S'il y a un truc que Donald Trump a parfaitement pigé à propos de la politique américaine, c'est qu'on ne peut pas s'en sortir sans faire semblant, au moins, d’accorder un tant soit peu d'importance à la religion. Le mot magique? Jésus. Au cours d'une longue interview mardi, l'ancien président n'a donc pas hésité à mettre le Christ sur la table - le seul «compteur de votes honnête», qui vaille selon lui.
Donald Trump (dont la foi reste à démontrer, contrairement à son sens de l'opportunisme) a brillé dans l’art de séduire les évangéliques conservateurs, en particulier les hommes blancs. Dans une énième manœuvre transactionnelle, le promoteur immobilier de génie a pris soin de mettre ces électeurs sous son aile, leur promettant amour, monts, merveilles et, à certaines occasions, pouvoir.
Si la part des Américains qui s’identifient à une religion s'est cassé la figure depuis une dizaine d'années, le vote des évangéliques blancs, plus volontiers prompts à voter républicain, reste extrêmement convoité. Et pour cause. Lors de ses campagnes présidentielles de 2008 et 2012, Barack Obama avait recueilli respectivement 26% et 21% des voix des chrétiens évangéliques blancs - et il avait gagné. Hillary Clinton, elle, n’a obtenu que 16% - et perdu. Selon les décomptes de plusieurs médias, Donald Trump, pour sa part, aurait raflé plus de 80% des voix de cet électorat.
Toutefois, cela pourrait changer. Le soutien des catholiques blancs ayant voté pour le républicain en 2016 et en 2020 s'est significativement érodé. «C'est son manque évident de gentillesse», juge le pasteur Doug Pagitt, directeur de Vote Common Good, une ONG qui représente les électeurs religieux à tendance progressiste, dans un éditorial pour MSNBC.
D'autres, comme The Atlantic, y voient plutôt la «trahison» de Donald Trump envers ses partisans pro-vie. Au cours des derniers mois, le candidat a opéré un revirement à 180 degrés sur la question: après avoir supprimé le volet pro-vie du programme du Parti républicain ou promis d’opposer son veto à une interdiction nationale de l’IVG, l'ancien président vient de franchir une étape supplémentaire en plaidant essentiellement pour un accès plus large à l’avortement.
Quelles que soient les raisons profondes de cette crise de foi envers Donald Trump, l'équipe de campagne de Kamala Harris a compris qu'il y avait une opportunité à saisir. Les démocrates en ont fait toute la démonstration à Chicago, la semaine passée. Tout au long de la convention, membres du Congrès, sénateurs, gouverneurs et autres éminences ont aligné les références bibliques comme les perles d'un chapelet.
«Si nous nous unissons et ne laissons pas ces gens à Trump, je pense qu'il est possible pour Harris de recevoir le plus haut niveau de soutien évangélique depuis que Jimmy Carter a obtenu environ la moitié des votes évangéliques, en 1976. Et si cela devait arriver, cela briserait l'échine du mouvement MAGA», analyse le pasteur Doug Pagitt.
Evidemment, ce mouvement pour s'attirer les faveurs des évangéliques n'est pas passé inaperçu dans le camp républicain. La conservatrice Fox News a donné la réplique en accordant des heures de temps d’antenne à la journaliste et autrice Megan Basham, qui alerte les conservateurs sur le fait que les églises chrétiennes du pays auraient été «infiltrées».
Même son de cloche du côté du New York Post, qui mettait récemment en garde contre cette «prise de contrôle progressive des églises évangéliques américaines» par des milliardaires de gauche.
En attendant, Kamala Harris, avec l'appui de plusieurs groupes religieux influents, continue de mener l'offensive. Avec l’espoir que si la démocrate parvient à briser l'emprise de Trump sur les conservateurs religieux et à se rapprocher des chiffres d’Obama, elle pourra accéder à la Maison-Blanche.
Pour le moment, on ignore comment sa foi personnelle et le soutien des coalitions religieuses se traduiraient concrètement dans son administration. Kamala Harris se contente d'afficher une attitude «modérée» sur la question religieuse, selon Jim Ball, fondateur du groupe Evangelicals for Harris, et «profondément rafraîchissante». «Pour moi, la vice-présidente Harris est une personne de foi profonde, c'est beaucoup plus authentique», tranche le révérend à USA Today.
Contrairement à un certain Donald Trump, qui n'a jamais lésiné sur les actes de religiosité tragicomiques pour faire sa promo. Personne n'a oublié les Bibles brandies à la Maison-Blanche ou, plus récemment, l'«édition approuvée par Donald Trump» commercialisée à 59,99 dollars pièce - un business parallèle qui lui aurait rapporté près de 300 000 dollars.
«Je l’ai vu tenir sa Bible et la promouvoir. Comme si cela était nécessaire», ironise le pasteur baptiste Raphael Warnock en pleine convention démocrate à Chicago, auprès du quotidien La Croix. «Le livre dit: 'Faites justice, aimez la miséricorde et marchez humblement avec votre Dieu.' Il devrait essayer de le lire.»
Désormais, chaque camp a compris qu'une partie non négligeable d'évangéliques était en jeu en novembre. Reste à savoir si cette proportion d'électeurs est suffisamment importante pour faire une différence le 5 novembre. Preuve qu'il ne souhaite pas en pendre la mesure, Donald Trump est le dernier à affirmer le contraire. «Les chrétiens, pour une raison ou une autre, ne votent pas beaucoup – vous savez, proportionnellement», a-t-il balayé ce mardi, sans fournir de preuve pour autant. Gare à ne pas prendre ses prières pour une réalité.