Le ciel vire au noir et le vent, anormalement tiède pour un 3 novembre, se charge d'électricité, ce dimanche soir, au-dessus du parking de Walmart d'Omaha. Une ambiance qui résume ces dernières heures de campagne électorale. Dans deux jours, le peuple américain sera fixé - ou pas - sur l'ambiance du pays pour les quatre prochaines années. Une perspective vertigineuse pour certains... moins pour d'autres.
«Par pitié, ne me parlez plus de cette élection!», supplie Nancy, mère au foyer, tout en jetant un paquet de Kellogg's Family Size dans son caddie. Cette petite brune ronde et souriante ne tient pas particulièrement à être photographiée. Ni à s'épancher sur ses préférences politiques. Elle n'en a pas, d'ailleurs. Sa principale préoccupation? Comme nombre de ses concitoyens, s'assurer que le petit-déjeuner de ses deux enfants soit toujours à la portée de son porte-monnaie.
Une indifférence que ne partagent guère Ronald et Doris, deux retraités dont nous faisons la connaissance au rayon des «valises et sacs de voyage». Ce couple pétillant de démocrates s'apprête justement à prendre le large pour deux semaines de vacances chez des amis, en Angleterre. «Nous assisterons à tout ça de loin», explique Ronnie, qui ne cache pas son appréhension à deux jours de l'élection générale.
«On pourrait aussi essayer de fuir en Europe», suggère son épouse avec ironie. Ronnie opine derechef, avant de nous souhaiter bonne chance pour couvrir «tout ce bazar». «Vous en aurez bien besoin!»
Même inquiétude du côté de Johnny, la soixantaine, style vieux briscard au look de motard, bandana vissé sur le crâne et lunettes de soleil sur les yeux. Sauf que lui, «évidemment», votera pour Donald Trump. Il espère qu'on «ne lui piquera pas l'élection», marmonne Johnny dans un accent à couper à la truelle, un paquet de saucisses à la main.
D'autres préfèrent affronter les heures - et les années - à venir avec espoir. C'est le cas d'Allan, en pleine méditation face à une alignée de tupperwares. «Tout ce que je souhaite pour ces élections, et au-delà... c'est la paix, affirme le jeune homme avec douceur, tout en soupesant son bac en plastique. Ce pays a besoin de paix.»
Même espoir du côté de Driss, tout jeune employé qui, entre deux remplissages de rayon, nous confie son optimisme pour la première élection présidentielle à laquelle il pourra participer. «Pour ce pays? J'ai de l'espoir. Un peu d'amour entre les gens, de l'unité, ce serait cool».
«Au fond, Harris, Trump, peu importe, lâche-t-il avec un haussement les épaules et une joyeuse indifférence. Le plus important, c'est de mettre fin à ces divisions. Et essayer d'avancer pour un meilleur futur.»
Quand à Jenny, sa collègue, qui passe à côté au moment de notre conversation, sa principale préoccupation est la question capitale de l'avortement. «Je ne laisserai pas un vieux type décider ce que je peux ou ne peux pas faire de mon corps», assure la jeune femme, guère rassurée - d'autant que la protection du droit à l'avortement dans la Constitution est en jeu, dans son Etat du Nebraska.
Au rayon fromage, nous échangeons trois mots avec deux jeunes femmes, la vingtaine, qui ne souhaitent ni l'une ni l'autre donner leur nom - et encore moins être prises en photo. Après avoir répété en boucle le mot «journaliste» et «Suisse» avec une certaine méfiance, l'une s'étonne: «Vous êtes vraiment en train d'écrire sur nos élections, là?», comme si cette possibilité la surprenait.
Et quand on tente à grande peine de leur arracher leurs sentiments, à deux jours de la présidentielle, la réponse tombe. Nette et tranchante.
Elles ne seront pas les seules à refuser d'être immortalisées. Entre les courses et les mioches dans les pattes, la tête dans la liste de course ou le nez sur son iPhone, la tête est ailleurs. C'est le cas de Jennifer, la trentaine, et sa mère, croisées en plein débat au stand des chocolats de Noël et des calendriers de l'Avent. Toutes deux iront voter mardi - et elles ne sont pas tombées d'accord. «Je pense voter Kamala, maman votera pour Trump», nous résume Jennifer.
Notre tournée s'achèvera au rayon surgelé, où un couple de latinos, Rodrigo et Marabella, passent en revue les crèmes glacées. Ils voteront pour Kamala Harris. Comme passablement d'habitants d'Omaha, discret point démocrate au milieu d'une marée rouge. «Je crois qu'on a juste envie de passer à autre chose, admet le père de famille. Et aller de l'avant.» Un désir que partagent sans doute la plupart de ses concitoyens.