Une odeur âcre imprègne la salle d'attente du poste frontière ukrainien de Diakovo. Les chauffeurs de semi-remorques énervés lèvent le nez et s'agitent en brassant de l'air avec leurs papiers de douane. Les lieux sentent l'urine et les matières fécales, car les toilettes se trouvent juste à côté. Près de quarante camions attendent devant le bâtiment pour être dédouanés.
On suppose que l'atmosphère étouffante fait partie de la tactique d'usure des fonctionnaires, ce sont ici deux douanières qui s'occupent des formalités. Mais leur principale occupation semble être de harceler et d'humilier les chauffeurs et les importateurs.
Si Diakovo n'est qu'un des petits points de passage entre l'UE et l'Ukraine, les procédures sont plus ou moins les mêmes sur toute la frontière ukrainienne. Le service des douanes de Kiev est un monstre kafkaïen. Les douaniers aimables, efficaces et serviables ne sont pas la règle, mais l'exception.
Sur le mur du hall, on peut voir une liste de toutes les tâches qui incombent aux fonctionnaires: outre le contrôle des marchandises, il s'agit entre autres de contrôles vétérinaires, écologiques et sanitaires-épidémiologiques. S'y ajoute la protection phytosanitaire. Comme en Union soviétique, l'Etat ukrainien aimerait tout contrôler.
Parmi les instruments d'humiliation figure une minuscule fenêtre dans le mur de la salle d'attente. Plusieurs volets mobiles en plastique ferment l'ouverture — en hiver pour protéger les fonctionnaires des courants d'air froids. En été, ils empêchent l'odeur des toilettes de pénétrer dans le bureau des fonctionnaires.
Lorsque les dames ne prennent pas de pause cigarette et patientent des heures, elles finissent enfin par synchroniser les fichiers du système informatique avec la paperasse sur leurs bureaux. Elles glissent alors une main tenant des documents et un passeport à travers la petite fenêtre, tout en appelant le prénom d'un chauffeur. Celui-ci se dépêche de prendre les documents et de partir rapidement.
Diakovo se trouve à quelques mètres du poste-frontière roumain. Je voyage dans un 4x4 donné avec une plaque d'immatriculation suisse d'exportation. Le véhicule est destiné à une organisation caritative ukrainienne — un don de la Suisse. Les douaniers roumains inspectent le véhicule et s'assurent que je ne transporte pas d'armes. Un autre agent vérifie dans l'ordinateur si le véhicule est signalé comme volé. Ensuite, un douanier me demande si je compte vendre la voiture en Ukraine. Ma réponse est non, ce qui conclut le contrôle du côté roumain:
A Diakovo, je suis d'abord accueilli par quelques civils ukrainiens qui attendent avec leurs documents devant le guichet d'entrée. «Vous êtes un homme courageux, merci de visiter l'Ukraine», me dit une dame âgée. Ensuite, les officiers m'ordonnent de garer le véhicule sur le côté. Il s'agit d'un 4x4 âgé de 24 ans avec plus de 200 000 kilomètres au compteur. Les agents veulent vérifier le numéro de châssis. Il est indiqué entre autres sur la porte du conducteur, mais cela ne suffit pas aux Ukrainiens:
Ensemble, nous cherchons sur Internet où pourrait se trouver ce numéro. Le dessous de la voiture est — vu son âge — déjà bien rongé par la rouille. Je dois garer la voiture au-dessus d'un fossé profond pour que les douaniers puissent tout examiner par en dessous avec leur lampe de poche. Après 45 minutes, un fonctionnaire d'un certain âge trouve les premiers chiffres du numéro de châssis sous la rouille.
Maintenant, on m'envoie vers les douanières mentionnées. L'une d'entre elles examine les documents d'importation préparés par l'organisation humanitaire ukrainienne. Pour importer des marchandises, les organisations humanitaires doivent déposer une demande électronique auprès de l'autorité compétente. Si celle-ci approuve la demande, l'organisation caritative reçoit un code électronique unique. Celui-ci permet à la douanière de consulter toutes les données du véhicule et du conducteur sur son ordinateur. Mais elle n'est pas satisfaite.
Au cours des trois heures suivantes, une discussion téléphonique, parfois houleuse, s'engage entre la fonctionnaire et un représentant de l'organisation humanitaire ukrainienne. A la fin, le représentant promet de s'améliorer et de compléter les données prétendument manquantes. La fonctionnaire demande ensuite une impression des papiers corrigés. «Je n'ai pas d'imprimante sur moi, serait-il possible d'imprimer exceptionnellement les documents chez vous?», ai-je demandé timidement.
La femme n'a guère envie, car cela signifierait encore plus de travail. Ennuyée, elle montre les nombreux papiers sur son bureau et dit qu'il y a encore beaucoup de chauffeurs de camion qui attendent d'être dédouanés. «Vaut-il donc mieux que je ramène la voiture en Suisse?», telle est maintenant ma question rhétorique.
C'est à peine si je me retiens de demander: «Mais alors, m'apporterez-vous aussi une voiture gratuite?» Au lieu de cela, je lui reproche de faire tout ce qui est imaginable pour rendre l'aide à l'Ukraine plus difficile. La voiture est prévue pour évacuer les blessés proches du front. Et il est de notoriété publique en Ukraine que les capacités de transport manquent à tous les coins de rue.
Elle daigne néanmoins à la fin imprimer le document dans un autre bureau. Je la remercie avec ferveur.
L'entretien est maintenant terminé et je suis renvoyé dans le hall nauséabond. J'attends patiemment qu'une main se glisse à travers les volets en plastique de la fenêtre du bureau et que mon prénom soit appelé. J'accepte la déclaration de douane désormais tamponnée.
En comparant avec les documents que j'ai remis à l'origine on voit que rien n'a changé d'un iota. Les documents sont identiques, à l'exception des trois tampons rouges de la douane, qui m'autorisent désormais à importer la voiture. Alors que le dédouanement n'avait pas pris plus de dix minutes du côté roumain, il m'a fallu quatre heures en Ukraine. Pour rien du tout.
Traduit et adapté par Noëline Flippe