Oleksandre Vikhrouk, qui a perdu ses deux bras et l'une de ses jambes dans les combats contre la Russie, rêve désormais de pouvoir pêcher avec une prothèse. Maxime Radiouk espère lui pouvoir un jour rejoindre une équipe de foot pour aveugles, après avoir perdu sa vue et son bras gauche.
Alors que des négociations directes entre Kiev et Moscou se tiennent en Turquie pour mettre fin à la guerre, le parcours de ces deux soldats ukrainiens soignés dans un hôpital militaire aux Etats-Unis illustre les ravages profonds de la guerre sur des centaines de milliers de combattants, et leurs familles.
«C'est si douloureux, effrayant de voir son mari estropié», lâche Olha, la femme d'Oleksandre, en repoussant ses larmes. «Je n'arrivais pas à parler sans pleurer, je n'arrivais pas à vivre. Je n'ai parlé à presque personne, à part aux enfants, pendant trois mois», dit-elle près de Washington, dans les locaux de United Help Ukraine, une ONG qui finance les dépenses non-médicales de ces familles.
Oleksandre, blessé par une frappe de drone russe en mars 2023 dans l'est de l'Ukraine, s'est fait des garrots aux bras et jambes avant d'attendre pendant 10 longues heures que cessent des attaques russes pour être évacué et soigné.
«Quand j'étais frappé par la douleur, je pensais à quelque chose d'agréable: mon chez-moi, ma femme, mes enfants», explique le soldat de 45 ans, vêtu d'un t-shirt traditionnel ukrainien brodé. Pendant ces heures interminables, face aux frissons, il s'est alors remémoré un voyage dans le sud de la France. Il le raconte d’une faible voix, les yeux plongés dans de sombres souvenirs:
Une fois l'hôpital atteint, il se fait amputer de 3 de ses 4 membres et passe deux mois et demi dans le coma. Il sera plus tard touché par une crise cardiaque et un AVC. Sa femme, dévastée, reprendra finalement espoir en voyant le regard de son mari pétiller lors de son arrivée dans la chambre d'hôpital.
«Nous nous sommes battus ensemble», dit sa femme Olha, elle aussi habillée d'un t-shirt ukrainien brodé.
Maxime Radiouk, 23 ans, a été lui gravement blessé par l'explosion il y a un an d'un drone russe près de son visage, détruisant son oeil droit, son bras gauche, plusieurs de ses doigts de la main droite, et brûlant gravement ses jambes.
Lui raconte n'avoir pas ressenti de douleur alors qu'il attendait d'être évacué. «Je n'étais pas vraiment là, j'étais assis, sans penser à rien», se souvient-il, aujourd'hui installé dans un fauteuil roulant, des lunettes de soleil sur les yeux. Il a ensuite passé un mois et demi dans le coma, amputé de son bras gauche. Il avait alors peu de chances de s'en tirer vivant, selon ce que disaient les médecins à sa mère Natalia.
Mais quand il en est sorti, Maxime est aveugle. «Il s'est réveillé et m'a demandé: “Il me reste combien d'yeux?”, je lui ai dit “un”», raconte Natalia, militaire de 40 ans pleine d'énergie.
Cette mère dit s'être autorisée à ne pleurer que quelques heures, pour vite passer à autre chose. «J'ai besoin de me ressaisir et d'aller de l'avant, de l'avant», répète-t-elle. «Je vais tout faire pour qu'il puisse retourner à une vie normale.»
Ces deux soldats doivent bénéficier de six à douze mois de soin à Walter Reed, l'hôpital militaire de pointe de la banlieue de Washington, dans le cadre d'un accord financé par le ministère américain de la Défense. Ils devraient bénéficier de prothèses médicales, et des médecins projettent aussi de greffer un orteil de Maxime sur sa propre main droite.
«Je suis si reconnaissante d'être accueillie ici, en Amérique, dans ce superbe hôpital», salue Natalia.
Les discussions en Turquie n'apportent pas vraiment d'espoir à ces deux familles, qui ne croient pas au bon vouloir du Kremlin et appellent la communauté internationale à soutenir davantage l'Ukraine; les Etats-Unis ont réduit leur soutien à Kiev depuis l'arrivée au pouvoir de Donald Trump en janvier. «Tout le monde devrait se lever et crier que cette guerre doit cesser», ajoute Natalia.