A première vue, les référendums factices dans l'est de l'Ukraine et les menaces nucléaires de Vladimir Poutine n'ont peut-être pas grand-chose à voir les uns avec les autres. Pourtant, les deux choses sont étroitement liées, comme l'a souligné cette semaine Linda Thomas-Greenfield, la plus haute diplomate américaine, auprès des Nations unies.
Linda Thomas-Greenfield a déclaré:
Ses paroles devraient servir d'avertissement à tous les Etats, afin qu'ils n'entrent pas dans le jeu de la manœuvre pseudo-démocratique russe. Mais ils révèlent aussi une inquiétude, et surtout une certaine impuissance, des Américains et de l'Occident face aux récents référendums adoptés par la Russie.
Certes, le point de vue qui prévaut est que les annexions qui se dessinent ne changent pas fondamentalement la situation. Du moins à condition que, comme pour la Crimée en 2014, presque aucun Etat ne les reconnaisse. Pour Poutine, on espère que cette action sera une sorte de dernier soubresaut.
Le problème ici est que la Russie considérera désormais les régions annexées comme un territoire russe. Elle les placera donc sous son propre parapluie nucléaire. Toute attaque de la part de l'Ukraine, soutenue par l'argent, les armes et les renseignements occidentaux, pourrait désormais justifier une réaction nucléaire du point de vue russe.
Poutine l'a d'ailleurs récemment exprimé:
Comment l'Occident, et surtout les États-Unis, doivent-ils réagir? Cette question n'a pas encore trouvé de réponse satisfaisante. De nouvelles sanctions et une nouvelle résolution de l'ONU, oui. Mais qu'en sera-t-il si la Russie fait escalader la situation sur le plan nucléaire, et présente cette mesure comme une défense légitime?
On peut mesurer le sérieux avec lequel cette question est débattue à Washington et dans les autres capitales, d'une part, et par une offensive de communication sans précédent des Américains d'autre part.
Le week-end du 24 septembre, le conseiller à la sécurité de Biden, Jack Sullivan, avait expliqué dans une interview à NBC news, que des collaborateurs du gouvernement américain auraient averti leurs collègues russes, lors de conversations privées, «des conséquences catastrophiques de l'utilisation par Moscou d'armes nucléaires». Ceci prouve que la communication avec Moscou fonctionne, malgré les doutes émis à ce sujet au cours des derniers mois.
Le chef de la CIA William Burns a également donné une (rare) interview, qui sera diffusée dans son intégralité ce week-end sur la chaîne CBS. «Nous devons prendre cela très au sérieux», a déclaré Burns à trois reprises dans des extraits publiés à l'avance, même s'il n'existe actuellement «aucune preuve concrète» de mouvements nucléaires de la part des Russes.
Les services secrets américains auront-ils toutefois connaissance des préparatifs nucléaires du Kremlin à temps? Un rapport du média en ligne Politico se réfère à cinq fonctionnaires américains, en activité ou non, qui mettent en garde contre le fait que l'on pourrait arriver trop tard pour empêcher «l'impensable».
Ce que les États-Unis surveillent de très près, ce sont les missiles intercontinentaux conçus pour être des armes nucléaires stratégiques. Les mouvements sont suivis en temps réel à l'échelle mondiale. Mais que se passerait-il si les avions russes n'étaient pas seulement équipés de missiles conventionnels, mais aussi d'armes nucléaires tactiques plus petites?
Ceci est une des raisons pour lesquelles les avions de reconnaissance américains sont apparus de plus en plus souvent au-dessus de Kaliningrad ces dernières semaines. Cette enclave russe, située sur les bords de la mer Baltique entre la Pologne et la Lituanie, a été fortement armée par Poutine au cours des dernières années. De redoutables armes hypersoniques y sont stationnées. Les services secrets américains et leurs partenaires, comme on peut le constater ces jours-ci, tentent pour le moment de collecter le plus d'informations possible.
Si les Etats-Unis sont informés à temps des activités nucléaires russes, comment s'y prendrait-ils pour les contrer? Dans un article, deux experts du Center for a New American Security ont pris position sur un problème auquel les Etats-Unis, et leurs alliés occidentaux, sont confrontés depuis longtemps.
Les analystes militaires Michael Kofman et Anya Fink écrivent:
Ainsi, l'establishment militaire russe aurait passé des décennies à réfléchir à la gestion de l'escalade nucléaire et au rôle des armes conventionnelles et nucléaires, aux cibles, aux dommages, etc. et à planifier une conduite de la guerre.
En d'autres termes: les Etats-Unis semblent mal préparés.
Michael Kofman et Anya Fink conseillent donc vivement au gouvernement américain de réfléchir rapidement à une gestion de l'escalade et à une guerre nucléaire géographiquement limitée. Selon les deux experts, le manque de réflexion sur de tels scénarios est particulièrement dangereux. En effet, les risques pourraient paraître trop élevés aux responsables politiques en cas de problème, et ils pourraient céder plus vite que nécessaire. En bref, les Etats-Unis et l'Occident se rendraient vulnérables au chantage.
Selon les auteurs, la logique qui sous-tend le jeu russe d'escalade et de désescalade obéit à des règles bien spécifiques qu'il convient de connaître.
Les stratégies réellement poursuivies par le Pentagone, le Département d'Etat, la Maison-Blanche et les partenaires de l'OTAN ne sont toujours pas clairement définies. Le conseiller à la sécurité de Joe Biden, Jake Sullivan, s'est contenté jusqu'à présent de dire que la Russie «paierait un prix élevé» si cela devait vraiment se produire.
La seule chose qui semble claire à l'heure actuelle est que l'utilisation par la Russie d'une seule arme nucléaire tactique, même de faible puissance, n'aurait pas seulement des effets dévastateurs sur le champ de bataille (en raison du nombre de morts et de la contamination à grande échelle des environs).
Elle pourrait également devenir un scénario cauchemardesque sur le plan politique. Une escalade russe signifierait la première attaque nucléaire depuis août 1945. Le plus grand danger: cela pourrait rapidement se transformer en un conflit nucléaire de grande ampleur.
La Maison-Blanche ne dévoilera pas ses menaces envers Poutine. Personne à Washington non plus ne peut savoir avec certitude si le président russe se laissera dissuader. C'est précisément ce qui rend la situation actuelle plus critique que jamais, à l'époque des armes nucléaires.