Le président russe Vladimir Poutine a une fois de plus menacé le monde de recourir à l'arme nucléaire. Dans une allocution télévisée mercredi 21 septembre au matin, il a déclaré que la Russie «utiliserait tous les moyens à sa disposition» pour se défendre.
Il renchérit:
Le président faisait visiblement allusion à l'utilisation de l'arsenal nucléaire qui, selon les experts, comprend plus de 1400 têtes nucléaires prêtes à l'emploi.
Dans quelles conditions juridiques le commandant en chef des forces armées russes pourrait-il donc ordonner une telle escalade? Son discours télévisé a-t-il changé la donne? Aperçu de la situation.
L'utilisation d'armes nucléaires est réglementée par la doctrine «sur les principes fondamentaux de la politique d'Etat de la Fédération de Russie en matière de dissuasion nucléaire». Publiée en juin 2020, il s'agit du premier document accessible à la population et expliquant en détail la manière dont les forces armées russes gèrent leur arsenal. Comme son nom l'indique, ces armes doivent en premier lieu servir à dissuader d'autres Etats d'une attaque nucléaire sur le territoire russe.
Il y a deux ans déjà, un passage du document avait suscité l'inquiétude des observateurs internationaux: au point 17, il est dit que:
Un passage ouvert à l'interprétation.
Selon sa propre conception, Moscou pourrait donc également réagir à des attaques non nucléaires par l'utilisation d'armes nucléaires. La décision revient en fin de compte au président russe – la doctrine règle également ce point. Vladimir Poutine a évoqué mercredi matin le fait que les Etats occidentaux poursuivent l'objectif «d'affaiblir, de diviser et finalement de détruire» la Russie.
Cette affirmation marque-t-elle donc un changement de tendance dans l'attitude vis-à-vis des armes nucléaires?
Dans le discours de Poutine, la soi-disant «opération militaire spéciale» en Ukraine s'inscrit dans un contexte plus large. Selon le chef d’état, l'Ukraine a été conçue comme une «tête de pont» antirusse dans le cadre de la volonté des pays de l'OTAN d'anéantir la Russie.
Cette rhétorique sur une guerre de l'Occident contre la Russie n'est toutefois pas nouvelle – dès le début de l'invasion, Poutine a exposé en détail sa vision grossièrement révisionniste de l'histoire quant à une Russie menacée. Et trois jours seulement après le début de la guerre, le Kremlin a fait savoir que les forces de défense nucléaire avaient été mises en état d'alerte – une mesure qui n'a probablement signifié qu'un renforcement des effectifs.
Depuis, Moscou s'efforce de poser régulièrement des limites dans sa communication, qui pourraient servir de justification à une nouvelle escalade de la guerre. Ainsi, la semaine dernière, le ministère russe des Affaires étrangères a déclaré que des livraisons de missiles de plus grande portée par les Etats-Unis constitueraient le franchissement d'une «ligne rouge». Dans ce cas, le Kremlin se réserve le droit de se défendre «par tous les moyens possibles», a déclaré sa porte-parole Maria Zakharova.
Les observateurs craignent néanmoins qu'avec son discours sur la «destruction» planifiée de la Russie, Poutine considère au moins envisageable l'option d'une frappe nucléaire. En avril déjà, la Stiftung Wissenschaft und Politik (réd: institut de recherche allemand) estimait dans une analyse que ces déclarations sur la doctrine nucléaire révélaient une position relativement ouverte.
Les auteurs de cette même étude soulignent que Poutine a toujours parlé d'une menace existentielle liée à l'ingérence des Etats occidentaux, à l'instauration d'une «anti-Russie» en Ukraine ou à la présence d'armes de destruction massive dans ce pays – reprenant ainsi directement des formulations de la doctrine nucléaire.
Mercredi également, le dirigeant a déclaré que le «chantage nucléaire» était utilisé contre la Russie. «Des représentants de haut niveau des pays de l'OTAN» parleraient de l'utilisation possible d'armes nucléaires contre la Russie. Le Kremlin n'a aucune preuve de cela.
Si l'intégrité territoriale dont parle Poutine «inclus les territoires actuellement occupés (avec des référendums à venir), le seuil de recours aux armes nucléaires semble avoir été considérablement abaissé», écrit sur Twitter l'expert militaire letton Toms Rostoks, directeur du Centre for Security and Strategic Research à l'Académie nationale de défense.
La politologue russe Tatiana Stanovaya se rallie à cette évaluation. Après l'échec de ses plans initiaux visant à s'emparer rapidement des territoires ukrainiens, Poutine a décidé d'organiser des référendums d'adhésion. Il se donne désormais la possibilité de défendre les territoires en danger grâce aux armes nucléaires. La Russie a ainsi nettement augmenté son engagement dans la guerre.
L'interprétation de Stanovaya est toutefois contredite par le fait que les conditions ont déjà été remplies une fois – sans que cela n'entraîne une attaque nucléaire de la Russie. En août, les forces armées ukrainiennes avaient attaqué la Crimée et l'avaient reconnue quelques semaines plus tard. La péninsule située au sud de l'Ukraine a été annexée par la Russie en 2014 et fait également partie de la Fédération depuis un référendum sans valeur pour la communauté internationale. A l'époque, des témoins oculaires avaient rapporté la présence d'hommes masqués et armés dans les bureaux de vote. On peut s'attendre à des circonstances similaires pour les votes dans le Donbass.
(t-online, jro)