Le règne de Poutine pourrait prendre fin à cause de cette crise
Depuis un quart de siècle, Vladimir Poutine se donne l’image d’un chef tout-puissant. Il ne s'affiche désormais plus torse nu, mais ses médias d’Etat continuent de cultiver le mythe d’un président infaillible. Quand quelque chose tourne mal, ils l’ignorent ou en font porter la faute à ses subalternes, jusqu’à ce que Poutine, dans sa «grande sagesse», vienne corriger leurs erreurs.
Mais cette mécanique bien rodée se grippe. Le quotidien des Russes est désormais perturbé par des crises simultanées: carburant, alimentation et peut-être bientôt les banques. La situation est-elle critique? Et surtout, pourrait-elle ébranler le pouvoir du président russe?
De l'ascension fulgurante à l'essoufflement
Quand Vladimir Poutine accède au pouvoir en 2000, la Russie sort d’une décennie noire: effondrement du communisme, stagnation économique, crise financière de 1998. Le pire semble passé. Le pays entre alors dans une phase de boom inédit: entre 1998 et 2008, le revenu moyen des Russes triple.
Porté par cette prospérité, le chef du Kremlin devient populaire et consolide sa mainmise sur le pouvoir. L’élite l'a d’abord perçu comme une marionnette, mais il en devient vite le maître. Ses adversaires sont réduits au silence, emprisonnés, empoisonnés ou éliminés. Poutine s’impose comme l’homme le plus puissant (et sans doute l’un des plus riches) de Russie.
Mais son bilan économique s’affaiblit avec le temps. Entre 2008 et 2019, les revenus n’augmentent plus que d’un facteur de 1,5, soit moins de la moitié du rythme de la décennie précédente. Parallèlement, les anciens pays satellites de l’Union soviétique, désormais membres de l’Union européenne, progressent plus vite.
La guerre comme remède politique
Face au déclin de sa popularité, Vladimir Poutine trouve une issue dans le nationalisme. L’annexion de la Crimée en 2014 fait bondir sa cote. Selon l’activiste Bill Browder, c’est précisément pour raffermir son pouvoir intérieur qu’il aurait lancé la guerre.
En 2022, il récidive avec l’invasion de l’Ukraine. L’Occident promet des sanctions qui, Joe Biden l'assure, vont «écraser» l’économie russe. Or, contre toute attente, la Russie affiche deux ans de croissance vigoureuse. Du pain béni pour Poutine et sa propagande: voyez, pays d'Occident, comme la Russie est résiliente, comme vos sanctions ne l'affectent pas. Mais ce rebond n’est qu’un trompe-l’œil: une prospérité artificielle financée à crédit.
Sous ordre du Kremlin, les banques accordent en effet des prêts avantageux aux entreprises de la défense. La Banque centrale maintient d’abord des taux très bas pour alimenter ce boom de guerre. C’est un moteur dopé au crédit, dont les effets commencent à se retourner contre le régime.
Inflation galopante et pénuries
A force de dépenser et de mobiliser ses travailleurs pour la guerre (plus d’un million de morts ou disparus selon Kiev), la Russie manque de main-d’œuvre. Une spirale inflationniste s’emballe: salaires en hausse, prix en hausse, puis à nouveau salaires en hausse, et ainsi de suite. Au printemps 2025, l’inflation dépasse les 10%.
Les denrées de base explosent, notamment la pomme de terre, l'aliment national. Fin mai, son prix bondit de 170% sur un an. Selon le Moscow Times, les Russes se rabattent désormais sur le pain et les pâtes. Reuters parle ouvertement d’une «crise de la pomme de terre».
Face à ce chaos, la Banque centrale n’a d’autre choix que de remonter brutalement ses taux à 21% à l’automne 2024. A ce niveau, une dette double en quatre ans et les entreprises étouffent. Même après un léger assouplissement à 17% à l’été 2025, la charge reste insoutenable. Bloomberg rapporte déjà des retards de paiement massifs et craint une crise bancaire en 2026.
Comme si cela ne suffisait pas, l’armée ukrainienne a ouvert un nouveau front économique: les raffineries russes. Depuis août, 16 des 38 sites auraient été touchés, parfois à plusieurs reprises. Près de 40% de la capacité de raffinage de la Russie est actuellement à l’arrêt.
Résultat: des stations-service à sec, une pénurie qui toucherait dix régions et environ 20% de la demande intérieure non couverte. 2% des pompes ne vendent déjà plus d’essence. Moscou a réagi en interdisant toute exportation de carburant jusqu’à la fin de l’année.
Quand l'économie menace le pouvoir
L'historien états-unien Harold James rappelle que l’inflation a déjà fait tomber des régimes corrompus, y compris en Russie. Un analyste cité par le Moscow Times évoque aussi le cas du Kazakhstan: en 2022, une simple flambée du prix du carburant a provoqué une révolte renversant le gouvernement.
D’autres restent sceptiques. Bill Browder estime que Vladimir Poutine pourrait se maintenir même dans la ruine, à l’image de la Corée du Nord. Ce qui lui semble plus probable, en cas d'épuisement des revenus pétroliers, c'est que le Kremlin soit contraint de réduire son effort de guerre.
L’économiste américain Scott Bessent partage ce pronostic:
Selon lui, si cette dernière s’effondre, Poutine n’aura d’autre choix que de négocier la fin du conflit.
Pendant ce temps, Volodymyr Zelensky se félicite déjà des effets de cette pénurie sur l’effort de guerre russe: «Les incendies dans les raffineries sont les sanctions les plus efficaces», déclare-t-il à la Washington Post, avant d'ajouter:
Adapté de l'allemand par Tanja Maeder
