C'est l'air douloureux et les yeux rougis que le monarque britannique a franchi les barrières grises du tristement célèbre camp d'Auschwitz-Birkenau. Sa première visite, malgré de nombreux séjours en Pologne. Un «pèlerinage personnel», glissait une source proche du roi dans le Telegraph. Mais surtout, la toute première fois qu'un souverain britannique s'aventurait sur le camp de concentration et d'extermination nazi le plus connu du monde.
C'est donc empreint d'un mélange de solennité et de gravité que le souverain s'est mêlé à une cinquantaine de survivants venus commémorer le 80ᵉ anniversaire de la libération du camp, aux côtés de nombreux chefs d'Etat et de dirigeants politiques, dont Emmanuel Macron, Justin Trudeau ou encore Olaf Scholz.
Aussi émouvante et historique que soit cette première visite pour le souverain de 78 ans, qui s'était déjà rendu dans d'autres camps de concentration en Europe par le passé, elle surprend. Pourquoi sa mère, la défunte reine Elizabeth II, n'y a pas posé le pied une seule fois en 70 ans de règne?
Cette information semble susciter surprise et désarroi chez les initiés interrogés, soulève le Daily Telegraph lundi: «Lorsqu'on leur a demandé pourquoi le roi, et la défunte reine avant lui, n'avaient jamais visité Auschwitz, plusieurs sources ont exprimé leur surprise et ont cherché à vérifier que c'était avéré», écrit le quotidien ce lundi, à l'occasion de cette visite royale. Les excuses ont fusé pour justifier cette absence - crédibles, mais teintées d'embarras.
Pour une source, la coupable est à trouver du côté de la logistique, alors que le site se situe à environ 70km de Cracovie - pour une autre, il s'agit de l’évolution des commémorations au fil des décennies, qui n'étaient évidemment pas les mêmes lorsque la monarque est montée sur le trône, en 1952.
Aujourd'hui, cette absence a un peu le goût d'un acte manqué pour la souveraine, qui avait pourtant veillé à cultiver une relation longue et chaleureuse avec la communauté juive et les dirigeants israéliens. La reine, décédée en 2022, se trouvait même à la tête de l'Holocaust Memorial Day Trust - la journée de commémoration nationale de l'Holocauste au Royaume-Uni - depuis sa création, en 2005.
La question d'une visite d'Auschwitz s'était pourtant posée depuis longtemps. En 1996, à l'occasion d'un voyage d'Etat officiel en Pologne, la souveraine avait déjà été l'objet de critiques pour ne pas avoir inclus ce passage symbolique dans son itinéraire.
Le palais de Buckingham avait alors rectifié le tir en incluant un arrêt au mémorial de la place Umschlagplatz, à Varsovie, où plus de 300 000 Juifs avaient été déportés vers le camp de concentration de Treblinka. La reine y avait déposé une gerbe de fleurs.
Il faudra attendre encore près de vingt ans pour que la reine fasse sa première visite d'un camp de concentration - celui de Bergen-Belsen, en 2015, aux côtés du prince Philip. Une visite qui, elle-même, n'avait pas manqué de susciter des commentaires. Une survivante de 89 ans s'étonnait ainsi que la monarque «ne soit pas venue plus tôt», auprès du Guardian.
D'ailleurs, l'absence de visite royale au camp d'Auschwitz-Birkenau n'est pas la seule à avoir provoqué un certain courroux et des haussements de sourcils de la part des membres de la communauté juive britannique et des politiciens israéliens. Vous l'ignoriez peut-être, mais, bien qu'elle ait effectué des visites officielles dans des dizaines et des dizaines de pays au cours de son mandat, Elizabeth II ne s'est jamais rendue dans l'Etat d'Israël.
Bien que le prince Charles et d'autres membres de la famille royale aient occasionnellement mis les pieds dans l'Etat hébreux, Buckingham Palace et le gouvernement britannique avaient tenu de souligner à chaque fois qu'il s'agissait de visites «personnelles» et non «officielles».
En fait, aucun membre de la famille royale n’a jamais visité Israël à titre officiel jusqu’en 2018, lorsque le prince William s'y est rendu.
Une source de frustration profonde de plusieurs années pour Israël, d’autant plus que la famille royale effectuait à la même période des visites très médiatisées dans des pays voisins autoritaires comme l’Arabie saoudite et le Qatar. «Existe-t-il un autre Etat membre des Nations Unies que la famille royale britannique a snobé de manière aussi constante et assidûment répétée?», s'insurgeait ainsi le journaliste anglo-israélien David Landau, en 2012.
Au point qu'en 2015, le palais se défende d'avoir un quelconque problème avec l'Etat d'Israël, rejetant la faute sur le gouvernement britannique: «Toutes les visites à l'étranger des membres de la famille royale sont entreprises sur les conseils du gouvernement britannique», avait rétorqué un porte-parole de Buckingham Palace au Telegraph.
Quant à ceux-ci, ils répliquent que l'épineuse question territoriale constituait un trop grand obstacle à une éventuelle visite royale. «Tant qu’il n’y aura pas de règlement entre Israël et l’Autorité palestinienne, la famille royale ne pourra pas vraiment s’y rendre», avait renchéri une source du gouvernement.
Si une partie du problème diplomatique a été résolu par le prince William en 2018, le nécessaire devoir de mémoire au camp d'extermination d'Auschwitz a été accompli ce lundi par Charles. Après tout, cette commémoration, plus que tout autre, est une manière de ne «jamais répéter les erreurs du passé».