La nouvelle est tombée comme ça. Une petite phrase glissée là, discrètement. Pas de quoi provoquer un conflit diplomatique. Mais juste assez pour arracher quelques larmes de part et d'autre de la Manche, au Royaume-Uni et en Suisse. Jeudi dernier, interrogé par un ingénieur bâlois lors d'une visite d'une usine éolienne en Angleterre, le roi réputé infatigable a dû admettre une faiblesse: son âge et son état de santé ne lui permettent plus de pratiquer son sport d'hiver préféré.
Il actait ainsi la fin d'une passion de plus de 60 ans, amorcée en 1963, à l'âge de 14 ans, lorsque le prince de Galles de l'époque avait appris à chausser les lattes dans une station grisonne.
Depuis, il était devenu un pratiquant assidu et se rendait en Suisse presque chaque année. Un visiteur si régulier de Klosters (GR) que deux de ses téléphériques ont été nommés en son honneur, en 2018.
Deux entorses à la règle ont entamé la fin de cette tradition: la première en 2023, quelques semaines avant son couronnement, pour éviter au monarque tout risque d'accident «désastreux» et de se retrouver avec une patte dans le plâtre. La seconde, l'année suivante, après l'annonce de son cancer.
Son amour pour les Grisons, Charles le doit en grande partie à son ami et mentor, Charles «Charlie» Palmer-Tomkinson. Cet ancien skieur olympique apprendra au prince à skier et a développé son appétit pour les terrains plus difficiles. Sans oublier son goût pour Klosters, une station rurale sans chichis ni boutiques de luxe, où il convie l'héritier du trône dans son chalet «très basique».
Klosters, c'est en effet le lieu où Charles peut se permettre de commettre de (petites) entorses au protocole. Comme ce jour où le jeune homme de 32 ans sort de son chalet muni d'une fausse moustache et d'un faux nez pour annoncer en ricanant aux paparazzis que «le prince ne sortira pas aujourd'hui».
Evidemment, il n'en fallait pas plus pour régaler les journalistes, qui se sont pris au jeu et déguisés à leur tour.
C'est ainsi que, dès les années 1970, le futur roi d'Angleterre est photographié fréquemment sur les pistes de Klosters, en compagnie de copains ou de petites amies – en 1978, par exemple, on peut l'apercevoir faisant la cour à la soeur de sa future épouse, Lady Sarah Spencer, sur les pentes enneigées au-dessus de la bucolique vallée du Prättigau.
L'année suivante, il perd le contrôle sur la piste Wang. S'il chute lourdement sur sa hanche gauche, Charles s'en sort sans blessure. L'accident aura toutefois le mérite de convaincre les membres de sa royale famille de renforcer leur sécurité sur les pistes - dès 1980, les Windsor sont tous munis d'un avertisseur sonore électrique, au cas où ils seraient ensevelis par une avalanche.
Bien leur en a pris. Car c'est une avalanche dramatique qui fera basculer le destin de Charles et de quatre camarades, huit ans plus tard. Nous sommes le jeudi 10 mars 1988, le prince est alors marié avec Lady Diana depuis sept ans. La princesse de Galles choisit de rester dans leur chalet isolé de Wolfgang aux côtés de Fergie, la belle-soeur du futur roi, enceinte de 14 semaines.
Il n'est pas encore 15 heures lorsque le prince se met en route pour une piste difficile située sur le sommet du Gotschnagrat, un itinéraire non balisé considéré comme l'un des plus techniques d'Europe. Mais il n'est pas seul.
Flanqué de son proche ami, le major Hugh Lindsay, ancien écuyer de la reine Elizabeth, de son mentor Charlie Palmer-Tomkinson et sa femme Patty, ainsi que d'un policier suisse, le sergent Stefan Cadruvi, et de l'un des guides les plus expérimentés de la station, Bruno Sprecher, ils forment un groupe de skieurs chevronnés.
