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Voici à qui la Suisse pourra probablement bientôt vendre ses armes

Les exportations d'armes devraient être considérablement assouplies. Cependant, les chars de combat à roues Piranha suisses (photo) ne peuvent en aucun cas être transférés à l'Ukraine.
Les exportations d'armes devraient être considérablement assouplies. Cependant, les chars de combat à roues Piranha suisses (photo) ne peuvent en aucun cas être transférés à l'Ukraine.Image: Keystone

La liste des pays à qui la Suisse veut vendre ses armes questionne

Une coalition bourgeoise regroupant le Centre, le PLR et l’UDC veut profondément assouplir la loi sur le matériel de guerre. Objectif: sauver l’industrie suisse de l’armement. La victime collatérale: l’Ukraine.
19.11.2025, 17:0019.11.2025, 17:00
Othmar von Matt / ch media

Vingt-cinq Etats devraient, à l’avenir, avoir un accès quasiment illimité aux armes produites en Suisse. C’est ce qu’a décidé la semaine dernière la Commission de la politique de sécurité du Conseil national.

L’enjeu: la liste des pays figurant dans «l’annexe 2» de l’ordonnance sur le matériel de guerre. Elle regroupe 17 des 27 Etats de l’Union européenne, tous les pays anglo-saxons, ainsi que le Japon et l’Argentine. Il s’agit d’Etats disposant d’un régime d’exportation d’armes comparable à celui de la Suisse.

Une décision majeure pour la Suisse

Si le Parlement approuve cet assouplissement (ce qui semble très probable), plusieurs changements majeurs entreront en vigueur. Premièrement, la Suisse pourra exporter des armes vers tous ces Etats, même s’ils sont en guerre. Actuellement, cela n’est pas possible.

Pour les Etats de l’Otan, cet aspect est crucial: ils doivent s’entraider en cas d’attaque contre l’un de leurs membres. Dans un tel scénario, tous seraient immédiatement en guerre, et ne pourraient donc plus importer d’armes suisses. Le Conseil fédéral pourra toutefois décréter des exceptions.

Deuxièmement, ces 25 Etats pourront réexporter vers d’autres pays des armes achetées en Suisse. Jusqu’ici, une autorisation était nécessaire pour toute réexportation. Cette obligation disparaîtrait. Il existe toutefois une exception: le Conseil fédéral conservera un droit de veto et pourra exiger des déclarations de non-réexportation dès qu’il craindra une livraison délicate.

Pour Priska Seiler Graf, présidente de la commission et conseillère nationale socialiste, il s’agit d’un «changement de paradigme complet». La déclaration de non-réexportation serait «fondamentalement supprimée». De plus, le Conseil fédéral se verrait attribuer un nouveau rôle. Seiler Graf explique:

«Jusqu’ici, le Conseil fédéral pouvait accorder des autorisations d’exportation. Désormais, il devra interdire des exportations lorsqu’elles posent problème au regard de la neutralité.»

L'Ukraine laissée pour compte

Un point subsiste néanmoins: ces 25 Etats ne pourront toujours pas livrer des armes à l’Ukraine si elles proviennent de Suisse. Une disposition qui a de quoi surprendre. Depuis le début de la guerre, tous les partis sauf l’UDC ont tenté, sous différentes formes, d’autoriser des réexportations vers ce pays agressé en violation du droit international par la Russie.

A l’été 2023, le PS, le Centre et le PLR étaient tout près d’un compromis majeur, une Lex Ukraine. Fondée sur la Charte de l’ONU, elle prévoyait la possibilité de réexporter vers un pays en guerre lorsque celui-ci exerce son droit à la légitime défense après une attaque contraire au droit international.

Mais trop de nouvelles revendications ont émergé, et l'accord a capoté. Surtout, le Centre et le PLR se sont montrés de plus en plus mal à l’aise avec l’approche sécuritaire du PS.

Que ce soit pour la loi sur le matériel de guerre ou pour le message sur l’armée 2024, le Centre a le sentiment que le PS n'est «pas un partenaire fiable» sur les questions de sécurité, selon le conseiller national Reto Nause. L’alliance Lex Ukraine s’est brisée, et Centre et PLR se sont rapprochés de l’UDC.

Une nécessité pour le secteur de l'armement

L’assouplissement est essentiel pour l’industrie suisse de l’armement, mise sous pression depuis la guerre en Ukraine et la politique restrictive du Conseil fédéral en matière de réexportation. Plusieurs pays ont en effet averti qu’ils n’achèteraient plus de matériel de guerre en Suisse.

