Ce n'est pas la première fois que le 12 février est une journée noire pour l'Ukraine. Il y a dix ans, c'est à cette date qu'ont été signés les tristement célèbres accords de Minsk visant à réguler la guerre du Donbass. Du point de vue ukrainien, ces accords étaient un douloureux et mauvais compromis.
Ce mercredi a débuté par une attaque aérienne massive de la Russie sur Kiev, impliquant des missiles balistiques et des drones, causant de nombreuses victimes. Puis, la journée a été marquée par des déclarations controversées du secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth, avant de se terminer par une véritable onde de choc politique: un appel téléphonique officiel entre le président Donald Trump et Vladimir Poutine. Kiev n’avait apparemment pas été informée à l’avance du projet de Trump de s’entretenir d’abord avec le dirigeant russe avant d’appeler Volodymyr Zelensky.
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Le président ukrainien a d'abord fait bonne figure dans son traditionnel message du soir. Il a précisé que son appel avec Trump avait été «bon et détaillé». Depuis la victoire électorale de Trump, Zelensky ne tarit pas d'éloges sur le nouveau président américain. Mais jeudi, lors de sa visite dans la région de Khmelnitski, à l'ouest de l'Ukraine, en route pour la conférence sur la sécurité de Munich, il a toutefois exprimé une certaine déception.
❗️Ukraine will not accept any bilateral peace talks without the participation of Kyiv and European partners, – Zelensky.
— 🪖MilitaryNewsUA🇺🇦 (@front_ukrainian) February 13, 2025
About Trump’s call first to Putin, and then to the President of Ukraine: “I do not accept that it was a priority, that – to talk to the Russian Federation… pic.twitter.com/c9MlM2047J
Il a avoué que ce n'était pas particulièrement agréable que Trump parle d'abord à Poutine. En effet, la priorité absolue est que les Ukrainiens rencontrent d'abord des représentants américains afin d'élaborer une position stratégique sur la manière de stopper Poutine. Ce n'est qu'ensuite que des discussions équitables avec la Russie seraient envisageables.
Le fait que Zelensky ait osé exprimer une critique, même modérée, envers Trump traduit l’état de choc dans lequel s’est réveillée la population ukrainienne. Jusqu’à présent, beaucoup tentaient de voir en Trump une opportunité, malgré les nombreuses inquiétudes qu’il suscitait.
Le choc n'était pas dû à l'appel téléphonique en lui-même – il était clair depuis le début que Trump voulait rétablir des contacts directs avec Moscou. La plupart des Ukrainiens se sont également résignés depuis longtemps au fait que le rétablissement de l'intégrité territoriale par la voie militaire n'est guère réaliste pour l'instant avec les ressources disponibles. De même, personne ne se faisait d'illusions sur la position de Trump par rapport à l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan. En réalité, même son prédécesseur Joe Biden ne voyait pas cette possibilité d'un bon œil.
La véritable raison de cet état de choc est le sentiment que presque toutes les craintes concernant Trump pourraient se concrétiser – à commencer par le fait que le président américain ne semble pas être en mesure de condamner l'agression russe, ne serait-ce que de manière rudimentaire. Le fait que deux grandes puissances nucléaires veuillent décider du sort de l'Ukraine en n'implicant ni le pays concerné, ni le reste de l'Europe, suscite de nombreuses craintes au sein de la population. Les Ukrainiens ont aussi peur que Donald Trump soit prêt à imposer à Kiev l'arrêt des combats au détriment des intérêts ukrainiens.
Ce dernier point inquiète particulièrement l'expert en sécurité Mykola Bielieskov de l'Institut national d'études stratégiques. Celui-ci ne comprend pas pourquoi les discussions n'ont jusqu'à présent porté que sur les concessions de l'Ukraine et non sur d'éventuels compromis de la part de la Russie. Julija Sabelina, journaliste politique bien informée, qui s'occupe surtout ces jours-ci des contacts entre Kiev et Trump, parle elle aussi de la pression qui est actuellement exercée sur l'Ukraine – et qui ne diminuera probablement pas de sitôt.
Depuis longtemps déjà, Volodymyr Zelensky se montre ouvert à un cessez-le-feu si les conditions préalables de la part de la Russie ne sont pas exagérées. Même le président ukrainien admet que la reconquête militaire de tous les territoires occupés est irréaliste – et, au moins depuis la victoire électorale de Trump, il ne parle presque que de «paix juste» ainsi que de «paix par la force», le prétendu concept favori du 47e président américain.
L'Ukraine a toutefois deux lignes rouges qu'elle ne veut absolument pas franchir. Kiev ne peut pas reconnaître officiellement les territoires occupés comme russes. Il est également hors de question pour l'Ukraine de céder à la demande principale de la Russie, c'est-à-dire de réduire la taille de son armée.
L'Ukraine pourrait néanmoins envisager de renoncer à une adhésion à l'Otan, même si une telle concession serait difficile à faire accepter à sa population. L'aspiration à l'adhésion à l'Otan est toutefois ancrée dans la constitution ukrainienne. Il faudrait une majorité des deux tiers au Parlement pour modifier celle-ci – et de toute façon, on ne peut pas toucher à la Constitution en Ukraine pendant la loi martiale.
La question reste toutefois de savoir si cela suffit à Vladimir Poutine, qui se voit du côté des gagnants dans cette longue guerre d'usure. Le prognostic n'est pas bon. Le communiqué de presse du Kremlin sur la conversation téléphonique Trump-Poutine contient une phrase qui mérite bien plus d'attention qu'elle n'en a reçue:
C'est un secret de polichinelle ce que le maître du Kremlin entend par «causes initiales»: la simple existence de l'Etat ukrainien et de la nation ukrainienne irritent l'autocrate. Et si Donald Trump devait un jour mettre fin aux aides à l'Ukraine, Poutine serait plus proche que jamais de son rêve d'anéantissement du pays voisin.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci