur, David Zaslav laisse les enchères monter. Il pourrait empocher une fortune – on parle de plus de 425 millions de dollars.
A cette heure, le sort de WB est entre les mains de cette poignée d'hommes. Des milliers d'emplois à Los Angeles, et ailleurs, sont en jeu. Une fusion WB/Netflix pourrait par ailleurs accélérer la chute de l'exploitation des films en salles, dans un contexte d'extrême fragilité : le nombre de tickets vendus dans les cinémas en Amérique du Nord a chuté de 40% depuis 2019. Netflix pourrait choisir de diffuser directement sur sa plateforme certains films de WB, qui représente environ un quart du marché domestique du cinéma. Pour les films qui conserveraient une sortie en salle, la fenêtre d'exclusivité réservée aux exploitants pourrait se réduire à quelques semaines, fragilisant un peu plus leur économie. Hollywood retient son souffle.
Cet article a été publié initialement sur The Conversation. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original

