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Economie: le soutien des Russes coûte très cher à Poutine

Le soutien des Russes coûte très cher à Poutine

La guerre contre l'Ukraine dure depuis plus de deux ans. Elle coûte des vies, beaucoup d'argent et continuera à coûter encore plus cher à Poutine. C'est la seule façon pour lui de s'assurer un soutien important.
03.06.2024, 06:0303.06.2024, 06:03
Frederike Holewik / t-online
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Lorsque la Russie a attaqué l'Ukraine en février 2022, le président Vladimir Poutine s'attendait à une victoire rapide. Le Kremlin n'avait prévu que quelques jours à quelques semaines. Les célébrations de la victoire étaient déjà organisées. Mais l'Ukraine s'est révélée jusqu'à aujourd'hui étonnamment solide, sa résistance est restée inébranlable.

Le fait que la guerre s'éternise ainsi est problématique pour Poutine pour plusieurs raisons: elle coûte en premier lieu des milliers de vies humaines et des sommes d'argent colossales. Mais pour ne pas perdre le soutien de la population, le chef du Kremlin puise profondément dans les caisses de l'Etat, fait des cadeaux fiscaux, rémunère les soldats avec des salaires élevés et indemnise les familles des soldats lorsque des proches sont morts ou ont été blessés au combat.

On ne sait pas combien de temps le financement par le fonds de prospérité, déjà à moitié épuisé, pourra encore fonctionner, mais il assure actuellement à Poutine, outre le financement de la guerre, une sorte d'arme secrète: le soutien de la classe moyenne nationale.

L'économie russe se porte mieux que prévu

En effet, les données économiques de la Russie semblent à première vue meilleures que ce que de nombreux politiciens occidentaux avaient initialement prévu. Ainsi, le produit intérieur brut a augmenté de 3,6% en 2023, et ce, malgré les sanctions occidentales et l'arrêt des livraisons de gaz.

«On pensait à tort que les sanctions pouvaient avoir un effet à court terme. Ce faisant, les politiques ont sous-estimé la capacité d'adaptation et les années de préparation de la Russie»
Simon Gerards Iglesias, économiste à l'Institut de l'économie allemande (IW) de Cologne

Avec le directeur de l'institut Michael Hüther et sa collègue Melinda Fremerey, Simon Gerards Iglesias a écrit un livre sur les effets du régime de sanctions et l'ordre économique russe.

Le problème des sanctions occidentales réside surtout dans le fait que tous les pays ne participent pas dans la même mesure et que les réglementations sont en outre souvent pleines de failles. A long terme, les experts estiment néanmoins que les mesures sont efficaces, car la Russie se voit peu à peu privée de pièces détachées importantes, mais aussi de biens de consommation et surtout de clients pour ses sources d'énergie.

En effet, jusqu'en 2022, le commerce des matières premières était la principale source de revenus pour le Trésor public russe, représentant parfois plus de 50% du budget. Cette époque est révolue: de nombreux pays se sont détournés de la Russie en tant que fournisseur et les prix sur le marché mondial se sont ressaisis, si bien que la Russie doit désormais céder ses sources d'énergie à un prix nettement plus bas et à un cercle d'intérêts plus restreint.

Si l'économie russe se présente pour le moment comme relativement résiliente, c'est aussi et surtout grâce à l'industrie de l'armement. Le secteur de la défense emploie en effet 3,5 millions de personnes dans le pays (3,7% de la population active). Le Centre russe d'analyse macroéconomique et de prévisions à court terme (CAMAC) attribue environ 60 à 65% de l'augmentation de la production industrielle au cours des deux dernières années à la guerre en Ukraine.

Se focaliser sur les armes n'est pas durable

L'économie de guerre tire actuellement la croissance vers le haut, mais à moyen terme, cela ne suffira pas à stabiliser l'économie. «La production dans le complexe militaro-industriel éjecte, pour parler franchement, de l'argent de l'économie», a expliqué l'économiste Alexandra Suslina à l'agence de presse Reuters.

«Les chars et les bombes conventionnels sont quelque chose que l'on utilise une fois et qui ne rend rien à l'économie»
Alexandra Suslina

En clair, la production d'armes crée des emplois, et les entreprises d'armement reçoivent des commandes publiques importantes. Mais une fois utilisées sur le champ de bataille, les armes n'ont plus d'utilité économique et les investissements dans les usines seront également en grande partie obsolètes à la fin de la guerre.

Poutine ne peut pas faire l'impasse sur ces investissements, car il a besoin d'armes et de munitions pour sa guerre. Mais les chiffres économiques ne sont positifs qu'à première vue. Poutine a récemment tenté de marquer des points dans sa campagne électorale avec une croissance économique et un faible taux de chômage, de seulement 2,9%, mais il s'agit probablement d'un développement qui n'est pas durable.

