La Russie et la Chine misent sur une coopération renforcée en matière de défense. C'est dans ce contexte que le ministre russe Andreï Belooussov a rendu lundi une visite surprise à Pékin à son homologue chinois Dong Jun ainsi qu'au vice-président de la Commission militaire centrale chinoise, Zhang Youxia.
Selon les agences de presse nationales, Belooussov a ensuite annoncé que les discussions avaient été «significatives en termes de contenu».
L'objectif est de consolider les relations bilatérales, a-t-il ajouté. Le ministre de la Défense a encore souligné que des «décisions importantes» devaient être adoptées au cours de sa visite, sans préciser lesquelles. Selon un rapport de l'agence russe Tass, son collègue chinois a également affirmé que les deux pays ouvraient un nouveau chapitre dans leur coopération.
Cette rencontre inopinée intervient alors que les tensions mondiales s'accroissent: tandis que la Russie poursuit son invasion brutale en Ukraine, les voisins de la Chine déplorent le comportement de plus en plus agressif de Pékin. Les deux puissances se soutiennent mutuellement, sans avoir pour autant officialisé leur alliance.
Quel objectif visent-elles donc en organisant des exercices militaires communs et des entretiens entre hauts responsables?
Selon les données du think tank américain Center for Strategic and International Studies (CSIS), les exercices militaires communs ont nettement augmenté ces dernières années. Les forces terrestres des deux pays se sont entraînées pour la première fois en 2003. Depuis, 102 manœuvres ont eu lieu entre différentes unités, dont plus de la moitié depuis 2017. La majorité se sont déroulées sur leur territoire, mais les forces navales de Moscou et de Pékin se sont également rendues en Afrique, en mer centrale ou en mer de Béring.
Récemment, les deux pays ont par exemple organisé en septembre les manœuvres navales communes de grande envergure Ocean 2024, qui, selon Vladimir Poutine, devaient s'étendre de la Méditerranée au Pacifique. «Nous veillons tout particulièrement à renforcer la coopération militaire avec les pays amis», a-t-il déclaré lors d'une allocution retransmise à la télévision pour le lancement de l'opération.
La visite du ministre russe de la Défense arrive une semaine avant le sommet des pays des Brics à Kazan, en Russie, auquel sont également attendus les chefs d'Etat Xi Jinping et Vladimir Poutine. Le groupe tire son nom des premières lettres de ses cinq membres fondateurs: le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud. Depuis, d'autres pays l'ont rejoint, dont l'Iran. La Turquie souhaite en faire de même.
Pour la Russie, les manœuvres et la visite du ministre de la Défense en Chine visent probablement surtout à montrer que le pays n'est pas isolé sur la scène internationale, malgré l'attaque contre l'Ukraine. L'armée russe a été éprouvée par diverses guerres au cours des dernières décennies.
En revanche, si la puissance de l'armée chinoise ne fait aucun doute sur le papier, ne serait-ce qu'en raison de ses 2,2 millions de soldats et de sa flotte de 730 navires de guerre, tout reste à prouver sur le terrain. Les Etats-Unis disposent de plus de 1,3 million de soldats et de 472 navires de guerre, mais la qualité de leur armée s'avère nettement supérieure.
La Chine espère donc pouvoir apprendre de sa partenaire. Le think tank américain Institute for the Study of War (ISW) évoque notamment l'expérience russe en matière d'attaques de drones sur les infrastructures maritimes et portuaires. Alors qu'elle ne dispose pas de sa propre marine, l'Ukraine a pourtant réussi à sérieusement décimer la flotte russe de la mer Noire depuis février 2022. Pour ce faire, les troupes de Kiev misent notamment sur l'utilisation de drones maritimes.
Mais toutes les attaques n'atteignent pas leurs cibles, loin s'en faut, car la Russie a entre-temps adapté son action en mer Noire. De nombreux navires ont été mis hors de portée. Moscou protège désormais des ouvrages importants tels que le pont de Kertch à l'aide d'obstacles sous et sur l'eau. Elle s'est aussi dotée de davantage de brouilleurs pour manipuler la réception GPS des appareils qui la visent.
«La République populaire de Chine espère pouvoir utiliser certains de ces enseignements pour planifier d'éventuelles actions contre Taïwan», écrit l'ISW dans un briefing daté de lundi. Car Taïwan pourrait en effet également recourir à des drones en cas d'invasion chinoise.
Dans la foulée, l'armée chinoise a lancé lundi un exercice de grande envergure autour de l'île. Le ministère taïwanais de la Défense a recensé 125 avions de combat, hélicoptères ou drones. En outre, 17 navires de combat de l'armée et 17 autres des garde-côtes chinois auraient été enregistrés dans les eaux proches de Taïwan. Le porte-avions chinois Liaoning a également été repéré au sud-est. Dans un communiqué, l'armée chinoise a parlé d'un «sérieux avertissement» aux forces «séparatistes».
Le ministre russe de la Défense Andreï Belooussov a sans doute également suivi la situation de près. Son passage à Pékin signale le soutien de Moscou aux intérêts de la Chine.
Le processus d'apprentissage commun bénéficie toutefois aussi à la Russie. Les experts de l'ISW partent du principe que les exercices conjoints permettent d'améliorer l'interaction entre les deux forces armées - de la même manière que les pays de l'Otan utilisent des tactiques partagées. En fin de compte, «les deux parties pourraient tirer de précieuses leçons l'une de l'autre». Le ministère russe de la Défense a publié lundi une vidéo d'une manœuvre qui mettait l'accent sur la lutte contre les sous-marins. On y apprend qu'une patrouille commune devrait être engagée dans l'Indo-Pacifique.
Selon le groupe de réflexion CSIS, la Chine prend désormais elle-même régulièrement la tête des opérations. Cette dynamique devrait continuer dans les années à venir:
Car l'armée russe a étonnamment montré des signes de faiblesse, surtout au début de l'invasion à grande échelle de février 2022. La guerre, qui dure depuis plus de deux ans et demi, coûte cher au Kremlin, tant en ressources qu'en effectifs humains.
On considère par ailleurs désormais que l'armée chinoise a dépassé son alliée, notamment dans le domaine technologique. Les spécialistes estiment que la Chine a notamment progressé de manière significative dans le domaine de la guerre technologique au cours des dernières années. Moscou devrait donc profiter d'un partenariat étroit en la matière.
(Adaptation française: Valentine Zenker)