Poutine transformé en crabe ou traité de «nain chauve»? C'est l'obsession du Roskomnadzor, abrégé «RKN», le principal organe de censure russe.
Parmi les nombreuses missions de cette agence de surveillance: sonder les profondeurs du web pour y trouver les publications critiques à l'égard du maître du Kremlin, avant de les bloquer et de les transmettre aux forces de sécurité.
Selon le média d'investigation indépendant Istories, depuis le début de l'invasion de l'Ukraine, l'œil numérique personnel de Poutine est parvenu à bloquer pas moins de 125 000 documents sur la guerre en circulation sur des médias russes ou les réseaux sociaux, dont Facebook et Instagram.
A l'intérieur du Roskomnadzor s'est constituée la «GRCHTS», une véritable «mini» entreprise d'Etat chargée de préserver la réputation de Poutine et des autorités russes. Dès 8h30 du matin, les 1000 employés de cette sous-filiale bossent à pied d'œuvre, week-ends et jours fériés compris, pour écumer internet, armés de logiciels de surveillance.
Dans leur viseur? Des mèmes sur Poutine, des rapports sur ses problèmes de santé, voire de simples commentaires négatifs de riverains russes après une visite du chef de l'Etat dans la région. Bref, toute information «négative et discréditante», potentiellement dommageable pour le président.
Parmi les mots-clés de prédilection de ces traqueurs du web? «Nain chauve», «chef corrompu», «voleur» ou encore «Putler» (contraction poétique de Poutine et Hitler). Autant d'insultes fréquemment utilisées comme termes de recherche par les critiques du Kremlin.
Mais il n'y a pas que des propos injurieux parmi tous les contenus numériques que les membres du personnel de l'agence fédérale sont chargés de débusquer. Les images, montages et autres caricatures ridicules de Poutine font également partie de leur panel de recherche.
Poutine en Führer, en vampire, en pédophile, en femme ou en homosexuel, ou encore en crabe (surnom apparu après que Poutine ait prononcé en 2008: «J'ai labouré comme un esclave dans les galères», retransmis par erreur dans les médias par «comme un crabe»), mais aussi en papillon de nuit (l'un des surnoms de Poutine dans sa jeunesse, selon la presse russe).
C'est sans oublier les dessins représentant l'ex-espion dans une posture peu flatteuse, gambergeant entre des déchets humains, dans une poubelle, à côté d'excréments ou dans des poses pornographiques.
On s'en doute, depuis février 2022, le gros des critiques en ligne sur Poutine porte principalement sur la guerre en Ukraine. La mobilisation, son 70e anniversaire ou l'explosion du pont de Crimée, l'automne dernier, ont été autant d'évènements ayant généré quantité de publications critiques - plus d'un millier de messages par semaine, selon les documents internes consultés par Istories.
Sur cette base, les employés sont également chargés d'émettre des prédictions sur les prochains événements susceptibles d'attirer à leur patron une vague de critiques en ligne. En août 2022, par exemple, on s'attendait à ce que la participation de Poutine au Forum économique de l'Est, à Vladivostok, soit l’objet de quelques posts acides.
Mais s'il est un autre sujet qui déchaîne l'internet depuis des mois, c'est évidemment l'état santé du maître du Kremlin.
En Russie, pour contrecarrer ces tentatives de «déstabilisation de la société russe» qui prétendent que la santé de Poutine serait dans un «état critique», les censeurs fédéraux n'ont pas chômé. C'est dire: en guise de test pour les candidats à un poste dans l’organe de censure, les futurs agents en herbe procèdent à une mission de surveillance «des événements informatifs sur la détérioration de l'état de santé du président».
Parmi les perles repêchées en ligne: «Poutine à 100% atteint de démence! Le vieil homme a perdu la tête!» ou encore, «Un Russe sain d'esprit soutiendra-t-il un président souffrant de maladie mentale?».
Au terme de cette traque acharnée, des rapports sur les «informations négatives et diffamatoires concernant le président de la Fédération de Russie» sont préparés régulièrement, avant d'être transmis plus haut, à l'administration présidentielle et aux forces de sécurité de l'Etat.
Depuis la mi-août, face à l'ampleur de la tâche, les rapports sont passés de quotidiens à hebdomadaires. Et les agents fédéraux ne comptent pas s'arrêter en si bon chemin: les prochaines élections présidentielles en Russie en 2024 seront l'occasion d'embaucher davantage de personnel. Un renfort qui ne sera pas de trop pour surveiller la réaction du public russe, à l'heure sensible de réélire son président.