En dix ans de carrière, c'est peu dire que le patron de l'Eglise d'Angleterre aura connu son lot d'évènements historiques, de prestige et de péripéties. Des baptêmes royaux aux célébrations de somptueux mariages princiers, en passant par les obsèques monumentales de la reine Elizabeth II, qu'il a gérées d'une main de maître.
Sans oublier, en mai 2023, la tenue du premier couronnement de monarque en plus de 70 ans. Un «immense honneur» pour Justin Welby, évidemment, mais qui avait refilé son lot de nuits blanches à cet homme d'Eglise éminemment médiatique et à l'humour tout britannique.
Bénéficiant de la confiance absolue de Charles III, l'homme de Dieu aura également soigné ses relations avec «l'autre camp». On l'a dit «très proche» d'Harry et Meghan, selon des sources anonymes au Telegraph. Il faut dire que Justin Welby n'était pas n'importe quel religieux, aux yeux du couple turbulent exilé outre-Atlantique: c'est lui qui les a unis devant Dieu, en 2018.
Fidèle soutien, Justin Welby s'est même retrouvé entraîné malgré lui dans le tourbillon du feuilleton «Megxit», en 2021, lorsque l'actrice américaine confie à Oprah Winfrey que trois jours avant le mariage royal, l'archevêque les a «mariés en secret». Scandale et polémique. Le religieux est sommé d'expliquer que la cérémonie diffusée dans le monde était bien le mariage légal. Un incident dont Justin Welby ne gardera pas ombrage: depuis, il échangerait régulièrement par téléphone avec le couple isolé de l'autre côté de l'océan.
Cette habilité à discuter avec les deux camps a valu à Justin Welby de servir d'intermédiaire dès les premières brouilles entre William et Harry. Après avoir joué le médiateur entre les frères en septembre 2022, à la mort de la reine Elizabeth, il a aussi servi de négociateur pour convaincre le prince expatrié de revenir au pays à l'occasion du couronnement de son père. Un succès - puisque le duc de Sussex était de la partie.
Dans une autre vie, Justin Welby était un mortel comme vous et moi, officiant comme cadre dans l'industrie pétrolière. Il plaquera tout en 1989 lorsqu'il entend «l'appel de Dieu». Depuis, Justin Welby, 68 ans, marié et père de quatre enfants, a gravi patiemment les échelons. Pour toucher le Graal et la nomination suprême: le poste d'archevêque de Cantorbéry, la plus haute fonction de l'Eglise anglicane, en 2013.
Trois ans plus tard, coup de théâtre: une enquête du quotidien britannique The Telegraph révèle que le patron de l'Eglise est le fils illégitime d'Anthony Montague Browne, dernier secrétaire privé de Winston Churchill. Un test ADN, réalisé dans la foulée, confirme que Justin Welby n'est pas vraiment Justin Welby. Son père n'est pas ce vendeur de whisky à moitié alcoolique, Gavin Welby, disparu en 1977. «Une immense surprise», concédait à l'époque sobrement le puissant religieux, avant de préciser que «son identité ne s’en trouvera jamais changée». Son père à lui, c'est Dieu.
Après plus de dix ans à la tête des 85 millions d'anglicans à travers le monde, la fin de carrière de l'archevêque de Canterbury s'annonce d'ore et déjà abrupte, entachée par le scandale. Sous pression après la publication d'un rapport accablant sur les abus sexuels dans son Eglise, Justin Welby a fini par céder et soumis sa démission ce mardi.
Une enquête indépendante a conclu que l’archevêque n’avait pas pris de mesures suffisantes à la suite d’informations d’abus «odieux» commis par John Smyth. Cet éminent avocat britannique, qui présidait une association caritative gérant des camps de vacances avec l’Eglise d’Angleterre, est accusé d'avoir infligé des agressions physiques, sexuelles et psychologiques à pas moins de 130 personnes entre 1970 et 1980. «L’agresseur en série le plus prolifique associé à l’Eglise d’Angleterre», selon les mots du rapport, est décédé en 2018 en Afrique du Sud. Sans jamais avoir été jugé.
Si l’affaire n’a éclaté qu’après la diffusion d’un documentaire par la chaîne britannique Channel 4, en 2017, le sommet de l’Eglise a été officiellement informé de ces faits en 2013. Des responsables du culte en auraient même eu connaissance dès le début des années 1980. Le rapport achève que l’archevêque de Canterbury «aurait pu et dû» signaler à la police les violences commises par l’avocat dès sa nomination comme primat de l’Eglise d’Angleterre.
Alors qu'il devait prendre sa retraite en 2026, ce départ met un terme prématuré au mandat de Justin Welby, qui a présenté ses excuses et reconnu qu'il «n'avait pas rencontré assez rapidement les victimes après que toute l'horreur des abus ait été révélée» en 2017.
Il a déclaré avoir demandé l’autorisation de démissionner au roi Charles III, ajoutant: «J’espère que cette décision montre clairement à quel point l’Eglise d’Angleterre comprend la nécessité d’un changement et notre profond engagement à créer une Église plus sûre. En quittant mes fonctions, je le fais avec tristesse et sympathie pour toutes les victimes et les survivants d’abus.»