Son air déterminé et son entrée «effrontée» en disent long sur les intentions de Shane Tamura, ce 29 juillet, lorsqu'il émerge d'une BMW noire devant le 345, Park Avenue, sur la 52e rue. Face à lui se dresse un bâtiment de 44 étages, qui abrite notamment les bureaux de la NFL et de la société d'investissement mondiale Blackstone. Il est un peu plus de 18h00, c'est bientôt l'heure de pointe. Des masses d'employés fatigués s'apprêtent à envahir les larges trottoirs pour rentrer chez eux.
A première vue, rien ne détonne chez Shane Tamura. Lunettes noires vissées sur le nez, veste anthracite, chemise bleue pâle. Rien, à l'exception du fusil d'assaut AR-15 qu'il tient fermement dans sa main droite.
Son calme laisse augurer de quelque chose: «il est clair, d'après la photo, qu'il n'a pas peur de se faire prendre», soulignera quelques heures plus tard le capitaine à la retraite du département de police de New York, John Monaghan, à la chaîne CNN.
Avant d'arriver devant cet immeuble, Shane Tamura a effectué un périple de plusieurs heures.
Agent de sécurité dans un casino de Las Vegas, il ne s'est pas présenté au boulot comme prévu dimanche matin. Au moment où sa direction alertait sur son absence, Shane était déjà loin. Il a sauté dans sa voiture la veille pour traverser l'Etat du Colorado. Le 27 juillet, il franchit le Nebraska et l'Iowa. Avant d'atteindre le New Jersey à 16h24, le 28 juillet, puis, sa destination finale. New York.
Il est très exactement 18h28, ce lundi, lorsque les premiers appels concernant un tireur actif dans un immeuble du 345 Park Avenue parviennent à la centrale d'urgence.
Shane, lui, est lancé dans son déchaînement macabre. Calme, méthodique, il passe les portes du bâtiment et tourne à droite. Il ouvre d'abord le feu sur l'officier Didarul Islam, un père de famille de 37 ans, qui effectue des heures de surveillance à côté de son job de policier au sein du NYPD. Une balle dans le dos. Puis c'est une femme cachée derrière un pilier qu'il abat, avant de tirer à plusieurs reprises dans le hall d'entrée du bâtiment.
Un homme est grièvement blessé. Shane, lui, poursuit son avancée vers les ascenseurs du bâtiment - non sans viser d'abord un autre agent de sécurité, qui s'était mis à couvert derrière un bureau.
Là, Shane croise le chemin d'une femme qui sort de l'ascenseur. Dans un moment de pitié apparente, il la laisse s'en aller. Après avoir grimpé dans l'ascenseur et atteint le 33e étage, il tire sur une dernière victime. C'est la fin du carnage.
Shane Tamura retourne l'arme contre sa poitrine. Et tire. Son corps sera retrouvé sans vie aux côtés de son fusil d'assaut AR-15 de Palmetto State Armory, taché de sang. La fusillade aura fait six morts, dont le principal suspect.
Si les motivations du jeune homme font toujours l'objet d'une enquête, selon la police lors d'une conférence de presse lundi soir, les contours de son geste se précisent. Dans son véhicule, immatriculé au Nevada au nom de Shane Tamura, les agents retrouveront un véritable arsenal. Un étui à fusil contenant des cartouches, un revolver chargé, des munitions supplémentaires, des chargeurs, un sac à dos et des médicaments qui lui avaient été prescrits.
Selon le New York Post, le tireur dispose également d'un permis de port d'armes dissimulé émis à Las Vegas, avec une date d'expiration en 2027. Rien de plus simple dans l'Etat du Nevada, où il suffit d'être résident et de prouver que l'on n'est pas un criminel condamné ou soumis à une ordonnance de protection ou d'éloignement, pour se le procurer.
Mais c'est surtout une lettre de suicide retrouvée dans la poche arrière du pantalon du suspect qui a jeté un nouvel éclairage sur le geste de Shane Tamura. Selon CNN, la courte note, griffonnée sur trois pages, mentionne notamment ses griefs contre la Ligue nationale de football. «Le football américain de Terry Long m'a laissé avec une ETC et m'a fait boire un gallon d'antigel», a écrit le tireur, selon la source.
L'ETC, ou «encéphalopathie traumatique chronique», est une maladie de type Alzheimer, fréquemment associée aux joueurs de football. Des études ont montré que des coups répétés à la tête, même sans commotion cérébrale, peuvent entraîner cette pathologie. Des traces de la maladie ont été retrouvées dans un nombre impressionnant de cerveaux de joueurs de la NFL décédés.
Terry Long, ancien joueur de football américain des Steelers de Pittsburgh mentionné dans la lettre de suicide, fait partie des célébrités du foot atteintes d'ETC. Le sportif professionnel s'est suicidé en 2005, après avoir bu de l'antigel.
L'enquête devra notamment déterminer pourquoi Shane Tamura s'est rendu jusqu'au 33e étage du bâtiment, alors que les bureaux de la NFL se trouvent au cinquième.
L'annonce de l'identité du tueur présumé a provoqué une onde de choc parmi ses anciens camarades. De nombreux témoignages n'ont pas tardé à affluer dans les médias américains sur la personnalité de Shane Devon Tamura, un étudiant calme, sympa et quaterback potentiel espoir du football américain, avec des rêves de NFL.
«Quand je l'ai connu, c'était un excellent coéquipier. C'était un type formidable en général. Il ne posait aucun problème, ni dans les vestiaires ni sur le terrain. C'était juste un gars qui aimait vraiment le sport, pas du tout problématique», lâche un ancien camarade à la chaîne KABC, sans citer son nom.
«On n'aurait jamais pensé que la violence pouvait être associée à lui», a ajouté Caleb Clarke, qui a précisé à NBC News que Shane avait été transféré entre plusieurs écoles en Californie juste avant sa dernière année, en 2015, au cours d'une course saluée en tant que joueur de football.
Si le jeune Shane Tamura était peut-être destiné à la grandeur en tant qu'athlète, ses aspirations ne se sont jamais concrétisées. La douceur de ses années de lycée a peut-être cédé la place à la dure réalité d'adulte. «Tout le monde lui disait à quel point il était génial. C'était le garçon le plus rapide que j'aie jamais rencontré, sans aucun doute», se souvient Caleb Clarke.
En attendant, «ses motivations font toujours l'objet d'une enquête. Nous cherchons à comprendre pourquoi il a ciblé cet endroit précis», a déclaré la commissaire du NYPD, Jessica Tisch, lors d'une conférence de presse organisée à l'issue de la fusillade la plus meurtrière qu'a connue la ville de New York depuis plus de vingt ans.