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En Turquie, «il faudra probablement un soulèvement»

«Les Turcs préfèrent élire une bouteille de Coca plutôt qu'Erdogan»

La colère grandit contre Erdogan en Turquie. Mais les élections ne suffiront probablement pas à se débarrasser de lui, selon le journaliste turc Can Dündar.
07.04.2025, 17:0007.04.2025, 17:00
Hansjörg Friedrich Müller, Berlin / ch media
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Le mécontentement à l'égard du président turc n'a jamais été aussi grand. Pour le journaliste turc Can Dündar, exilé en Europe depuis bientôt dix ans, reste à savoir combien de temps le dirigeant pourra encore tenir.

Des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue ces jours-ci en Turquie, la fin du régime semble possible. Comment vivez-vous ces événements de loin?
Can Dündar: C'est douloureux, car mon corps est ici, mais mon cœur est là-bas. Parfois, je suis impatient, parfois, j'ai peur. L'issue reste totalement ouverte: si le régime riposte, cela pourrait empirer la situation. Mais les protestations pourraient aussi mener vers davantage de démocratie.

Le président a déjà surmonté bien des épreuves. En 2023, vous étiez optimiste quant à une éventuelle défaite lors des élections. Il les a finalement remportées.
L'espoir induit parfois en erreur, surtout lorsqu'on vit à l'étranger, qu'on regarde son pays de loin et qu'on veut absolument y retourner. Mais le résultat des élections était relativement serré, ce qui est un succès compte tenu des conditions.

epa12001885 An anti-government protester supporting families of Israeli hostages held by Hamas in Gaza, holds a poster with a picture montage of Israeli Prime Minister Netanyahu and Turkish President  ...
En Turquie, le 31 mars 2025.Keystone

Erdogan peut-il encore être évincé du pouvoir par des élections libres et équitables?
C'était sans doute naïf de croire que des élections pourraient changer la donne. Il faudra probablement un soulèvement. Lorsqu'un autocrate contrôle la justice, les médias, la bureaucratie, les universités, la police, l'armée, le Parlement, les services secrets et même la mafia, il est très difficile de s'en débarrasser.

«Le gouvernement a aussi la main sur le système électoral. Il peut donc fausser les résultats»

Erdogan gagnerait-il encore des élections libres à l'heure actuelle?
Il manipulerait probablement les résultats ou annulerait le scrutin. Il lui reste de toute façon trois ans, et je ne vois pas pourquoi il organiserait des élections anticipées. Mais au vu des protestations, de la mauvaise situation économique et peut-être aussi des pressions étrangères, cela pourrait évoluer.

Ekrem Imamoglu, le leader de l'opposition et maire déchu d'Istanbul, aujourd'hui en prison, s'adresse à un large spectre d'électeurs - urbains et ruraux, religieux et laïcs, pauvres et riches. Incarne-t-il un candidat fort ou est-ce que les gens se rassemblent surtout derrière lui pour se débarrasser d'Erdogan?
En Turquie, on dit que les gens préféreraient voter pour une bouteille de Coca-Cola, plutôt que pour Erdogan. Mais Imamoglu a des atouts: il vient de la région de la mer Noire, d'une famille conservatrice, mais il est social-démocrate.

«Il prie le vendredi à la mosquée, mais boit du vin. Il s'adresse ainsi à des milieux différents»

Est-il en quelque sorte la quintessence du Turc? Votre pays occupe une position intermédiaire entre le monde islamique et le monde occidental.
On peut le dire ainsi. Sa posture l'aidera à surmonter la polarisation de la société. Cela peut paraître paradoxal, mais le fait qu'il soit en prison lui donne un autre avantage, car beaucoup considèrent son arrestation comme injuste.

«Erdogan a lui aussi bénéficié autrefois de son statut de prisonnier»

Qu'est-ce qui différencie Imamoglu de Kemal Kilicdaroglu, le candidat perdant en 2023?
Kilicdaroglu venait de l'appareil d'Etat, il a grandi à Ankara. Imamoglu vient de l'économie et a réussi à Istanbul. Les deux villes sont aussi différentes que Washington et New York: d'un côté, le centre de la politique et de la bureaucratie, de l'autre, le cœur économique et culturel. Kilicdaroglu s'est rapproché des partis d'opposition de droite. Il pensait que sa formation sociale-démocrate, le CHP, ne pouvait pas gagner seule. Avec Imamoglu, le CHP se présente seul, mais d'autres forces le suivent.