A 14h45, ils n'ont pas encore entamé la descente d'un ravin escarpé et étroit, bordé d'un rocher abrupt d'un côté et d'un précipice de l'autre, lorsque l'avalanche se déclenche, juste au-dessus d'eux.
Lorsque le guide Bruno Sprecher hurle «SAUTEZ!», le prince s'exécute instinctivement. Il parvient à atteindre un rebord de la piste. Mais, à sa grande horreur, Hugh et Patty se retrouvent emportés par le tourbillon. «Tout s'est terminé en quelques secondes terrifiantes», racontera-t-il. Traînés sur plus de 100 mètres, les deux skieurs finissent ensevelis sous la neige.
Le guide dévale la pente pour les rejoindre, pendant que le policier Stefan Cadruvi contacte les secours. Patty Palmer-Tomkinson est la première à être localisée, grâce aux précieuses balises que les skieurs portent avec eux. Le temps que Charles et son mari rejoignent la jeune femme, sa tête a déjà été extraite de la neige. Après avoir effectué un bouche-à-bouche, Bruno Sprecher lance une pelle au prince de Galles pour la dégager. Il préfère utiliser ses mains, par peur de la blesser.
Hugh Lindsay, lui, est retrouvé à quinze mètres de là, enseveli sous un mètre de neige. Le guide de l'expédition ne peut que constater le décès. Le major avait 34 ans.
Pendant ce temps, le prince continue de prendre soin de Patty Palmer-Tomkinson, toujours inanimée. Son visage commence à virer au bleu. «Quand les gens sont inconscients, la meilleure chose à faire est de leur parler et de les encourager», se souviendra Charles auprès de Richard Kay. «J'ai continué à parler et j'ai dit: "Patty, tout va bien se passer. Il n'y a pas de quoi s'inquiéter. Nous allons te sortir de là." Peu à peu, elle a commencé à marmonner».
Le prince ne s'interrompra pas avant que son amie ne soit en sécurité à l'intérieur de l'hélicoptère, en direction de l'hôpital de Davos.
Selon le correspond royal Richard Kay, présent à Klosters ce jour-là, Diana n'est jamais plus jamais revenue dans la station après cet incident. Quant à Charles et au couple Palmer-Tomkinson, ils estimé qu'ils devaient revenir pour Hugh. «Ils avaient le sentiment qu'ils ne pourraient jamais aller ailleurs», écrit-il dans une chronique pour le Daily Mail, en 2020.
Si l'incident dramatique a contribué au déclin du mariage du couple princier, il n'a guère entamé la passion du roi pour le ski. Le village de Klosters est resté une constante rassurante pour Charles à travers les chapitres turbulents de sa vie. Un lieu où il pouvait savourer la discrétion et la simplicité.
«A l’époque, il ne portait que deux costumes tout le temps et de très vieilles chaussures à enfiler par l’arrière. Il n’a jamais voulu de vêtements de ski sophistiqués», se remémore avec tendresse son ancienne assistance, Clair Southwell, qui a depuis élu domicile à Klosters.
Fidèle à sa station de coeur, le prince de Galles passera ses vacances à Klosters chaque hiver et initiera ses fils, William et Harry, à la discipline.
Contacté par watson, Suisse Tourisme affirme ne pas posséder d'archives de la famille royale «en particulier». Quant à la station de Klosters, elle n'a pas répondu à nos sollicitations. Un ancien moniteur de ski d'origine britannique nous avait toutefois confié, l'an dernier, que la famille du prince William se rend toujours dans les Grisons et qu'elle était «adorable».
Si Charles III ne risque plus de sillonner les pistes du domaine skis aux pieds, il ne sera jamais totalement absent de la station – en 2018, Klosters a rebaptisé sa télécabine de Gotschna en «SAR le Prince de Galles». Depuis son couronnement, une nouvelle inscription a été ajoutée: «Le roi Charles III. Un invité apprécié de Klosters depuis 1978.»