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Comment l'Otan pourrait réagir à une attaque nucléaire russe

Pourquoi le scénario d'une attaque nucléaire russe n'est «pas exclu»

L'armée russe n'avance pas en Ukraine, ce qui accroît les inquiétudes en Occident quant à l'utilisation d'armes nucléaires. Un scénario peu probable, mais pas exclu.
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30.03.2022, 16:41
Daniel Mützel et Patrick Diekmann / t-online
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Ce sont des avertissements que l'Occident doit prendre au sérieux. Le président russe Vladimir Poutine a déjà menacé à plusieurs reprises d'utiliser des moyens nucléaires. Les Etats-Unis préviennent en outre que la Russie pourrait utiliser des armes chimiques contre la population en Ukraine. Ce sont des scénarios si terribles que personne ne peut ou ne veut les imaginer.

Mais en attaquant l'Ukraine, Poutine a accepté les coûts élevés que cette guerre d'agression engendre. L'armée russe s'est engagée militairement, le Kremlin est aux abois et la propagande russe tend de plus en plus vers le délire.

Le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov semble vouloir poursuivre cette spirale d’escalade rhétorique. Il a raconté que l'Occident avait déclaré une «guerre totale» à la Russie. Une préparation à la prochaine rupture de civilisation, par exemple par l'utilisation de systèmes d'armes internationalement proscrits?

L'utilisation de missiles nucléaires ou d'agents chimiques donnerait sans aucun doute une nouvelle dimension à la guerre en Ukraine. Il est clair que l'Occident serait contraint de réagir. Les pays de l'Otan l'ont clairement fait savoir la semaine dernière. Une intervention militaire de leur part n'en serait toutefois pas forcément la conséquence.

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Un soldat ukrainien à Mykolaiv. Sur certains fronts, l'Ukraine a réussi à repousser les assaillants russes.image: keystone

Poutine est-il prêt à utiliser des armes nucléaires?

Avec les armes conventionnelles, l'armée russe n'a pas réussi en un mois à briser de manière sensible la résistance ukrainienne. «Les Russes ont désespérément besoin de victoires militaires pour les transformer en levier politique», explique Mathieu Boulègue, du groupe de réflexion britannique Chatham House. «Les armes chimiques ne changeraient pas le visage de la guerre. Une arme nucléaire qui anéantirait une ville ukrainienne, si. C'est peu probable, mais pas exclu.»

L'utilisation d'armes chimiques ne serait pas une nouveauté dans la guerre moderne. En 2012, la Russie avait «toléré» l'utilisation de gaz toxiques par le dirigeant syrien Bachar el-Assad.

Mais le président russe irait-il vraiment aussi loin? L'enjeu pour lui n’est plus seulement de détruire les forces militaires, mais aussi de briser la résistance de la population ukrainienne. L'utilisation d'armes chimiques ou nucléaires serait un moyen sanglant mais efficace de casser ce moral.

Le Kremlin a déjà construit le récit politique en cas d'urgence: selon le ministre des Affaires étrangères Lavrov, des laboratoires biologiques exploités par les Etats-Unis auraient été découverts en Ukraine. Il n'a présenté aucune preuve. A la place, Poutine a rappelé vendredi au monde entier que ce sont les Etats-Unis qui ont lancé des bombes atomiques sur le Japon.

Il y a tout de même de bons arguments contre l'utilisation de tels systèmes d'armes: Poutine ferait ainsi de son pays un paria. Même la Chine ne pourrait continuer à soutenir la Russie. En outre, avec une attaque nucléaire, on risque l'entrée en guerre de l'Otan, qui ne pourrait pas gagner contre la Russie par les moyens conventionnels. Pas plus qu’avec le nucléaire, d’ailleurs, car celui-ci ne fait que des perdants.

