«L’industrie de défense risque de couler» à cause de l'UDC
Dans la nouvelle course à l’armement engagée en Europe, des sommes colossales affluent vers les budgets militaires. L’objectif est clair: d’ici à 2030 au plus tard, le continent doit être «apte à affronter la guerre», selon les mots de Boris Pistorius, ministre allemand de la Défense. Autrement dit, dissuader la Russie impériale de Vladimir Poutine de s’en prendre à un pays de l’Union européenne (UE) ou de l’Otan.
La Suisse, elle, risque fort d’être laissée sur la touche. Le programme européen «Safe», doté de 150 milliards d’euros, avance sans elle – alors même qu’une participation de pays tiers comme la Suisse aurait été possible. Berne n’a tout simplement pas réagi à temps.
Les conséquences sont doubles. D’une part, il devient plus difficile pour la Confédération d’acquérir des systèmes d’armes sur le marché européen. D’autre part, les entreprises suisses de défense ne peuvent guère espérer être intégrées aux grands projets de l’UE.
L'affaire des munitions du Gepard
Si la Suisse a manqué le train de «Safe», c’est aussi en raison d’un autre écueil: son strict embargo sur les réexportations de matériel de guerre.
Dans l’industrie européenne, un mot d’ordre s’est installé: «Ne touchez pas à la Suisse!» Cette défiance est la conséquence directe du désaccord avec Berlin à propos des 12 000 munitions destinées au blindé anti-aérien Gepard, que l’Allemagne voulait réexpédier à l’Ukraine. Le veto du Conseil fédéral a durablement écorné la réputation helvétique.
Un exemple illustre ce malaise: alors que les usines de munitions tournent à plein régime dans l’UE, la fabrique «Swiss P Defence» de Thoune a licencié plus d’une douzaine de collaborateurs. Motif: pénurie de commandes. Depuis l’affaire du Gepard, les clients européens se sont raréfiés. L’entreprise produit désormais davantage de munitions à blanc, un domaine où elle ne bute pas sur l’interdiction de réexporter.
Ce sont ces anecdotes, amères, qu’on se raconte lors du «Swiss Defence Industry Day» à Bruxelles. L’évènement, organisé lundi pour la première fois, a réuni plus de 50 entreprises suisses de l’armement. Objectif: attirer l’attention et rappeler que la Suisse existe encore.
Présent en tant que parrain de la manifestation, le ministre de la Défense Martin Pfister a encouragé les sociétés helvétiques. Il se dit convaincu que l’industrie suisse peut contribuer de manière significative à la sécurité européenne.
Un discours optimiste, mais les témoignages des professionnels présents sont nettement plus sombres. Pour certains, la situation est «absolument catastrophique». Tandis que les concurrents européens engrangent des bénéfices records, les entreprises suisses doivent parfois recourir au chômage partiel. La faute à la politique, accusée de traîner les pieds. Un industriel, sous couvert d’anonymat, met en cause les politiques:
L’initiative UDC de neutralité, le tabou qui plane sur les discussions
Pour Matthias Zoller, secrétaire général de l’association faîtière ASD («Swiss Aeronautics, Security und Defence»), l’heure est critique:
Pour beaucoup, il y a un éléphant dans la pièce: l’initiative de neutralité de l’UDC. Par crainte de la votation, le Conseil fédéral et le Parlement se perdent selon eux dans les détails d’un assouplissement des règles de réexportation, tout en freinant le rapprochement avec l’UE. Sans coopération, pas d’accès au marché pour les entreprises suisses.
Interpellé sur ce point, Martin Pfister se défend: le gouvernement ne se laisse pas paralyser par l’initiative. Dès son entrée en fonction au printemps, assure-t-il, il a donné la priorité à un renforcement de la collaboration internationale. Il reconnaît toutefois que la neutralité limite les possibilités de coopération. Le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, lui a d’ailleurs fait savoir que l’interdiction de réexporter les armes vers des pays en guerre continue d’inquiéter les partenaires occidentaux.
Martin Pfister espère que la Suisse parviendra l’an prochain à conclure un accord de sécurité et de défense avec l’UE. Cela ouvrirait la voie à des projets d’acquisition communs.
Le cas des trains allemands Siemens
Reste qu’aux yeux de certains initiés de l’armement, la Suisse tarde à agir même là où ce serait le plus facile: dans la prise en compte de ses propres entreprises lors des achats nationaux. Il est question de commandes pour le secteur des drones, mais aussi d’un dossier concret, le remplacement du pistolet d’ordonnance. Un contrat d’environ 90 millions de francs doit être attribué prochainement. En lice: le suisse SIG, basé dans le canton de Schaffhouse, mais aussi l’autrichien Glock et l’allemand Heckler und Koch.
Les produits seraient de qualité comparable. Rien ne garantit cependant que l’offre suisse l’emportera. «On l'a bien vu: on préfère parfois acheter des trains Siemens en Allemagne plutôt que des Stadler suisses», glisse un observateur.
Traduit de l'allemand