Lorsqu'il est devenu clair que la guerre durerait plus longtemps que prévue initialement, la production a été augmentée. On estime que la Russie produit environ 250 000 obus d'artillerie par mois. Sur une année, cela représente trois millions. C'est presque trois fois plus que l'Occident: les Etats-Unis et l'Europe en produisent actuellement environ 1,2 million par an. Pour cela, la production a été organisée en trois équipes, 24 heures sur 24. Parallèlement, les salaires ont également été multipliés par deux ou deux et demi, et du personnel a été recruté dans d'autres secteurs.

Ces développements ont pour effet d'accroître la prospérité dans les villes où les entreprises d'armement ont des usines. Les travailleurs de l'industrie de l'armement font soudain partie de la classe moyenne et peuvent dépenser beaucoup plus d'argent qu'auparavant. Cet argent provient toutefois du Trésor public russe.

Salaires très élevés pour les soldats

Pour la guerre, il faut non seulement toujours plus d'armes, mais aussi et surtout toujours plus de combattants. Pour cela, Poutine a déjà essayé plusieurs choses. Il a engagé le groupe de mercenaires Wagner et a recruté des délinquants emprisonnés. Mais l'armée russe a surtout recours à l'argent pour attirer les jeunes recrues.

Alors que le salaire moyen en Russie se situe, selon les calculs, entre l'équivalent de 670 et 740 francs par mois, un rapport de l'organisation non gouvernementale Ukrainian Victims of War et de l'Ukrainian Catholic University a révélé l'année dernière que l'armée russe faisait miroiter des salaires mensuels pouvant atteindre 700 000 roubles par mois. Ce qui correspond à l'équivalent d'environ 7000 francs et représente plus de dix fois le salaire moyen.

A cela s'ajoutent parfois des primes de plusieurs milliers de francs pour la signature d'un contrat et surtout des paiements élevés aux familles si un soldat décède pendant la guerre. L'année dernière, Poutine a signé un décret garantissant aux familles cinq millions de roubles (environ 50 000 CHF) en cas de décès. Les chiffres concernant les soldats morts au combat sont imprécis. L'Ukraine parle de plus de 450 000 soldats russes morts. BBC Russia et Mediazona ont jusqu'à présent pu identifier plus de 50 000 soldats tombés au combat. Le nombre réel se situe probablement quelque part entre les deux.

Poutine ne peut pas se permettre de faire des économies

Ces paiements représentent une charge considérable pour le trésor public. Dans le budget fédéral pour 2024, les dépenses de guerre sont estimées à 98 milliards de francs, ce qui correspond à 6% de la performance économique de la Russie.

Une situation difficile pour Poutine, car il ne peut en outre pas se permettre de laisser le niveau de revenu des classes moyennes et inférieures chuter de manière significative s'il ne veut pas déclencher une large vague de mécontentement. Un tiers de la population russe est tributaire des prestations de l'Etat ou travaille pour des institutions publiques.

Les recettes énergétiques manquent

Alors que les coûts augmentent, les recettes diminuent également: en 2023, le budget de l'Etat russe présentait un déficit de 3,24 billions de roubles (environ 32 milliards de francs). Au début de l'année 2024, les dépenses ont encore augmenté de plus de 17% par rapport à l'année précédente. Trouver de l'argent frais est un grand défi pour Poutine. En effet, jusqu'à l'invasion de l'Ukraine, les revenus issus de la vente de ressources naturelles, notamment le pétrole et le gaz, représentaient parfois plus de 50% des recettes de l'Etat. L'experte Fremerey parle donc aussi d'une «malédiction des matières premières» de l'économie russe:

«En exportant beaucoup de matières premières, la Russie a négligé le développement d'autres secteurs industriels.»

En réaction aux sanctions occidentales, la Russie a cessé de transporter directement du gaz vers l'Allemagne. Le grand espoir que les sources d'énergie puissent être vendues à des prix similaires dans d'autres parties du monde ne s'est pas réalisé jusqu'à présent (pour en savoir plus, cliquez ici).

Même la Chine, partenaire, n'achète qu'une fraction du gaz - notamment parce que l'infrastructure correspondante fait défaut. On verra donc combien de temps Poutine pourra financer le soutien à sa campagne contre l'Ukraine sur le dos de l'économie de guerre et quasiment acheter son soutien. Sa tactique semble pour l'instant encore porter ses fruits. En avril, son taux d'approbation par la population était de 85% - même s'il faut rester sceptique face aux sondages menés en Russie.

Traduit et adapté par Chiara Lecca

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