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Le SS Alois Brunner en Syrie: dérive de l'«islamo-nationalisme»

De gauche à droite: Bachar al-Assad, Alois Brunner et Bachar al-Assad.
De gauche à droite: Bachar al-Assad, Alois Brunner et Bachar al-Assad. image: montage watson

Quand le nazi Alois Brunner formait le père de Bachar al-Assad à la torture

Réfugié en Syrie, l'ex-SS Alois Brunner a fourni au clan Assad son savoir en matière de torture. D'autres pays arabes, niant l'existence d'Israël, ont accueilli d'anciens nazis. Avec le concours d'un banquier suisse.
12.12.2024, 18:4613.12.2024, 17:25
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L’enfer de Saidnaya, la prison témoin du régime des Assad en Syrie, a réveillé la figure d’un monstre, Alois Brunner. Ce criminel de guerre nazi, qui fut l’adjoint d’Adolf Eichmann, le responsable de la logistique de l’extermination des juifs d’Europe durant la Seconde Guerre mondiale, était un protégé du père de Bachar al-Assad, Hafez al-Assad, qui s’empara du pouvoir en Syrie en 1970, installant la dynastie que l’on sait.

Fuyant l’Europe – la France le condamne à mort par contumace en 1954 pour la déportation de 25 000 juifs –, l’ancien SS Alois Brunner trouve refuge dans l’Egypte de Nasser, avant de s’établir en Syrie. «C’est l’époque des nationalismes arabes, qui reposent pour beaucoup alors sur la haine d’Israël», rappelle Fabrice Balanche, maître de conférence à l’Université Lyon 2 et auteur de Les leçons de la crise syrienne (Odile Jacob, 2024).

Alois Brunner n’est pas le premier hôte nazi de la Syrie baassiste (le parti Baas, dont est issu Hafez al-Assad). Comme le relate le site de la chaîne France 24, citant une enquête du magazine de reportages XXI, Franz Stangl, ancien commandant du camp d’extermination de Treblinka, a transité par la Syrie avant de rejoindre le Brésil, l’Amérique latine étant l’autre destination des nazis en fuite.

«Une terreur sans limite»

«Lorsque le père de Bachar al-Assad accède au pouvoir, Alois Brunner contribue à mettre en place un système répressif d'une rare efficacité s'inspirant du fonctionnement du IIIe Reich», le but étant de «tenir le pays par l’usage d’une terreur sans limite», lit-on encore sur le site de France 24.

Alois Brunner partage son expertise dans les techniques de surveillance, d'interrogatoire et de torture. Les «chasseurs ne nazis» Serge et Beate Klarsfeld réclameront en vain son extradition à la Syrie, où il meurt, reclus, au début des années 2000.

Pour Fabrice Balanche:

«Il serait faux de penser que le clan Assad ne serait pas parvenu à établir un régime cruel sans le concours du SS Alois Brunner»
Fabrice Balanche

«L’ennemi Israël»

Le Protocole des Sages de Sion, le célèbre faux antisémite paru pour la première fois en 1903, qui attribue aux juifs et aux francs-maçons un plan de conquête du monde, conserve une bonne cote en Turquie et dans certains pays arabes, notamment auprès des islamistes.

Le «père» de la BD à succès L’Arabe du futur, Riad Sattouf, ne démentira pas. Le Franco-Syrien a témoigné à plusieurs reprises de la prégnance de l'antisémitisme et de la haine d'Israël dans «la société syrienne». Fabrice Balanche, qui a vécu six ans en Syrie dans les années 1990, se souvient que, pour parler de l’Etat hébreu, «les gens disaient, soit "l’ennemi Israël", soit "Palestine", mais jamais "Israël"». Le maître de conférence à l’Université Lyon 2 souligne aussi la dureté avec laquelle Gamal Abdel Nasser chassa les juifs d’Egypte entre 1952 et 1954.

«Leurs biens furent séquestrés, ils partirent avec une valise pour tout bagage»
Fabrice Balanche

L’hostilité à l'égard des juifs au Moyen-Orient n’a pas attendu la fin de le Seconde Guerre mondiale et la création d'Israël pour exister. Dans les années 30, le mufti de Jérusalem, Hadj Amine el-Husseini, dans une Palestine secouée par les premiers affrontements entre juifs et Arabes, devint un partisan d’Hitler et fit le voyage de Berlin. Il participa au recrutement des membres de la 13e division SS, composée majoritairement de musulmans bosniaques.

Le rôle d'un banquier suisse antisémite

Au sujet du mufti de Jérusalem, comme du Syrien Hafez al-Assad ou de l’Egyptien Nasser, Fabrice Balanche parle d’«un antisémitisme adossé à un islamo-nationalisme». Un Suisse tient un rôle particulier dans cette histoire: le banquier François Genoud, un antisémite notoire, admirateur d’Hitler, puis soutien indéfectible des régimes arabes dans leur lutte contre Israël. Il est également connu sous le nom de «banquier du FLN», le mouvement indépendantiste algérien.

Dans son roman Le village de l’Allemand paru en 2007, l’écrivain franco-algérien (il était uniquement algérien à l’époque) Boualem Sansal, actuellement en prison en Algérie pour délit d’opinion, se basait sur un fait véridique pour nourrir la trame de son roman.

En 2008, dans un entretien au Monde, il raconte qu’un village algérien, surnommé «le village de l’Allemand», avait été dirigé par un ancien nazi qui, après la guerre, avait fui en Egypte. De là, il avait été mandaté en Algérie par les services secrets de Nasser comme expert auprès de l’ALN (Armée de libération nationale). A l’indépendance, il avait été naturalisé algérien et s’était converti à l’islam.

Bases fragiles

Le peuple syrien sort aujourd'hui meurtri de 50 ans de dictature et de treize années d’une guerre civile qui aura fait des centaines de milliers de morts, dont 500 000 sont imputables à Bachar al-Assad, estime-t-on, sans compter la centaine de milliers de disparus et les milliers de victimes de la prison de Saidnaya. De son côté, Israël a connu le 7 octobre 2023 le plus grand pogrom juif depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, sa réplique vengeresse faisant 40 000 morts dans la bande de Gaza.

Le Hamas et une bonne partie des islamistes sont habités d’un antisémitisme viscéral, qui trouve ses justifications, non pas principalement dans le conflit israélo-palestinien, mais dans les premiers temps de l’islam, au 7e siècle de notre ère. Contrairement à ce qu’il affirmait à ses hommes en 2018, le chef du groupe islamiste radical HTS à présent au pouvoir en Syrie, Abou Mohammed Al-Joulani, assure ne pas vouloir marcher sur Jérusalem. Israël ne croit à aucune promesse, d’où qu’elle vienne. C'est sur ces bases fragiles, où personne ne se fait confiance, qu'il va falloir bâtir un avenir pour tous.

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