Un compromis avec l’UDC n’était possible qu’à une condition: le Centre et le PLR devaient renoncer à leur approche Lex Ukraine. Les exportations et réexportations d’armes vers l’Ukraine resteront donc interdites. L’UDC refusait catégoriquement de céder sur ce principe, notamment en raison de son initiative sur la neutralité.

Heinz Theiler, conseiller national PLR.
Heinz Theiler, conseiller national PLR.Image: Keystone

«Nous avons dû nous y plier» reconnaît le conseiller national PLR Heinz Theiler, avant d'ajouter:

«En échange, nous obtenons une solution qui garantit à nouveau la fiabilité de la Suisse pour les autres pays en matière d’armement et qui sécurise les emplois suisses dans ce secteur.»

Reto Nause complète:

«Nous avons besoin d’un secteur de l’armement performant pour notre capacité de défense»

Des choix qui alimentent questions et critiques

La commission du Conseil des Etats voulait initialement aller beaucoup plus loin. Elle a supprimé l’alinéa 2 de l’article 22a de la loi sur le matériel de guerre concernant les affaires à l’étranger, ce que critiquent ses opposants.

Cela aurait permis d’exporter des armes vers des pays violant gravement et systématiquement les droits humains, utilisant du matériel de guerre contre des civils ou réacheminant des armes vers des destinataires indésirables. La commission du National a mis le holà.

Un élément devient crucial dans le nouveau régime: la liste des 25 Etats de «l’annexe 2». Sa composition est contestée, et plusieurs questions se posent:

Comment la liste est-elle constituée?

Le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) ne répond pas à cette question, car la conseillère nationale centriste Marianne Maret a posé la même interrogation dans une interpellation encore en suspens. Officieusement, la liste est de nature politique.

Certes, il existe un critère lié aux contrôles à l’exportation, comme l’explique le Département des affaires étrangères sur son site web. Ces contrôles reposent sur quatre régimes internationaux non contraignants: le Groupe Australie, le Groupe des fournisseurs nucléaires, le Régime de contrôle de la technologie des missiles et l’Arrangement de Wassenaar. La Suisse, comme les 25 Etats de la liste, est membre de ces régimes.

Pourquoi certains Etats n'y figurent-ils pas?

Quatre Etats, pourtant membres des quatre régimes, sont absents: la Bulgarie, la Corée du Sud, la Turquie et l’Ukraine. L’absence de la Turquie est particulièrement délicate, puisqu’il s’agit d’un Etat de l’Otan.

Selon des sources internes, la situation politique intérieure du pays rendait son inscription problématique. Quant à l’Ukraine, elle est exclue parce qu’elle se trouve en guerre.

Pourquoi certains Etats de l’UE manquent-ils également?

Seuls 17 des 27 Etats de l’UE figurent sur la liste. Ce sont surtout les nouveaux Etats membres qui en sont absents: en plus de la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie, la Croatie, Malte, Chypre, la Slovénie, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie.

Même des élus bourgeois jugent cela discutable, d’autant qu’au sein de l’UE, il est standard d’appliquer les contrôles à l’exportation fondés sur les quatre régimes.

Quel est le critère déterminant?

Ni l’Otan ni les revendications des Etats-Unis ne semblent jouer un rôle central. Tout indique qu’il s’agit d’une liste façonnée dans l’intérêt propre de la Suisse. Le gouvernement y inscrit les pays qu’il considère comme sûrs du point de vue sécuritaire.

Selon des sources internes, il s’est doté d’un instrument pragmatique lui permettant d’ajouter ou d’exclure des Etats sans générer de tensions diplomatiques.

La pression exercée par l’industrie de l’armement sur les élus bourgeois afin d’assouplir les exportations était exceptionnelle. Swissmem, l’association des PME et de l’industrie tech, s’est dite soulagée:

«Sans ces adaptations légales, l’industrie de l’armement ne peut pas survivre économiquement»

La gauche, elle, est consternée. Elle lancera un référendum si le projet est adopté par le Parlement. Pour la socialiste Priska Seiler Graf, la nouvelle orientation de la loi sur le matériel de guerre est «un concentré d’incohérences».

Adapté de l'allemand par Tanja Maeder

Les croix blanches sur les chars ukrainiens
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Les croix blanches sur les chars ukrainiens
A Shandrygolovo, près de Lyman.
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Des chars russes détruits par les Ukrainiens
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