C'est une nouvelle qui pourrait ébranler Moscou, mais elle n'apparaît pour l'instant que sur quelques sites d'information et non sur les canaux officiels: en Russie, on se demande si l'ancienne vice-ministre de la Défense, Tatiana Chevtsova, s'est réfugiée en France. Si une générale du cœur de l'appareil militaire de Poutine fuyait effectivement vers un territoire de l'Otan, ce serait un véritable choc politique. En tout cas, en Russie, cette nouvelle alimente le débat sur la corruption.
Ce qui avait d'abord été rendu public uniquement par des rumeurs et un site peu connu a maintenant pris de l'ampleur grâce à un rapport d'un des sites d'information les plus influents. La chaîne nationaliste TsargradTV de l'oligarque orthodoxe Konstantin Konstantin Malofeïev a abordé le sujet, que d'autres grands portails et agences de presse russes ont jusqu'à présent ignoré.
Le reportage de TsargradTV se réfère à un portail fondé il y a quelques années, Yuridicheskaya Gazeta (qu'on peut traduire par la «gazette juridique»), qui traite beaucoup de sujets de politique intérieure et qui a fait du ministère de la Défense son sujet permanent ces dernières semaines. Le 26 juin, on pouvait y lire ce qui était «une information officiellement non confirmée sur Internet»: l'ex-vice-ministre Chevtsova aurait fait ses valises et se serait envolée pour la France.
Quelques jours plus tôt, Chevtsova avait perdu son emploi et a depuis disparu de la circulation. Le 17 juin, le président Vladimir Poutine l'avait limogée par décret, ainsi que trois autres vice-ministres du ministère de la Défense.
Chevtsova était déjà responsable du budget et des flux financiers au sein du ministère depuis 2010. Elle avait survécu à un premier scandale de corruption sous le prédécesseur de Choïgou, Anatoli Edouardovitch Serdioukov. Poutine l'avait limogé en 2012 suite à des accusations de fraude concernant des ventes immobilières du ministère.
Lorsque des accusations de corruption et de fraude sont portées contre de hauts responsables politiques en Russie, c'est souvent le signe qu'ils sont tombés en disgrâce. Les rapports sur le nouveau scandale ont placé Chevtsova de plus en plus au centre de l'attention. Il n'est guère crédible qu'elle ait été épargnée par de nouvelles enquêtes, a-t-on dit. Elle a été remplacée à son poste par la fille d'un cousin de Poutine.
La Yuridicheskaya Gazeta a publié plusieurs articles sur Chevtsova et sur l'étendue de la corruption au sein du ministère. Le site a dressé une liste des invités présents à la luxueuse célébration du 50e anniversaire de la ministre, suggérant que certains pourraient avoir aidé à sa fuite.
Le portail a connu un grand succès avec ces rapports. Des centaines de milliers de Russes les ont lus. Selon le site, Chevtsova aurait accumulé une fortune en crypto-monnaies et aurait eu des complices. Ces informations ne sont pas confirmées, mais le silence persistant des médias officiels ressemble à un aveu. Aucun autre média en Russie n'a rapporté cette histoire, seuls divers blogueurs militaires y ont vivement réagi.
Cela a maintenant changé grâce à TsargradTV. Cette plateforme fait partie des cinq sites d'information les plus influents en Russie. Il rapporte les rumeurs de fuite et mentionne que le nouveau ministre de la Défense Andreï Belooussov est «extrêmement indigné».
La raison pour laquelle ce média sort du lot et aborde le sujet différemment des autres sites d'information russes n'est pas claire. Cette plateforme n'est pas de nature sensationnaliste, mais plutôt axée politique et souvent orientée par son propre agenda.
L'oligarque Konstantin Malofeïev, propriétaire de TsargradTV, a été un artisan du conflit en Ukraine. Il est étroitement lié à l'Eglise orthodoxe et soutient également des mouvements chrétiens fondamentalistes en Occident. Son rédacteur en chef est l'idéologue fasciste Aleksandr Douguine. TsargradTV adopte une position très nationaliste et anti-occidentale. La rédaction affirme avoir appris que Chevtsova n'avait pas accès aux secrets d'Etat militaires dans ses fonctions et qu'elle n'aurait donc pas pu les emporter avec elle.
Le ministère russe de la Défense n'a pas encore répondu à une demande de t-online envoyée lundi matin. Un porte-parole de l'Otan a refusé de commenter l'information et a renvoyé vers les autorités françaises. A ce jour, t-online n'a pas encore reçu de réponse de leur part.
C'est surtout le silence de l'Occident qui fait naître des doutes chez les blogueurs militaires russes: si l'ex-vice-ministre se trouvait maintenant sur le territoire de l'Otan, on l'aurait au moins appris des Occidentaux en tant que communication de propagande.
Traduit et adapté par Noëline Flippe