Face à Poutine, ce pays neutre a choisi une autre voie que la Suisse
Depuis 70 ans, la neutralité constitue le pilier de la politique étrangère de l'Autriche et de son identité nationale. Mais à l'heure de la guerre en Ukraine, le petit pays alpin semble de plus en plus questionner sa signification.
Le débat n'est pas vraiment nouveau, et ressurgit à chaque soubresaut de l'histoire moderne autrichienne. Il a toutefois pris une ampleur particulière depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, qui a conduit Vienne à choisir très clairement un camp.
Une notion de neutralité qui fait débat
Une diplomate européenne souligne qu'étant proches géographiquement de l'Ukraine, les Autrichiens «commencent à être moins naïfs». Elle ajoute:
Pour Andreas Wimmer, porte-parole de «Les Voix pour la neutralité», une initiative citoyenne lancée en 2023, cela va cependant bien trop loin.
Il accuse le gouvernement de se plier davantage aux «directives de l'Union européenne et de l'Otan» qu'à la loi sur la neutralité à laquelle le pays doit son indépendance après la Seconde Guerre mondiale. Cette politique est aussi vivement critiquée par le puissant parti d'extrême droite FPO, hostile à l'aide à l'Ukraine, qui parle de «trahison».
Une identité empreinte d'histoire
L'Autriche a en effet obtenu le départ des troupes d'occupation alliées et retrouvé sa souveraineté à la condition d'inscrire dans sa Constitution le principe de neutralité, une exigence des Soviétiques. Ce qui fut fait le 26 octobre 1955.
Cette loi constitutionnelle, qui acte la «neutralité permanente» du pays, lui interdit entre autres de rejoindre des alliances militaires ou de stationner des troupes étrangères sur son territoire.
Depuis, pour les Autrichiens, liberté rime avec neutralité, et 80% d'entre eux affirment qu'elle fait partie de leur identité, selon un sondage publié en octobre.
Une différence avec la neutralité helvétique
Ce statut neutre a aussi permis au petit pays d'Europe centrale d'occuper, non sans fierté, une place particulière sur l'échiquier diplomatique mondial: il accueille ainsi l'un des quatre sièges de l'ONU à Vienne et de nombreuses autres agences internationales, comme l'Agence internationale de l'énergie atomique ou le siège de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), a souligné le maire de la capitale autrichienne, Michael Ludwig la semaine dernière devant l'Association de la presse étrangère.
Toutefois, contrairement au voisin suisse, «c'est une neutralité qui évolue (...) et le gouvernement actuel pousse pour cette évolution», constate la diplomate européenne.
C'est le cas notamment de la ministre libérale des Affaires étrangères, Beate Meinl-Reisinger.
La guerre en Ukraine dans toutes les têtes
Elle n'a pas hésité à déclarer en juillet au journal allemand Die Welt, que dans un contexte international incertain et face à «une Russie de plus en plus agressive», la «neutralité seule ne nous protège plus» et que son pays devait songer à investir dans «sa propre capacité de défense».
Le budget militaire de l'Autriche, toujours parmi les plus faibles d'Europe, a déjà été porté à 0,95% du PIB en 2024, et le gouvernement vise 2% en 2032.
«Les Voix pour la neutralité» réclame un retour au simple rôle de médiateur actif tenu pendant la Guerre froide. Wimmer explique:
Pour l'ancien diplomate autrichien Franz Cede, il faut prendre garde à ne pas «romantiser» une neutralité qui, de toute façon, s'est nettement «érodée» avec l'adhésion de l'Autriche à l'Union européenne en 1995, devenant métaphoriquement comme «un avocat»: mou à l'extérieur autour d'un petit noyau dur.
Alors que la Finlande et la Suède ont réagi à l'invasion de l'Ukraine par la Russie en rejoignant l'Otan, l'Autriche «a raté le coche», regrette-t-il. Cette éventualité, qui semblait impensable il y a peu encore, n'est pas exclue par Meinl-Reisinger.
Un tel débat peut «être très fructueux», avait-elle jugé dans son entretien avec Die Welt, soulignant toutefois qu'«il n'y a actuellement pas de majorité au Parlement et dans la population pour une adhésion à l'Otan».
