Dans la course à la présidentielle américaine, où chaque détail compte, chaque geste est décodé, chaque parole est analysée, un phénomène particulier attire l’attention: les très rares femmes candidates sont souvent appelées par leur prénom, tandis qu’on fait référence à ces messieurs par leur nom de famille.
Lors des campagnes de Hillary Clinton en 2016, et plus récemment, de Kamala Harris, cette tendance a mis en lumière une différence de traitement surprenante et révélatrice des perceptions des genres dans la politique.
Appeler une candidate par son prénom peut donner l’illusion de la rendre plus accessible, plus «humaine». C'est d'ailleurs son prénom plutôt que son nom que scande la foule lors de ses meetings de campagne.
Ce qui peut être perçu comme un atout pour des personnalités publiques souvent jugées sur leur capacité à établir un lien direct avec les électeurs.
Une proximité, oui, mais aussi un retour de manivelle: en la plaçant dans le registre de l’intime, on lui retire une part d’autorité et de distance professionnelle. Selon la linguiste Deborah Tannen, interrogée par Newsweek, cette familiarité accentue l’idée que les femmes doivent être «chaleureuses et accessibles» pour compenser des stéréotypes encore bien ancrés: une femme en position de pouvoir est souvent jugée «sévère» ou «distante».
Ce double standard, explique l’experte, conduit les femmes à jongler avec une image publique souvent contradictoire. Elles doivent inspirer confiance sans paraître arrogantes, au risque d’être perçues comme peu charismatiques ou, pire, antipathiques. Appeler Hillary Clinton «Hillary» ou Kamala Harris «Kamala» participe de cette dynamique.
A l’inverse, les hommes, en étant référés par leur nom de famille, conservent une aura d’autorité et de sérieux presque automatique, sans avoir besoin de se battre pour l’obtenir.
Les femmes en politique sont piégées dans un phénomène à double tranchant: en montrant de l’assurance et en se comportant comme des figures d’autorité, elles risquent de perdre en sympathie et d’être taxées d’agressivité. Le dilemme est complexe, car si elles adoucissent leur ton et leur posture, elles peuvent être considérées comme manquant de leadership ou de crédibilité.
Dans le cas de Kamala Harris, comme l’écrit Newsweek, certains analystes ont souligné que cette appellation par son prénom pourrait également être liée à une image plus «approachable», mais qui lui ôte un aspect formel et institutionnel dont ses homologues masculins bénéficient d’office.
Les journalistes et le grand public, souvent inconsciemment, se conforment à ces attentes genrées: ils cherchent de la familiarité et de la «simplicité» chez les femmes, mais imposent une distance respectueuse aux hommes. L’habitude de prénommer les femmes candidates devient donc une pratique ambivalente, entre élan de sympathie et sous-estimation implicite de leurs compétences.
Ce traitement distinctif va au-delà du simple usage linguistique; il influence potentiellement les perceptions de compétence et de légitimité des électeurs. Selon une étude menée en 2016 pendant la campagne de Clinton, cette tendance pourrait avoir contribué à la perception d’une Hillary Clinton «moins qualifiée» que ses adversaires masculins. Les hommes, par défaut, obtiennent le privilège du respect institutionnel par l’emploi de leur nom de famille, un privilège rarement accordé aux femmes.
Le discrédit accordé en 2016 à Clinton a encore été accentué par le fait qu’un certain Bill avait déjà eu les honneurs du poste de président des Etats-Unis…
... Et qu’à cause de la plus célèbre des fellations accordée à ce Bill Clinton, alors président des Etats-Unis, cette même candidate démocrate Hillary Clinton partait, dans l’esprit de certains électeurs, encore avec cette étiquette de «pauvre femme trompée» du Monicagate. Une femme qu'on aurait du mal à voir à la tête de la plus grande puissance mondiale.
Les discussions sur le (pré)nom de l’actuelle candidate démocrate se sont multipliées au fil de la campagne. Des analystes notent que, contrairement à Clinton, Harris est plus souvent appelée par son nom de famille, signe possible d’une évolution dans le regard porté sur les femmes leaders aux Etats-Unis… Même si le cas de Clinton est particulier, comme le rappelle la linguiste interrogée par Newsweek.
Malgré tout, l’actuelle candidate démocrate reste souvent désignée par son prénom dans les médias et chez une partie des électeurs, ce qui maintient cette ambiguïté entre accessibilité d’une part, et diminution de son autorité de l’autre.
Ces petites disparités linguistiques montrent que le chemin vers l’égalité est semé d’embûches parfois invisibles, mais persistantes. En attendant, ces réflexions sur le langage rappellent que les mots et la manière dont on les emploie ont le pouvoir de modeler, voire de limiter, l’image des leaders de demain.