President Joe Biden eats pizza as he visits with members of the 82nd Airborne Division at the G2A Arena, Friday, March 25, 2022, in Jasionka, Poland. (AP Photo/Evan Vucci)
Joe Biden
Joe Biden rend visite aux troupes américaines en Pologne.image: keystone

L’escalade pour la désescalade

Les principes qui régissent l'utilisation d'armes nucléaires en Russie ne sont pas clairs. Certains experts et militaires, notamment à Washington, affirment que Moscou a abandonné la doctrine soviétique consistant à ne pas utiliser l'arme ultime en premier. «L'escalade pour la désescalade» serait désormais la règle. L'utilisation limitée d'armes nucléaires pour contraindre l'Otan à se retirer serait désormais une option.

Les dernières déclarations russes laissent toutefois planer le doute sur cette interprétation. Moscou n'utilisera des armes nucléaires en Ukraine qu'en cas de «menace existentielle» pour la Russie, a déclaré mardi le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov à la chaîne de télévision américaine CNN. Il n'y aurait aucune raison de «changer notre position stratégique de dissuasion», a commenté le porte-parole du ministère américain de la Défense, John Kirby.

La Russie serait tout de même parfaitement équipée pour une guerre nucléaire: selon la revue spécialisée Bulletin of the Atomic Scientists, l'arsenal militaire comprend 1588 têtes nucléaires stationnées, dont 812 sur des missiles terrestres, 576 sur des sous-marins et 200 sur des bombardiers. Près d'un millier d'autres têtes nucléaires seraient stockées.

Laisser Poutine dans le flou

On ne sait pas non plus comment l'Otan réagirait si un pays non membre de l'Otan comme l'Ukraine était la cible d'une attaque chimique ou nucléaire. Les Etats-Unis semblent se préparer à ce scénario: la Maison-Blanche a discrètement mis en place, il y a trois semaines déjà, la «Tiger Team», chargée d'imaginer certains scénarios et de tester les réactions possibles des Etats-Unis et de l'Occident à une attaque nucléaire ou chimique russe. C'est ce qu'a rapporté le New York Times.

Mais comment l'Otan réagirait-elle? Les réunions de la Tiger Team sont de haut rang et confidentielles. Il n'est toutefois pas sûr que l'organisation d’alliance militaire avancerait des troupes terrestres en Ukraine dans une telle situation. Même en cas d'attaque sur le territoire occidental, il faudrait l'accord des 30 Etats membres pour déclarer un incident relevant de l'article 5. Face à la menace russe, la stratégie de l'alliance de défense occidentale est de laisser Poutine dans le flou. Toutes les options restent ouvertes.

Tout dépend aussi de l'ampleur de l'utilisation de ces armes par la Russie. Le New York Times affirme que la Tiger Team prépare une réponse en cas d’attaque sur le territoire de l'Otan – il est question de frappes contre des convois et équipements militaires russes.

En réaction aux préparations russes présumées à l’utilisation d'armes non conventionnelles, l'Otan a également mobilisé sa Taskforce pour la défense contre les attaques nucléaires, radiologiques, biologiques ou chimiques (NRBC).

Il s'agit d'un bataillon d'environ 400 spécialistes entraînés pour l’évènement le plus grave – une attaque avec des armes NRBC sur le territoire de l'Otan. Outre la reconnaissance et l'examen des substances toxiques, les agents apporteraient également leur soutien dans les zones contaminées.

Le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a souligné lors du sommet du G7 qu'il ne s'agissait pas forcément d'une attaque directe sur le territoire de l'organisation militaire: si des agents chimiques ou biologiques franchissaient la frontière lors d'une attaque russe en Ukraine, cela «changerait fondamentalement la nature du conflit». Stoltenberg a délibérément laissé ouverte la question de savoir s'il entendait par là une participation ouverte des pays de l'Alliance à la guerre.

La crainte d'une escalade de la guerre fait naître des exigences: on veut que l’Otan trace des «lignes rouges» si Poutine devait utiliser les armes interdites contre l'Ukraine. Le président Biden est, lui aussi, sous pression sur le plan de la politique intérieure: certains demandent au gouvernement américain plus de mesures pour mettre fin au malheur des Ukrainiens.

Mais Biden évite justement de s'engager dans ce jeu de langage dangereux: le président sait ce que signifie montrer des lignes rouges à un agresseur militaire, mais ne pas intervenir lorsqu'il les franchit. Cela ne démontre pas seulement sa propre faiblesse, mais donne à l'adversaire une sorte de carte blanche pour commettre toutes sortes d'atrocités.