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Can Dündar, journaliste turc.Image: www.imago-images.de

Est-ce surtout la situation économique qui rend Erdogan si impopulaire, ou des thèmes comme les droits civils, la démocratie ou les relations entre l'Etat et la religion jouent-ils également un rôle?
Les électeurs habituels d'Erdogan se préoccupent surtout de l'économie, tandis que ses opposants invétérés se préoccupent aussi de la liberté, du mode de vie et du rôle de la religion. Je m'attendais à ce que les partisans de l'actuel président réagissent violemment aux récentes protestations, mais ils restent silencieux.

«Eux aussi sont touchés par la crise économique et réfléchissent à des alternatives. C'est donc un moment décisif»

Actuellement, Imamoglu est incarcéré à la prison de Silivri, où vous avez également été détenu. Comment se passe la vie là-bas?
Les conditions de détention d'Imamoglu sont certainement meilleures que celles d'Alexeï Navalny. La Turquie n'est pas encore la Russie; le gouvernement ne veut pas faire d'Imamoglu un martyr. Il peut recevoir des avocats et d'autres visiteurs et rencontrer des membres de sa famille. Il peut aussi envoyer des vidéos et tweeter. Je pense qu'il atteint désormais plus de personnes que jamais.

Une grande majorité des Turcs installés en Allemagne a longtemps soutenu Erdogan. Est-ce toujours le cas?
Le week-end dernier, j'ai assisté à un rassemblement d'environ 1500 personnes à Berlin. En temps normal, je me serais attendu à une contre-manifestation de Turcs proches du gouvernement, mais il n'y en a pas eu. Beaucoup d'entre eux savent ce qui se passe dans leur pays. Quand ils s'y rendent, ils voient bien la crise.

«Les partisans d'Erdogan sont devenus beaucoup plus silencieux»

De plus, de nombreux opposants au régime vivent maintenant dans la capitale allemande. Ce sont de jeunes gens bien formés, qui attendent le jour où ils pourront rentrer chez eux.

Les Allemands sont-ils solidaires de ce mouvement de protestation?
Les médias et le grand public s'y intéressent effectivement, mais je crains que les politiques ne veuillent pas se mettre à dos le chef d'Etat turc. Les gouvernements européens craignent également qu'en cas de changement de pouvoir, Ankara ne dénonce l'accord sur les réfugiés, ce qui permettrait à des millions de Syriens d'affluer en Europe. Il est triste que les Européens fassent passer leurs intérêts avant leurs valeurs. Mais c'est de la realpolitik.

Quel est le rôle des Kurdes dans la situation actuelle?Certains éléments indiquent qu'Erdogan veut les rallier à sa cause.
On assiste à ce qui ressemble à des négociations de paix entre les Kurdes et le gouvernement. Mais depuis quelques semaines, elles s'enlisent.

«Erdogan a besoin des Kurdes pour modifier la Constitution en sa faveur, car ils représentent 10 à 12% de l'électorat, et pourraient donc faire pencher la balance»

Mais ils pourraient aussi rejoindre le soulèvement des forces démocratiques. Et il y a Imamoglu, qui les drague lui aussi. Il a visité des villes kurdes et semble y être très populaire. Quoi qu'il en soit, pour l'instant, les Kurdes hésitent encore, car ils ne souhaitent pas mettre en danger le processus de paix.

Vous ne voudrez probablement pas vous risquer à prédire votre retour dans votre pays d'origine...
Non. Si je devais résumer le scénario actuel, je dirais que nous sommes à la fin de la première mi-temps et que le score est de 1-1. Le candidat principal est en prison, mais l'opposition contrôle encore la municipalité d'Istanbul. Le plan d'Erdogan pour changer cela a pu être déjoué. Nous verrons dans les prochains jours comment les choses évoluent.

(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)

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