Actuellement, tout se passe bien pour lui dans la guerre en Ukraine, du moins sur le plan militaire. Ainsi, Vladimir Poutine a claironné vendredi à la télévision publique russe que la Russie ne ferait aucune concession. Il est trop tôt pour négocier un quelconque accord avec le gouvernement de Kiev, a-t-il estimé.
Trop tôt? Après deux ans et demi de guerre d'usure, le Kremlin pense encore pouvoir améliorer son jeu en vue d'éventuelles négociations. L'armée russe progresse dans l'est de l'Ukraine vers Pokrovsk - une ville extrêmement importante pour la logistique dans l'oblast de Donetsk. Le président russe joue la montre et souhaite utiliser politiquement son vent arrière militaire tout en attendant de voir qui remportera les élections présidentielles américaines.
Dans ce contexte, la Russie espère avant tout un chaos politique intérieur aux Etats-Unis et un affaiblissement de l'Occident qui en résulterait. Une chose est claire, ce serait un cadeau pour Poutine. Mais ce n'est pas si simple.
La pression sur le despote russe s'accroît en politique intérieure et extérieure. Les pertes de Poutine sont fatales et il doit craindre de nouvelles mesures de l'Otan. C'est l'une des raisons pour lesquelles Poutine se montre particulièrement bavard ces jours-ci. Il veut en fait démontrer sa force, mais il montre plutôt où se situent actuellement les faiblesses de la Russie.
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Dans cette guerre, il s'agit toujours de savoir qui a le plus de souffle: la Russie et ses alliés ou l'Ukraine et ses soutiens occidentaux. Avec son invasion, le chef du Kremlin s'est complètement trompé dans ses calculs.
BBC asks Putin if he believes Russia is safer now after he invaded Ukraine.
— Tymofiy Mylovanov (@Mylovanov) October 25, 2024
Putin acknowledges attacks on Russian territory, struggles to justify that it has become safer. He rumbles about Russian global standing, NATO bases in Ukraine, and 2014 1/
pic.twitter.com/pGIdOU7GUZ
Rappelons que les dirigeants russes ne s'attendaient pas à ce que l'Ukraine tienne aussi longtemps. Au contraire. Le Kremlin ne s'attendait qu'à quelques jours de résistance ukrainienne, comme les services de renseignement occidentaux l'ont relativement bien démontré par la composition et l'équipement des troupes d'invasion russes en février 2022.
Mais en cette fin octobre 2024, l'armée russe se bat toujours en Ukraine, et aucune fin n'est en vue. La Russie occupe actuellement près de 20% de l'Ukraine - des villes qui sont souvent complètement détruites et dont l'ancienne population rejette majoritairement la domination russe.
Pour cela, Poutine a non seulement sacrifié des dizaines de milliers de vies humaines, mais il a également découplé son économie de l'Occident, dépensé plus de la moitié du fonds de prospérité russe et s'est mis, au passage, dans une immense dépendance vis-à-vis de la Chine. Le secrétaire général de l'Otan Mark Rutte a déclaré lundi à Bruxelles:
Le prix à payer pour la Russie est immense. En outre, sur le plan de la politique intérieure, Poutine doit craindre de recevoir l'addition de cette crise une fois la guerre terminée. Le chef du Kremlin est comparable à un joueur qui a déjà perdu beaucoup d'argent au casino et qui continue à jouer en pensant qu'il peut encore récupérer ses pertes. En psychologie, il existe un terme technique pour désigner ce type de comportement: l'escalade de l'engagement ou le «syndrome du trop-plein d'investissements pour être remboursé».
En dépit de ses propres pertes, la Russie sous le règne de Poutine semble donc toujours vouloir atteindre ses objectifs de guerre. Mais cela ne va pas sans difficulté, même pour un dirigeant qui exerce un contrôle absolu sur les médias en Russie.
Poutine doit lui aussi rassurer sa population et ses alliés internationaux. Il poursuit donc principalement trois objectifs:
C'est précisément la poursuite de ces objectifs qui est apparue clairement ces derniers jours et qui révèle plusieurs faiblesses auxquelles la Russie doit actuellement faire face.