This citizen journalism image provided by the Local Committee of Arbeen which has been authenticated based on its contents and other AP reporting, shows Syrian citizens mourning over the dead bodies o ...
Victimes d'une attaque au gaz toxique en Syrie en 2013. (source: imago images)image: keystone/AP Photo/Local Committee of Arbeen

Le prédécesseur de Biden, Barack Obama, avait menacé le dirigeant syrien Assad en 2012 en lui disant qu'une utilisation d'armes chimiques contre sa propre population franchirait une ligne rouge. Mais celui-ci ne s'est pas laissé impressionner par le bluff d'Obama et a tout de même utilisé du sarin mortel contre des villes syriennes.

Les Etats-Unis ne sont pas intervenus, Assad a continué de tuer avec l'assurance de pouvoir tout se permettre.

Du point de vue de l'ex-général de brigade Erich Vad, il n'existe qu'une seule ligne rouge pour l'alliance militaire occidentale: «Il s’agit de la zone d'alliance de l'Otan.» En outre, l'organisation militaire a clairement indiqué qu'elle ne voulait et n'allait pas tracer d'autres lignes rouges. «Je pense que c'est raisonnable.»

Erich Vad interprète en conséquence la déclaration du secrétaire général de l'Otan Stoltenberg selon laquelle une utilisation d'armes chimiques changerait «fondamentalement» la nature de la guerre: «L'Otan n'interviendra pas militairement, même en cas d'utilisation d'armes chimiques entraînant de nombreux morts», estime l'ex-général de brigade.

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Le président russe doit mobiliser de nouvelles troupes pour sa guerre en Ukraine.image: keystone

La guerre a sa propre dynamique et il s’y passe des «choses cruelles», selon Erich Vad, notamment lorsqu'une partie belligérante, comme la Russie actuellement, se sent coincée. Mais cela ne sert à rien de réagir à chaque escalade de l'adversaire par une nouvelle escalade.

«Nous devons garder cela à l'esprit: une entrée en guerre de l'Otan mènerait à la Troisième guerre mondiale. Cela n'aiderait personne, pas même l'Ukraine»
Erich Vad, ex-général de brigade

L'ex-général de brigade ne s'attend toutefois pas à ce que Poutine aille jusqu'à l'extrême et utilise des armes nucléaires contre l'Ukraine. «Cela saperait la stratégie de guerre russe, conçue pour contrôler les territoires et les centres urbains. On ne peut pas occuper un pays contaminé par le nucléaire.»

Erich Vad s'inquiète toutefois d'une utilisation d'armes chimiques dans les villes ukrainiennes: si Poutine ne parvient pas à progresser militairement, il pourrait se voir contraint d'utiliser des gaz toxiques. «Il minimiserait ainsi ses propres pertes.»

Un pour tous, tous pour un...?

En fin de compte, la réaction de l'Otan montre que c'est avant tout le territoire de l'Alliance qui est au centre des idées de défense. Certes, l'utilisation d'armes nucléaires et chimiques constituerait une nouvelle «dimension de guerre» – on s'accorde sur ce point à Bruxelles. Pourtant, même dans un tel cas, l'Ukraine risque finalement de ne pas recevoir d'assistance militaire. La crainte d'une guerre nucléaire mondiale est trop grande.

Malgré cela, l'Otan mise sur la dissuasion pour faire monter les coûts d'un tel scénario. L’alliance occidentale est parfaitement consciente de la fragilité du régime russe. Poutine a fait une erreur de calcul en Ukraine et doit mobiliser d'autres forces pour cette guerre. Cela met à nu les défenses résiduelles de la Russie et, pour les situations que Poutine considère comme une menace existentielle, il ne reste finalement au Kremlin que ses armes nucléaires.

Des scénarios qui semblaient auparavant inimaginables deviennent soudain envisageables, et c'est ce qui rend la situation actuelle si dangereuse.

Traduit de l'allemand par Tanja Maeder

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