Depuis Jean-Paul II, le pape de la «chute du communisme», on n’aura peut-être jamais autant politisé un pontificat que celui qui vient de prendre fin. A ce propos, de quelle couleur politique était le pape François?
Marc Lazar: Je pense que le pape, en général, ne fait pas de politique, même si un certain nombre de ses déclarations et de ses textes a des incidences politiques. Des responsables de gauche ont considéré que ce pape était un pape de gauche du fait de ses positions sur les migrants et le climat. La gauche ayant beaucoup de mal aujourd’hui, en Europe, à avoir une vision du monde structurée, elle a utilisé le pape pour combler un vide conceptuel. Mais cette même gauche a critiqué le pape sur des questions de fin de vie et d’avortement.
Et à droite?
A droite, ou plutôt à l’extrême droite, François passait résolument pour un pape de gauche, au bas mot. Lorsque l’Eglise catholique a condamné les propos très durs de l'extrême droite contre les migrants, la réponse a été: «Mêlez-vous de ce qui vous regarde et laissez-nous faire de la politique.» En France, Philippe de Villiers, pilier de la droite identitaire, a fait une attaque virulente contre le pape sitôt sa mort annoncée.
Les propos de cette élue américaine rejoignent le commentaire d’Alain Soral, sur X également, qui a traité le pape défunt d’«apostat».
C’est l’ultra-droite qui parle à travers Alain Soral. Inversement, Donald Trump, qui a été beaucoup critiqué par François, a demandé que tous les drapeaux soient en berne, de même a-t-il annoncé sa visite à Rome pour les funérailles du pape. En définitive, je ne crois pas qu’on puisse dire que le pape a été de droite ou de gauche. Mais il a été l’objet d’instrumentalisations ou de dénonciations par les différentes forces politiques.
Justement, compte tenu de ces instrumentalisations et dénonciations, l’élection du successeur de François s’annonce-t-elle comme un défi géopolitique majeur?
Oui et la question se pose pour le conclave qui va s’ouvrir: ira-t-il dans le sens de François ou prendra-t-il une autre direction? On parle ici d’enjeux liés à la paix, aux relations internationales, au climat, aux mouvements migratoires. Des sujets qui ont été semble-t-il au cœur de la rencontre, samedi à Rome, entre le vice-président américain JD Vance et le secrétaire d’Etat du Vatican, Pietro Parolin, numéro deux du Saint-Siège.
En Europe, malgré un processus de sécularisation très important, les interventions du pape fournissent des éléments de réflexion pour de nombreux citoyens, y compris pour des non-croyants.
L’Europe restera-t-elle comme la grande oubliée du pontificat de François, décrit comme le premier pape non-européen?
Petit-fils d’émigrés italiens, on peut penser que François l'Argentin s’est parfois identifié aux migrants venant aujourd’hui en Europe, souvent dans des conditions dramatiques. On a pu reprocher au pape d’être un peu distant par rapport aux enjeux du continent européen. Mais, en même temps, on sait que le catholicisme est bien plus vivant dans le Sud Global, en Amérique latine, en Asie, en Afrique.
Lesquels?
François laisse notamment comme héritage le dialogue avec les religions et avec l’islam en particulier, dans une Europe caractérisée par sa diversité culturelle et désormais religieuse. L’islam est deuxième religion dans plusieurs pays européens, pas en Italie, où la religion orthodoxe tient ce rang. Avec la peur de l’islam qui prévaut en Europe, l’islam étant associé par certains aux attentats et à l’islamisme radical qui les nourrit, le dialogue avec les musulmans est absolument fondamental. Ce dialogue est fondamental par rapport à des forces qui stigmatisent en permanence les musulmans et l’islam, diabolisés et accusés de menacer ce que ces forces appellent l’identité européenne.
Si des forces de droite identitaire font de l’islam et des musulmans des boucs émissaires, il existe à l’autre bord des forces islamistes qui voient dans l’Europe décrite comme déchristianisée une proie facile et qui par-là contribuent à la montée des extrêmes droites.
Il y a plusieurs menaces qui pèsent sur l’Europe. Certaines viennent de l’extérieur, comme celles de la Russie et de la Chine, qui remettent en cause notre modèle démocratique. Et puis, il y a la menace islamiste, qui est à la fois extérieure et intérieure. L’islamisme radical qui a provoqué des attentats déteste notre modèle d’Etat de droit. L’islamisme dans sa version politique et sociétal a des soutiens dans une partie des communautés musulmanes en Europe et bénéficie aussi de l’empathie d’une partie de l’extrême gauche.
En géopolitique, François, qui a semblé renvoyer dos-à-dos la Russie et l’Ukraine, a été accusé de naïveté face à la Russie de Poutine. A présent mort, le pape a reçu un hommage appuyé du dirigeant russe.
Le pape a été critiqué pour son attitude vis-à-vis de la Russie. Mais je crois que son optique était celle du dialogue avec les autres religions, l’orthodoxe en l’occurrence. Pour un certain nombre de personnes très engagées aux côtés de l’Ukraine, l’attitude du pape a été interprétée comme une forme de complaisance non seulement avec l’Eglise orthodoxe, mais avec une Eglise qui soutient complètement Vladimir Poutine.
L’élection du futur pape va devoir tenir compte d’un aspect potentiellement explosif lié aux migrations. Partout, les extrêmes droites progressent. La donne papale pourrait-elle évoluer?
Les associations catholiques en Italie et en Espagne jouent un très grand rôle dans l’accueil et pour l’intégration dans la vie quotidienne des migrants. Pour autant, toutes les enquêtes d’opinion en Europe montrent un rejet de l’immigration, la volonté de l’arrêter. Dans ce contexte, le message d’accueil de François n’a pas toujours été entendu par une partie des catholiques.
Qu’en déduisez-vous?
Dans trois pays européens, la France, l’Espagne et l’Italie, on le constate dans des études, beaucoup de ceux qui se disent catholiques même s’ils ne vont plus du tout ou rarement à la messe, ne respectent pas les messages du pape en faveur des migrants. Tout comme ils ne respectent pas le message sur la vie de couple. En effet, on ne l'apprend pas, des couples de catholiques divorcent ou se forment sans avoir la bénédiction du prêtre. Il y a ce processus de sécularisation, qui signifie à la fois un détachement par rapport à la religion, mais aussi une individualisation du croire et des pratiques religieuses.
Qu'en déduisez-vous, là encore?
Des personnes aujourd’hui attristées par la disparition de François peuvent avoir des attitudes qui ne sont pas du tout conformes à sa parole, entre autres sur les migrants.
JD Vance, le vice-président américain, converti au catholicisme en 2019, ayant eu la chance d’être reçu par le pape peu avant sa mort, s’était écarté en janvier du message de l’Eglise catholique.
Qu’avait dit JD Vance?
Il s’était référé à Saint-Augustin, l'un des Pères de l'Eglise, mort en 430, pour dire que l’individu a d’abord le souci de sa famille, de ses proches, de ses voisins, de son pays et peut-être après des autres. Le pape lui avait répondu en faisant part de son désaccord sur l’interprétation des propos de Saint-Augustin. Trump, lui, sera aux funérailles du pape, mais cela ne l’empêchera pas de construire des murs, alors que François lui avait enjoint de construire des ponts, sinon l’on n’était pas chrétien, disait-il.