En faisant une démonstration de force, Poutine veut assurer à ses plus proches alliés qu'il est sur la voie de la victoire en Ukraine et que la guerre ne durera plus trop longtemps. Après tout, en politique internationale, personne ne veut être du côté du perdant, personne ne veut être du côté du paria criminel. C'est pourquoi Poutine s'est empressé de serrer des mains lors du sommet des Brics la semaine dernière, a mis en scène les pays des Brics comme étant les nouveaux amis de la Russie et n'a été que trop heureux de saluer le secrétaire général de l'ONU António Guterres, de passage en Russie.
Poutine veut ainsi démontrer avant tout à sa propre population que la Russie a encore suffisamment de partenaires en dehors des Etats-Unis et de leurs alliés.
Mais les apparences sont trompeuses. Les pays des Brics sont avant tout liés par une aspiration commune à plus de prospérité et de croissance économique. Les membres des Brics n'ont pas de socle de valeurs communes, ils ne considèrent pas collectivement l'Occident comme un ennemi. Ainsi, lors de la réunion des Brics à Kazan, le président chinois Xi Jinping et le premier ministre indien Narendra Modi ont lentement augmenté la pression sur Poutine, sans toutefois lui serrer la vis trop fort. La Chine et l'Inde aspirent en tout cas à la fin de la guerre en Ukraine, car celle-ci constitue un frein pour l'économie mondiale.
Poutine prétend prendre les initiatives pour la paix au sérieux. Dans la pratique, rien n'est vraiment visible jusqu'à présent. Mais Moscou ne peut pas se permettre de froisser durablement ces pays. Car Poutine ne peut pas poursuivre sa guerre sur le plan économique sans le soutien de la Chine et de l'Inde, et cette dépendance est actuellement la première faiblesse de la Russie.
La démonstration de force militaire ne sert toutefois pas seulement à rassurer ses propres alliés, elle est également un élément central de la dissuasion russe. Le Kremlin menace régulièrement d'utiliser des armes nucléaires afin d'empêcher ou du moins de ralentir les mesures de soutien occidentales. Cela s'avère être une stratégie efficace, même si Poutine irrite ses alliés comme la Chine avec ces menaces.
Les Occidentaux se demandent désormais si les alliés de l'Ukraine doivent autoriser l'utilisation d'armes de longue portée contre des cibles militaires sur le territoire russe. Dans ce cas, le président russe menace d'entrer en guerre avec l'Otan.
«Ils n'ont rien dit à ce sujet, mais j'espère qu'ils ont entendu», a-t-il répondu à un journaliste de la télévision d'Etat russe qui l'interrogeait sur la réaction de l'Occident à ses avertissements:
Là encore, il s'agit surtout d'un bluff destiné à susciter la peur en Occident. Après tout, l’Occident identifie depuis longtemps des cibles en Russie et en Ukraine, notamment à l’aide de satellites. L’armée ukrainienne n’aurait pas besoin de soldats occidentaux pour faire fonctionner ses armes.
Il s'agit donc à nouveau pour Moscou d'empêcher par ses menaces les mesures occidentales de soutien à l'Ukraine. Car la deuxième faiblesse de la Russie est évidente: l'alliance occidentale dispose d'une puissance financière bien plus importante que la Russie. Dans cette guerre hybride, Poutine doit donc s'attaquer à la détermination de l'Occident - et alimenter la lassitude des démocraties occidentales face à la guerre.
Les dirigeants russes partent du principe qu'ils disposent de plus de ressources que l'Ukraine, mais celles-ci sont tout de même limitées. Et c'est justement la troisième faiblesse que Moscou aimerait dissimuler: la Russie a des problèmes de ravitaillement.
C'est pourquoi le Kremlin ne se contente plus de recourir aux armes et aux munitions de la Corée du Nord et de l'Iran, mais probablement aussi aux soldats nord-coréens. Le président russe a certes indiqué ce week-end que l'on ne savait pas encore où les troupes du dictateur Kim Jong-un seraient déployées. Mais l'essentiel est que le chef du Kremlin ne nie plus leur existence.
Pour Poutine, qui n'a cessé de promouvoir la force de son armée ces dernières années, c'est un aveu embarrassant. Mais la Russie ne peut manifestement pas se passer des troupes de Kim, sinon elle ne risquerait pas l'embrasement généralisé que les troupes nord-coréennes pourraient déclencher.
Traduit et adapté par Chiara Lecca