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Guerre en Ukraine: combien de temps la Russie pourra la payer

Poutine a fait une erreur de calcul qui va lui coûter cher

Après s'être détaché du marché européen du gaz, Vladimir Poutine voulait vendre ses matières premières en Asie. Mais le plan ne fonctionne pas et Gazprom se retrouve en pleine crise. Cela a des conséquences sur le trésor de guerre russe.
24.05.2024, 06:0124.05.2024, 06:01
Patrick Diekmann / t-online
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Voici le slogan du géant du gaz russe Gazprom:

«Les rêves deviennent réalité»

On ne peut peut-être pas appeler cela un rêve, mais le président russe Vladimir Poutine avait au moins une idée précise de ce qui devait se passer après l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022 et la déconnexion d'une grande partie des pays européens du marché du gaz russe. Dans l'esprit de Poutine, l'explosion des prix du gaz devait déclencher des révoltes en Europe tandis que le Kremlin vendrait son gaz en Asie et surtout en Chine. Au final, les Européens allaient supplier la Russie de reprendre ses livraisons de matières premières.

Ce rêve ne s'est pas réalisé. Il y a deux ans, l'ancien président et homme de confiance de Poutine, Dimitri Medvedev, prédisait à l'Europe une explosion des prix du gaz, qui devaient être cinquante fois plus élevés que la moyenne d'avant-guerre. Pendant une courte période, les prix ont effectivement grimpé en flèche, avant de se stabiliser.

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Alors que l'Europe peut actuellement un peu mieux respirer sur le marché du gaz et que les prix du pétrole baissent à nouveau, l'ancienne entreprise phare russe Gazprom est en difficulté. Début mai, le groupe d'Etat a annoncé une perte nette de 629 milliards de roubles (près de 6,35 milliards de francs suisses) pour 2023 — la plus grande perte nette enregistrée par Gazprom depuis 1999. La raison: l'ouverture de nouveaux marchés ne se passe pas bien et la collaboration avec la Chine connaît de nombreux blocages.

Poutine s'est trompé dans ses calculs, et les sonnettes d'alarme retentissent au Kremlin. S'il ne parvient pas à résoudre ce problème, l'absence de revenus des ventes de matières premières pourrait considérablement affecter le financement de sa guerre à partir de l'année prochaine.

Le talon d'Achille de l'économie russe

Cette évolution est d'autant plus intéressante que les transactions gazières russes ne sont pas affectées par les sanctions de l'UE et suisses. En fait, c'est la Russie qui a arrêté les livraisons de gaz en 2022 pour faire pression sur les Etats européens. A cette époque, le président russe voulait montrer qu'il avait le pouvoir et tirer parti des dépendances que l'économie de l'UE avait développées en s'habituant aux matières premières russes bon marché.

Mais Gazprom n'était pas seulement l'arme de Poutine dans la guerre des matières premières contre l'Occident. L'entreprise a transféré au moins 40 milliards de dollars américains au trésor russe en 2022 — soit pour le budget de l'Etat, soit pour le Fonds national de richesse (FNB). Ce n'est pas négligeable, car il y a deux ans, Gazprom représentait encore 10% des recettes du budget russe.

Les guerres sont coûteuses, et la guerre d'invasion russe en Ukraine dure bien plus longtemps que prévu initialement par le Kremlin. C'est pourquoi Poutine a besoin d'argent, et le Kremlin a demandé à Gazprom de verser une contribution mensuelle de 500 millions de dollars à l'Etat d'ici 2025. Cependant, il est actuellement très incertain que l'entreprise puisse fournir un tel montant au Fonds national de richesse (FNB).

Le trésor de guerre de Poutine se vide

Les finances deviennent donc un problème pour les dirigeants russes. Actuellement, l'économie russe tient bon principalement parce que l'Etat subventionne massivement le secteur de l'armement en expansion: chars, missiles, salaires des soldats et allocations pour les familles des soldats morts en Ukraine. Les travailleurs des usines d'armement produisent des équipements militaires 24 heures sur 24, en trois équipes. Cela a pour effet secondaire qu'une partie de la société russe dispose de beaucoup plus d'argent qu'avant la guerre. Cependant, c'est principalement l'Etat russe qui finance tout cela.

En 2008, Poutine a créé le Fonds national de richesse (FNB). Pendant des années, de l'argent provenant des transactions de matières premières russes a été versé dans ce fonds. La guerre de Poutine épuise maintenant ces réserves, dont la moitié — environ 55 milliards de francs suisses — serait déjà partie. Pour rappel, lorsque les prix des matières premières ont initialement augmenté en 2022, Gazprom a réalisé un bénéfice de près de 12,4 milliards de francs suisses cette année-là et a pu ainsi contribuer davantage au FNB.

Désormais, l'entreprise et l'Etat russe sont confrontés à un dilemme: soit le géant gazier devra verser moins d'argent au Fonds national de richesse, soit il réduira les investissements prévus pour le gaz et les pipelines. Ce qui aurait un impact massif sur la croissance économique de la Russie.

Sombres perspectives pour Gazprom

Mais ça pourrait même être pire pour la Russie de Poutine, car les chiffres pour l'année 2024 laissent entrevoir une évolution encore plus sombre pour Gazprom. Les pertes de l'entreprise au premier trimestre 2024 étaient presque cinq fois plus élevées que celles de la même période en 2023, ce qui pourrait également mettre le secteur financier russe en difficulté.

Le Kremlin a obligé les banques russes à accorder des crédits à Gazprom — une opération qui comporte des risques. En effet, les données de l'entreprise de 2024 montrent d'une part que les recettes provenant des livraisons de gaz sont en chute libre. D'autre part, les dettes commerciales ont augmenté d'environ 50% en 2023, ce qui indique que Gazprom a du mal à payer les factures de ses différents fournisseurs.

C'est pour cette raison que les emprunts à court terme de l'entreprise ont presque doublé au cours des trois premiers mois de cette année par rapport au dernier trimestre 2023 — un autre signe d'alerte. Qui sauvera Gazprom si le FNB est épuisé et si les banques russes sont coupées des paiements internationaux? Tout cela est très incertain.

L'accord de transit avec l'Ukraine expire

Et les choses se compliquent encore pour Gazprom. Car l'entreprise fournit toujours du gaz à l'Autriche, à la Hongrie ou à la Slovaquie, via un gazoduc qui passe par l'Ukraine. Mais l'accord de transit expire à la fin de cette année. 2025 pourrait donc être encore plus difficile pour Gazprom. Poutine n'a en fait qu'un seul espoir: la Chine.

Le Kremlin avait espéré que la Chine, avide d'énergie, pourrait compenser, au moins pour une part significative, le manque à gagner des transactions avec l'Europe par des achats de gaz. Mais cette idée n'a pas fonctionné: l'année dernière, la Chine n'a acheté que 23 milliards de mètres cubes de gaz russe, une fraction des 180 milliards de mètres cubes que Moscou transportait auparavant vers l'Europe.

Les raisons sont multiples: d'une part, l'économie chinoise n'a actuellement pas besoin de tant de gaz, car elle utilise surtout d'autres sources d'énergie. D'autre part, il n'existe pas encore de gazoducs entre la Chine et la Russie qui pourraient transporter de grandes quantités de gaz.

La Chine reste à l'écart

Il apparaît clairement que le président chinois Xi Jinping ne souhaite pas accélérer ces transactions. La Chine veut certes acheter du gaz, mais en payant 20% de moins que les Européens auparavant. Et Pékin profite de la dépendance de la Russie vis-à-vis du marché chinois pour faire encore baisser les prix. C'est pourquoi la construction du gazoduc «Power of Siberia 2», qui permettrait d'augmenter les livraisons de gaz vers la Chine, est actuellement au point mort. La Russie et la Chine ne sont pas d'accord sur les prix.

Xi Jinping agit avant tout dans son propre intérêt, et la Chine n'est pour l'instant pas prête à risquer des sanctions américaines pour que Poutine puisse financer plus facilement sa guerre. Le Kremlin doit donc impérativement chercher d'autres marchés — et probablement continuer à brader ses matières premières à bas prix. Mais ce ne sera pas facile. Car pour expédier du gaz naturel liquéfié, les entreprises russes auraient besoin de machines occidentales capables de refroidir le gaz à moins 160 degrés Celsius. Les Américains le savent et ils menacent les pays qui aident la Russie de sanctions secondaires.

Les conséquences pour l'économie russe sont désastreuses. Avant la guerre, la Russie détenait encore 30% du marché mondial du gaz — d'ici 2030, cette part devrait chuter à 15%, selon les prévisions de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). La responsabilité en incombe principalement à Poutine, qui a décidé, pour des raisons stratégiques, d'arrêter les livraisons à ses principaux clients en Europe.

Cette volonté d'utiliser les matières premières comme une arme a suscité la méfiance dans le monde entier, y compris à Pékin. Poutine ne manquera probablement pas de soldats dans sa guerre, mais peut-être un jour d'argent. Ce serait au moins un rêve devenu réalité pour l'Ukraine.

Traduit et adapté par Noëline Flippe

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